d'obéir ; on s'adresse encore une fois au gou–
verneur local, mais en vain ; le fait avait déjà
été télégraphié au Patriarcat, et quoique le
Patriarche ait écrit une lettre au vali, on n'y
attache point d'importance. Le gouverneur
recommande au vicaire du lieu de ne point
permettre aux paysans de rester en ville plus
longtemps, de leur dire d'aller et de se con–
former à la décision absolue du gouverne–
ment, car, ajoute-t-il, les biens de ces immi–
grés sont confisqués par le peuple bulgare, et
ceux-ci, à leur tour, confisqueront les vôtres.
On s'adresse aussi au consul d'Angleterre
d'Alexandrie; celui-ci attire l'attention du
gouvernement sur cette cause sacrée, mais le
gouvernement redouble sa colère et regarde
les paysans avec des yeux pleins de menaces
et de vengeance, les voyant s'adresser à des
étrangers pour une telle question. Les affaires
sont dans une situation pleine de désespoir ;
voyons à quoi elles vont aboutir; confisquer
les campagnes arméniennes, en disperser les
habitants, tel est l'idéal du gouvernement.
Les craintes pour Zeitoun se réalisent.
Nous n'avons pas pu comprendre encore
pour quel motif, est-ce par désespoir ou dans
une intention particulière, que Mazaret
ïchaouch obéit au gouvernement et devient
un instrument aveugle entre ses mains ; c'est
par son initiative que les personnes sui–
vantes sont emprisonnées à Marach comme
des prévenus politiques. En voici les noms :
Der Oanès oghlou Nazaret Agha ;
Pasdos oghlou Baba Agha ;
Pasdos oghlou Assadour Agha;
Andréas oghlou Assadour Agha ;
Tchakil oghlou Bedross Agha ;
Baldji oghlou Sarkiss Agha;
Kilipot oghlou Assadour Agha.
Voici les noms des maîtres d'école :
Mahdessi Barssoum oghlou Assadour
hodja;
Kassab oghlou Krikor hodja;
Kior Manouk oghlou Krikor hodja;
Kaïne oghlou Oanès hodja;
Un maître d'école, natif de Karpouz et ses
deux collègues.
Le gouvernement l'ait des efforts pour ar–
ranger à sa guise l'affaire touchant l'élection
de catholicos ; nous apprenons que le grand-
vizir a écrit une lettre au vicaire, l'évêque
Guiragosse, pour aller à Adana et de faire
l'élection sans l'intervention du Patriarcat et
d'annoncer son départ pour Adana par télé–
gramme, aiin de pouvoir envoyer aussi un
représentant turc de Constantinople. Le
Patriarche, certes, en est averti, lequel a
écrit à l'évêque Guiragosse qu'il espère que
l'affaire de l'élection de catholicos prendra lin
après Pâques ; l'évêque Guiragosse ne veut
pas se conformer à la volonté du gouverne–
ment, mais à celle du Patriarche dont l'in–
tention nous est connue, à nous autres habi–
tants de Cilicie, justement à cause de l'espoir
dont i l parle; nous ne savons s'il pourra,
d'ailleurs, tenir tête aux oppressions, étant
donné que c'est un prêtre d'un bon naturel.
Le maître d'école Turabian, natif d'Aïntab,
était emprisonné, depuis un an et demi, à
Aïntab, sous l'accusation d'un délit politique
faux et mensonger; i l y a deux ou trois mois,
on l'avait transporté à la prison centrale de
Halep; le malheureux expira ces jours der–
niers ; aucun interrogatoire n'avait eu lieu
juusqu'ici. Il laisse une jeune veuve et un
enfant qu'il n'a pas vu; ses camarades gé–
missent encore en prison sans subir aucun
interrogatoire ; d'autres prisonniers, dont
nous vous avions parlé, se trouvent toujours
dans la même situation intolérable.
L E T T R E D E S M Y R N E
Smyrne,
20
février
1901.
Smyrne est considérée comme une ville
où la tranquillité semble régner plus que par–
tout ailleurs ; nous donnons ici des preuves
qui affirment plutôt le contraire. Pour voya–
ger à l'étranger ou partout ailleurs , les
passeports nous sont refusés ou on nous
réclame de fortes sommes ; la question de
passeport pour aller à Constantinople n'est
qu'un rêve et un danger, car le gouverne–
ment, soupçonnant comme des perturbateurs
tous ceux qui demandent un passeport, les
emprisonne à moins qu'ils ne donnent des
garanties évidentes.
Ces derniers temps, plusieurs essayant
en vain d'obtenir un passeport pour aller à
l'étranger, furent obligés de s'enfuir. L'un
d'eux, naïf qu'il était, va se fiera un batelier
qui d'abord se montre favorable, et puis, une
fois sur mer, après l'avoir pillé, le trahit et le
livre à la police.
Il y a quelques mois, un Arménien, sujet
étranger, s'en va à Constantinople pour une
affaire privée. Quand i l débarque, on le sou–
met à un interrogatoire sévère, et depuis i l
était poursuivi par quelques espions, qui, un
jour, ont voulu l'arrêter, sur le pont, peut-
être, pour le fouiller, et qui sait, peut-être
même, dans l'espoir de trouver quelque chose
sur lui; mais sur l'opposition qui leur a été
faite, ils se retirent. Un autre, également
Arménien, sujet étranger et personnage bien
connu, i l y a deux mois, était parti de notre
ville pour Constantinople, fut soumis à un
interrogatoire sévère et à des soupçons.
Quand celui-ci prouve son innocence, le gou–
vernement parle ainsi : « En effet, vous êtes
un homme honorable, mais nous l'ignorions;
si vous avez commis une faute, c'est d'être
né Arménien. »
Il y a quelques mois, les fils d'un notable
de notre ville, nommé. Bakodjian, furent en–
voyés à Constantinople pour faire leurs étu–
des dans le collège des missionnaires ; les
jeunes gens débarqués à la douane, furent
emprisonnés malgré les passe ports légalisés
qui se trouvaient entre leurs mains.
Quand ainsi le gouvernement prend des
mesures aussi sévères contre la classe de la
population qui est regardée comme fidèle dès
le jour de sa naissance, quand la qualité
d'Arménien est regardée comme une faute par
les fonctionnaires, par les administrations,
et cela même par les personnages qui sont
de notables sujets étrangers, i l est facile de
se faire une idée des malheureux, qui n'ont
ni maître, ni protecteur ; le maître est leur
bourreau et tout le reste.
Les nouvelles que nous recevons des pro–
vinces de l'intérieur sont écœurantes. Les
Arméniens des provinces de Yozgade, de
Marzouan et de Césarée maudissent le jour
où ils sont nés; la misère les entoure de ses
ailes sombres. Le gouvernement, l'année der–
nière, avait, pour percevoir les impôts, vendu
le mobilier des maisons, le bœuf et la charrue
du laboureur. Cette année-ci (ainsi qu'une
dizaine de lettres nous le prouvent), le gou–
vernement a vendu le mobilier de très peu
de valeur, ainsi que les lits de beaucoup de
maisons.
A Yozgade, des faits de ce genre ont eu
lieu; le peuple a protesté au gouvernement
contre les sévérités commises et en attirant
son attention sur la misère extrême ; ces der–
niers temps, le gouvernement a emprisonné
tous ceux qui ont osé protester ; nous vous
écrirons plus tard les détails que nous aurons
à ce sujet.
•
NOUVELLES D'ORIENT
E N
M A C É D O I N E .
—
Les atrocités com–
mises en Macédoine laissent indifférents
les cabinets européens qui affectèrent de
les ignorer, puis les agg r avè r en t par leur
stupide intervention en conseillant au Sul–
tan de rétablir l'ordre par la force dans ce
malheureux pays. Mais les ambassadeurs
et les consuls, si décidés qu'ils soient à
l'aveuglement diplomatique, ne peuvent
tout à fait fermer les yeux à l a vérité ; et
comme ils sont souvent des honnêtes gens
et des hommes de cœur, ils se laissent en–
t r a î ne r à ne pas celer ce qu'ils ont vu,
quand bien même leur silence eût été plus
agréable à leurs ma î t r e s .
L'empereur d'Allemagne est le meilleur
àmi du Sultan ; et cependant son ambas–
sadeur, le baron Marshall von Bieberstein,
qui a fait récemment un voyage à Salo–
nique, n'a pas pu taire son indignation et
sa tristesse. I l a visité les prisons et ob–
tenu la mise en liberté de cinquante Rul-
gares. Mais surtout i l a connu les arresta–
tions arbitraires, les tortures infligées aux
prisonniers, les malversations courantes
des fonctionnaires d'Abd-ul-Ha,mid.
On sait que le sentiment du peuple al–
lemand et de la presse allemande ne sont
pas toujours conformes à la politique im–
périale. E n conséquence sans doute des
faits relevés par l'ambassadeur, la
Ga–
zette de Cologne
a publié un article peu
élogieux pour les autorités ottomanes.
La preuve évidente a été fournie que des
officiers inférieurs et des soldats se sont ren–
dus coupables de graves méfaits contre les
paysans bulgares. D'horribles tortures ont
été infligées dans le but d'arracher des aveux,
en des cas où les prisonniers n'étaient pas
capables d'échapper aux mains de leurs
bourreaux. Le résultat en est que les pay–
sans s'enfuient pour se réfugier dans la
montagne, que la culture est abandonnée et
la moisson future compromise. Au lieu de la
tranquillité, on établit une inquiétude inces–
sante et les éléments modérés de la popula–
tion sont poussés dans les rangs des conspi–
rateurs.
Fonds A.R.A.M