Il apparaîtra une fois de plus qu'el–
les sont volontairement criminelles
quand elles n'usent pas de ces même s
droits pour empêcher les massacres ou
en prévenir le retour, si bien que le
mépris hésite et qu'on ne sait plus trop
qui est le plus odieux et le plus infâme,
de l'Assassin ou de ses complices.
PIERRE QUILLARD.
Saisie d ' « Abd-ul-Hamid intime »
L a traduction suédoise du livre de
M. G. Dorys,
Abd-ul-Hamid intime,
a
été saisie à Stockholm, dans des condi–
tions extraordinaires, à la requête de
Chériff pacha, ambassadeur ottoman.
Des policiers se sont présentés à la
même heure dans toutes les librairies
de la ville, et ils ont saisi tous les
exemplaires trouvés sur place ; puis ils
se sont fait apporter les livres comp–
tables, ont constaté le nombre d'exem–
plaires vendus et rendu les libraires
responsables de tous ceux qui ne se–
raient pas rentrés 'dans les quarante-
huit heures ; après quoi ils ont exigé
les noms des clients qui détenaient le
livre subversif, ont perquisitionné chez
eux et ont arrêté ceux qui refusaient de
s'en dessaisir.
L a population de Stockholm est ex–
trêmement surexcitée ; on estime que
le ministre des affaires étrangères et le
ministre de la justice « se conduisent
comme des valets » ; i l est certain que
le jury ordonnera la levée de la saisie.
Les journaux étrangers abondent en
détails sur cette affaire; les journaux
français sont muets, comme de cou–
tume.
Serait-ce parce qu'en ce moment
même l'ambassade de Turquie à Paris,
sous le couvert d'un prête-nom, intente
un procès à Stock, éditeur de l'édition
originale, et cherche d'obtenir de la
complaisance bien connue du Gouver–
nement français l'expulsion de l'au–
teur. Il siérait plutôt d'expulser Munir
bey.
L A RÉDACTION.
Mi e n s et Musulmans
Le livre que M . de Contenson vient de
publier, sous le titre
Chrétiens et Musul–
mans,
est intéressant, écrit dans une
langue agréable, simple et claire, plein
de détails pittoresques et vivants : i l con–
tribuera à faire d i s pa r a î t r e beaucoup
d'erreurs généralement r épandue s sur les
peuples de l'empire ottoman en général,
sur le peuple arménien en particulier.
L'auteur a fait en
1897
un long voyage
à travers la Syrie, l'Anatolie, l'Arménie
et la Mésopotamie. I l a r éun i en un vo–
lume original les notes prises au cours de
son voyage, et i l y a ajouté des études
faites à son retour en France, de nom–
breuses statistiques de l a population de
l'Asie-Mineure, des considérations géné–
rales fort intéressantes sur l'avenir des
régions qu'il a parcourues, les solutions
que l'on peut apporter aux graves pro–
blèmes politiques qui s'y trouvent posés.
L'auteur est un conservateur, très préoc–
cupé du point de vue confessionnel, ca–
tholique ; i l n'en fait pas moins preuve, à
maintes reprises, dans le cours de son
ouvrage, d'une grande largeur d'esprit.
C'est ainsi qu'il insiste sur cette idée
qu'entre les diverses populations de l'em–
pire ottoman existe une étroite solidarité
d'intérêt : « Chacun, dans cette société
compliquée, écrit-il, a son rôle défini,
dépendant de ses aptitudes particulières
propres à chaque race et que le voisin ne
saurait posséder »
(1).
Peu sympathique
aux Turcs, à leur brutalité et leur manque
de culture, i l n'en déclare pas moins nette–
ment qu'il serait bien injuste de rendre le
Turc seul responsable du triste état de
chose de ce pays : « Musulmans et chré–
tiens, écrit-il, se savent gangrenés à un
point égal depuis un nombre de généra–
tions qui se perd dans la nuit des temps.
Mais qui oserait affirmer que c'est de la
faute du Turc seul? N'est-ce pas plutôt
celle de l'Orient, de ce despotisme asia–
tique que les populations de ces contrées
sucent avec le lait depuis le commence–
ment du monde, source permanente de
tous les abaissements »
(2).
De même aussi M . de Contenson réduit
à sa juste valeur l'argument du fanatisme
musulman, employé si souvent tant par
les défenseurs du sultan rouge que par
certains écrivains chrétiens. I l montre
«
qu'il a bon dos ce redoutable fanatisme
musulman, qu'on allègue hypocritement
en agitant le spectre des représailles —'•
quand on refuse de prendre une décision
(1)
Page
28.
(2)
Page
3
o.
énergique »
(1),
et plus loin i l écrit : « O n
nous avait bien r e commandé de nous
défier du fanatisme musulman. Nous en
cherchions en vain la trace. A voir l'ac–
cueil des populations
nous nous deman–
dions si ce fanatisme
n'était pas,
par
hasard, un objet de commande,
préparé,
fabriqué
et chauffé sur des points spé–
ciaux et dans un but déterminé
» (2).
Le
Kurde n'est pas plus fanatique que l'Arabe
ou le Turc, « i l n'a qu'une passion, celle
du pillage » (3).
D'ailleurs,les musulmans sont dans une
situation lamentable, tous en ont assez du
régime actuel. « Le pays, déclare à l'au–
teur un cadi arabe, est dans un tel état de
misère et de ruine, i l est mangé à tel
point par les fonctionnaires de tout ordre
que de quelque côté qu'apparaisse la l u–
mière nous la saluerons avec joie » (4).
De môme, en
1877,
le consul anglais
Calvert, envoyé en Bulgarie par lord Sa-
lisbury, alors ambassadeur à Constanti–
nople, recevait, de la bouche même des
beys turcs, l'assurance que, de quelque
côté que vinssent les réformes, la popula–
tion musulmane les accepterait avec
joie (5).
U n intérêt tout particulier s'attache
au voyage de M . de Contenson du
fait que, déba r qué à Alexandrette au len–
demain même des massacres, i l est le
premier Eu r op é e n entré dans Orfa ap r è s
les atrocités sans nom qui y furent perpé–
trées, qu'il a traversé ensuite presque toute
la région, passant par Aïntab, Marache,
Di a r bék i r , alors que les cadavres des
infortunés Armé n i e n s étaient à peine en–
sevelis, que leurs demeures fumaient
encore.
M . de Contenson insiste avec raison sur
l'inexactitude des statistiques que l'on
donne sur la population a rmé n i e nn e . U n
des arguments des avocats du sultan c'est
que la population a rmén i enne ne consti–
tuerait qu'une faible mi no r i t é . Or , i l est
bien évident que la population a rmé –
nienne est beaucoup plus nombreuse que
les mensongères statistiques officielles le
laisseraient supposer, d'ailleurs, le clergé
a rmén i en , pour adoucir le poids de l a
taxe d'exonération militaire qui pèse si
lourdement sur ces malheureux, diminue
parfois le chiffre de ses ouailles.
M . de Contenson insiste justement sur
cette idée essentielle que les Armé n i e n s
représentent en Orient la civilisation mo–
derne, qu'ils y sont les porte-drapeau de
la cause du progrès, que c'est pour cela
(1)
Page
23.
(2)
Page
32.
(3)
Page
49.
(4)
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3
7
.
(5)
Livre Bleu
sur les Affaires de Bu l g a r i e ;
1897,
cité par Ma l c o l m Ma c C o l l dans le
Sultan
et les Grandes Puissances
(
page
32).
Fonds A.R.A.M