La prise du pouvoir en Turquie par un groupe de jeunes officiers assez désorganisés connu sous le nom «Les Jeunes Turcs», a, de prime abord, suscité un espoir immense dans l'Empire Ottoman aussi bien qu'en Europe.
Rejetant l'absolutisme du Sultan Abdul Hamid, ils parviennent en 1908 à conquérir le pouvoir de façon pacifique.
Ces nouveaux dirigeants étaient issus de l'armée et, notamment, de la partie la plus «éclairée» et progressiste. Défenseurs de la constitution qu'ils rétablissent en 1909, ils semblaient ouverts aux idées libérales et prêts à accepter une vraie démocratie fondée sur la diversité ethnique et religieuse dans l'ensemble du pays. Ils s'appuyaient d'ailleurs sur les Arméniens pour y parvenir. Mais une évolution tragique va bientôt s'opérer.
Trotsky avait su analyser dès 1908, au faîte de leur popularité dans l'intelligentsia européenne, le contenu véritable de leur politique : «par ses origines et ses traditions historiques, la Turquie est un Etat militaire. Actuellement, elle est la première parmi les Nations européennes pour ce qui est de la taille relative de son armée. Une grande armée exige un nombre considérable d'officiers dont certains sont sortis des rangs par l'ancienneté. Mais le Yildiz (le Palais du Sultan), malgré sa résistance barbare aux exigences du développement historique, a été contraint d'européaniser son armée dans une certaine mesure et de l'ouvrir aux hommes cultivés du pays. Ces derniers n'ont pas attendu pour profiter de l'occasion».
Il avait rapidement débusqué le nationalisme intolérant qui se dissimulait derrière les discours modernistes qui, au début, allaient séduire bien des Arméniens convaincus qu'un renouveau était en cours.
«Les "Jeunes Turcs" ont pour leur part définitivement rejeté cette route ( la démocratie fédéraliste). Représentant la nationalité dominante et possédant leur propre armée nationale, ils tiennent à être et demeurer des centralistes nationaux.»
Renouant avec une tradition sinistre, c'est en 1915-1916 que les «Jeunes Turcs», par le biais de leur organe dirigeant l'Ittihad (c'est-à-dire le Comité Union et Progrès !!!) planifièrent et perpétrèrent un génocide aussi barbare que méthodique contre les Arméniens qui constituaient alors une minorité pacifique, très nombreuse et très industrieuse.
Considérés comme «inassimilables» par le pouvoir, à l'inverse des Kurdes par exemple, ils devaient être exterminés. Les massacres se poursuivirent jusqu'en 1923. Il faut noter que le rôle de l'Allemagne semble avoir été déterminant : les Turcs ont choisi le camp de l'Allemagne Impériale et leurs troupes sont instruites par des officiers allemands. La guerre accélère le processus génocidaire .
Au prétexte que les Arméniens pourraient aider l'armée russe, les «Jeunes Turcs» organisent l'élimination physique des soldats arméniens et ordonnent la déportation de la population arménienne. Les populations guerrières Kurdes seront souvent l'outil enthousiaste des massacreurs.
Le ministre de la guerre Enver Bey et le ministre de l'intérieur Talaat Pacha qui ont conçu et mis en oeuvre cette politique en portent, de façon claire, la responsabilité. Les pièces officielles qui attestent du caractère prémédité et pleinement conscient du crime sont aujourd'hui connues et indubitables.
Les bourreaux meurent aussi... On se souvient de ce titre de film qui s'applique parfaitement aux plus éminents des ordonnateurs du génocide. La photo ci-dessus expose les bourreaux dans toute leur affreuse banalité.
Un rassemblement de fonctionnaires qui n'est pas sans évoquer quelque inoffensif banquet de comice agricole. Subtil mélange de l'Orient et de l'Europe, ce groupe, réuni pour une partie de campagne s'avère pourtant être l'une des plus redoutables associations de criminels de l'histoire moderne.
Après la défaite allemande, la plupart des instigateurs des massacres s'étaient réfugiés à l'étranger, parfois dissimulés sous de fausses identités. Ils n'échappèrent pas au bras vengeur des justiciers arméniens, Jivanshir, Sayid Halim Pacha, Behaedin Shakir, Jemal Azmi, Jemal Pasha and Enver Pacha et, bien sûr, Talaat Pacha furent ainsi exécutés dans diverses capitales européennes.
A la Préfecture d'Alep
Il a été précédemment communiqué que le Gouvernement, sur l'ordre du Djemet (comité Ittihad) a décidé d'exterminer entièrement tous les arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s'opposeront à cet ordre et à cette décision ne pourraient faire partie de la forme gouvernementale. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, quelques tragiques que puissent être les moyens de l'extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence.
Le 15 septembre 1915
Le Ministre de l'Intérieur, Talaat