«L'Arménien», comme le dit notre citation de la Frankfurter Zeitung, «est l'homme, le plus haï qui soit en Orient à cause de la supériorité de son intelligence supérieure et de son habileté commerciale».
Eh bien ! maintenant qu'on a fait disparaître l'Arménien, avec tous ses talents, voici la conséquence, telle que l'expose un témoin du Rapport de la Commission des Etats-Unis :
"Les résultats des massacres sont les suivants : comme 90 pour cent du commerce de l'intérieur étaient dans les mains des Arméniens, le pays est à la veille de la ruine. La plus grande partie des affaires se faisaient à crédit, des centaines de commerçants importants, et qui ne sont pas Arméniens, vont faire banqueroute. Dans les villes qui ont été évacuées il n'y aura plus de tanneur, de mouleur, de forgeron, de tailleur, de charpentier, de potier, de tisserand, de cordonnier, de bijoutier, de pharmacien, de docteur, d'avocat, ni aucun autre homme appartenant aux professions libérales, ni de commerçants, à part de rares exceptions, et le pays va être laissé dans une situation pitoyable."
... La narration détaillée qui parvint aux Etats-Unis un mois plus tard, et qui fut publiée le 4 septembre, par le journal arménien «Gorchnag» de New-York :
«Une nouvelle incroyable nous arrive au sujet des massacres de Bitlis. Dans un seul village, 1000 Arméniens, hommes, femmes et enfants, ont été entassés dans une maison en bois, et les Turcs y ont mis le feu. Dans un grand village des environs, 36 personnes seulement ont échappé au massacre. Dans un autre village les Turcs ont attaché ensemble les hommes et les femmes par groupes de douze, et les ont jeté dans le lac de Van. Un jeune Arménien de Bitlis, qui appartenait à l'armée, et qui, après avoir été désarmé et employé au travail des routes, a réussi à s'échapper et à atteindre Van, raconte que l'ex-vali de Van, Djevat Bey, a fait massacrer à Bitlis tous les mâles depuis l'âge de 15 ans jusqu'à l'âge de quarante. Il a fait déporter leurs familles dans la direction de Sert, mais il a gardé pour lui les plus jolies filles. Bitlis est maintenant rempli de dizaines de milliers de mouhadjirs turcs et kurdes».
Le sérieux de l'historien
Le grand historien Toynbee s'est attaqué à la question arménienne avec tout le sérieux qui marque son œuvre. Il précise ainsi que son ouvrage est fondé sur les preuves inattaquables. Ce sont les récits des missionnaires, allemands aussi bien que suisses, américains ou citoyens d'autres pays neutres. Ce sont les rapports des consuls, qui se trouvaient dans les villes mêmes, y compris les représentants de l'Empire allemand. Ce sont les nombreuses lettres particulières, et les lettres publiées par les journaux neutres et par ceux des Alliés, qui donnent les témoignages des témoins oculaires sur ce qu'ils ont vu. Et ce sont aussi les séries de dépositions personnelles, faites sous serment, et qui ont été déjà publiées, par une commission composée de citoyens éminents des Etats-Unis. Plus l'on étudie attentivement ces témoignages impartiaux, et plus l'on voit qu'ils se confirment les uns les autres, jusque dans les détails les plus minutieux. Ce sont les faits qu'ils rapportent que nous présentons ici, avec la certitude absolue de leur véracité. Il est naturellement impossible d'indiquer d'où viennent les dépositions ; nous n'avons pas imprimé les noms des témoins, parce que cela mettrait en danger de mort ceux d'entre eux qui se trouvent dans l'Empire Ottoman.