à égal avec les personnages de Yldiz,
attaque même impunémen t parfois les
ministres les plus influents, lorsque
ceux-ci lui refusent un service ; au be–
soin i l va même j u s qu ' à intimider le
Padischah, si Sa Majesté lui fait atten–
dre longtemps un firman.
Boursouflé, plein de lui-même, dai–
gnant à peine rendre un salut, habi–
tuant ses nombreux visiteurs à faire
antichambre, et pontifiant derrière
son bureau directorial, Tahir terrorise
par le chantage le public de Constan–
tinople.
Les scandales du jour, les secrets
de familles sont quotidiennement ser–
vis par son
Servet,
qui ne se fait point
scrupule de calomnier les plus hon–
nêtes gens en leur vie privée, j usqu ' à
ce qu'on ait cru devoir acheter son
silence. Il ne pense même pas à dis–
simuler ses pirateries et serait plutôt
porté à en faire ostentation. Il lui
advint un jour d'appeler son rédac–
teur en chef, et, en présence de nom–
breux visiteurs : «Quel est donc le nu–
méro du
Servet
—
dit-il imperturbable
—
où a paru l'article à chantage sur
M . X...'?»
Tel est à grand traits un des hommes
qu'Abd-ul-Hamid honore de sa bien–
veillance particulière et qui par sa fa–
veur est devenu un grand personnage
et l'une des gloires éminentes de cet
illustre règne.
F . DORYS.
LETTRES
DE VARNA, DE T R É B I Z O N D E , D'ADANA
ET DE SMYRNE
L E T T R E ' D E V A R X A
V a r n a ,
20
a v r i l
1901.
Pendant les l'êtes de Pâques, un Arménien
de Kémakh part de Bourgase sur un bateau
russe pour se rendre à Constantinople.
Quatre de ses compatriotes s'en vont avec lui
au bateau pour lui faire leurs adieux. A
cause de la tempête, le bateau, sans que les
non-voyageurs puissent débarquer, part pour
Constantinople.
Aujourd'hui nous apprenons par des sources
authentiques, qu'à l'arrivée du bateau à Cons–
tantinople, les agents de police turcs venus
dans le bateau ont exigé que tous les cinq
débarquent ; le capitaine non seulement y
aurait consenti, mais i l aurait obligé tous les
cinq de débarquer; ils sont tous emprisonnes
maintenant à Constantinople. Voici leurs
noms :
1.
Michan Krikorian;
2.
David Harouliounian ;
3.
Minass Mardirassian;
4.
Dirtadé Parsseghian ;
5.
Bedrass Kaloustian.
L E T T R E D E T R É B I Z O N D E
T r é b i z o n d e ,
12/20
a v r i l
1901.
La plupart des boulangers de notre ville
sont des Arméniens et des Grecs. Ceux-ci,
obligés dégraisser la patte à l'administration
locale, sont une source de bénéfices pour elle.
Au lieu de surveiller en bonne conscience
les pains préparés et les poids employés
pour la vente, les employés de la municipa–
lité se font graisser la patte mensuellement
par tous les boulangers. Le chef de la muni–
cipalité à son tour emploie d'autres moyens
pour se faire une source de revenus de tous
les boulangers et les habitants de la ville.
D'accord avec un marchand de farine, i l fait
venir de la farine, et le marchand la distri–
bue aux boulangers à des prix exorbitants
et touche l'argent. Si quelqu'un ose ne pas
acheter, sous divers prétextes on vient tous
les jours enlever les pains à la boulangerie
et lui infliger des amendes. Voici des exem–
ples qui confirmeront ce que je viens dédire:
Ces derniers temps un nommé Hampartzoum
Mandalian, boulanger, avait osé protester
contre les abus près du vali, il fut récompensé,
pour sa protestation, par quatre ou cinq jours
d'emprisonnement. Un autre boulanger fut
assailli par deux Turcs qui le battent vio–
lemment sous prétexte que ses pains ne sont
pas chauds. Quand le malheureux crie en
pleurant : « Que faut-il faire pour vous plaire,
pendriez-vous aussi mon àme ! » Les Turcs
répondent effrontément : « As-tu seulement
une âme , le giaour ne peut pas avoir
d'âme ! » Il est inutile d'ajouter que les cou–
pables qui l'avaient battu et outragé, res–
tent impunis, pour en faire davantage les
autres fois.
A l'Est de Trébizonde, à une distance de
six heures de la ville, se trouve la campagne
de Gadaroukasse, habitée par des Turcs,
et par deux familles arméniennes seule–
ment.
Le
24
décembre
1900,
le soir, vers le cré–
puscule, environ quinze soldats turcs, cer–
nent les maisons des Arméniens et les pil–
lent.
A une distance de quatre heures de Trébi–
zonde, vers l'Est, se trouve la campagne de
Chana, habitée par des Turcs et des Armé–
niens. Dans cette campagne habitent les
Beys, appelés Chatir-Oghli, qui sont les des–
cendants des tyrans d'autrefois, et vivent
aujourd'hui par le travail et la sueur du
peuple. Ceux-ci ont protégé les Arméniens
pendant les événements, contre l'attaque de
la foule des paysans turcs du dehors, afin
de garder pour eux tout le morceau gras.
Après la période des massacres et du pillage
ils commencèrent à réclamer de l'argent de
tous les Arméniens protégés; ils obtinrent, et
ils obtiennent jusqu'aujourd'hui cinq piastres
de l'un, dix piastres- de l'autre. Près de la
campagne de Chana se trouve celle de Gu-
chana. Ces derniers temps, un habitant de
cette campagne, nommé Nahabet, fut assas–
siné, à deux heures de chemin de cette cam–
pagne . Le gouvernement emprisonne les
camarades arméniens de la victime et après
avoir touché quelques livres, i l les relâche.
Au mois de février
1901,
dans la campagne
de Hinguila, une vieille femme arménienne
fut assassinée par des malfaiteurs inconnus;
le gouvernement, toujours d'après son an–
cien système, après avoir interrogé quelques
Arméniens, mit fin à l'incident.
Au mois de mars iQoi,un nommé Hovhan-
nès, Dinguil Oghli, de la campagne de Magh-
téla à Surmené, fut victime d'un vol. Le mu-
dir (gouverneur de canton) examine l'affaire
et promet de trouver le malfaiteur ; certes,
sa promesse sera réalisée
au jugement der–
nier.
M " ' veuve Sirpouhi Boghassian, de la cam–
pagne d'Ile,de Trébizonde ne pouvant payer
les impôts, fut emprisonnée. La pauvre
femme vendit son bien, et après avoir payé
une partie des impôts fut mise en liberté.
Quelque temps après, on lui réclame le reste
de sa dette d'impôts ; mais que peut faire la
pauvre femme; i l ne lui reste plus rien à ven–
dre ; aussi restera-t-elle en prison pendant
longtemps. M"'
e
Sirpouhi connaissant de très
près la conduite et les mœurs des Turcs,
jugea bon de ne pas rester toute seule en
prison, et pour garder au moins son honneur
intact, après avoir donné tout son bien, prit
avec elle, comme compagnon, son fils âgé
de dix ans qui allait au collège.
L E T T R E
D ' A D A . \ a
A d a n a ,
22
a v r i l
1901.
Dans notre dernière lettre, nous vous
avions parlé d'un certain Sulukdji, tué à
Tchiok-Marzouan, et de l'incident de la cam–
pagne de Madjarli. Aujourd'hui, nous vous
communiquons la suite de nos nouvelles.
La veuve du Sulukdji s'était adressée aussi
aux consuls d'Alexandrie pour l'assassinat
injuste de son mari. Les consuls, mis au cou–
rant de la réalité, avaient promis d'inter–
venir en faveur de la malheureuse veuve. Le
gouvernement en étant averti, fit un examen
superliciel dont le résultat fut de montrer le
Sulukdji comme un révolutionnaire qui avait
été tué pour avoir essayé de s'enfuir.
Quant à l'affaire de la campagne de Nad-
jarli, au moment où les paysans quittaient la
campagne pour aller cultiver les champs,
des immigrés turcs courent à Pajasse pour
protester et dire que les Arméniens les ont
attaqués. Le gouvernement, quoique sachant
bien que c'était là une accusation fausse et
sans fondement, télégraphie au vali. Le
méktonbdji et le vali de Pajasse se rendent
à la campagne pour l'enquête ; ils arrêtent le
propriétaire du champ et le moukhtar de la
campagne et ils les conduisent, les mains
liées, à la prison centrale de notre ville.
Après avoir pris aussi, aux autres paysans,
les souches de registre de leurs champs, on
chasse les malheureux, en leur recomman–
dant sévèrement de ne point s'opposer aux
agissements des immigrés turcs. Les pauvres
paysans s'adressent au mutessarif de Djébet
qui, lui aussi, recommande, par des menaces,
Fonds A.R.A.M