mémen s , " selon l'heureuse expression
de M . Georges Clemenceau.
Le 6 mai, protestation des quatre
ambassades, France, Angleterre, Al l e –
magne, Autriche. Les cawass des am–
bassades et au besoin quelques mate–
lots débarqués prennent possession
des valises ; des employés spéciaux
portent à la frontière le courrier pour
l'Europe.
Puis la Sublime-Porte envoie suc–
cessivement deux notes que l'on refuse
de recevoir et par mesure de r epr é –
sailles le transport des postes ottoma–
nes est refusé par les bateaux étran–
gers de telle manière que le gouverne–
ment turc ne peut plus correspondre
avec les provinces d'Asie, non plus
qu'avec l'Albanie.
Les notes hamidiennes prétendaient:
1
° que la poste ottomane pourrait suf–
fire au service ; 2° qu'aucun acte pu–
blic ne légitimait l'existence des postes
étrangères ; 3» que le Trésor ottoman
subissait de ce fait une perte annuelle
de 300,000 livres turques; 4° qu'en
réalité les postes étrangères favori–
saient la contrebande des armes, des
matières explosibles, des bijoux et des
journaux et brochures hostiles au r é –
gime.
Enfin, le 18 mai, une nouvelle circu–
laire du directeur général des postes
ottomanes à ses collègues étrangers
leur notifie que les employés ottomans
transporteront comme par le passé les
courriers étrangers,
jusqu'à la fin des dé–
libérations concernant les postes étran–
gères.
En même temps, Tewfik-Pacha,
ministre de l'intérieur, rend visite aux
ambassadeurs et leur communique que
le Sultan « désapprouve tout ce qui a
été fait contre les postes étrangères ».
Seul l'ambassadeur allemand accepte
la communication ; les autres la refu–
sent ; ils attendent des instructions de
leurs gouvernements et seraient, quant
à eux, assez portés à quelque mani–
festation éclatante, quoique tardive.
La
Gazette de Cologne
assure qu'ils
ne seront pas encouragés dans cette
voie par leurs gouvernements respec–
tifs.
Tel est l'aspect superficiel des faits.
Mais même ainsi, les prétentions du
Sultan ne peuvent être tolérées et i l
doit être châtié de son insolence :
c'est en vertu
d'instructions formelles
qu'Hussein Habib bey a agi; c'est donc
Hamid lui-même qui est responsable.
Quant aux allégations des notes non
reçues par les ambassades elles ne sup–
portent pas l'examen :
1
° Sans doute, les postes ottomanes
pourraient
en principe fonctionner
comme d'autres ; mais i l faudrait que
le gouvernement le voulut et i l n'a
cure que de s'en servir comme d'un
instrument de police. Les récents
événements même en ont apporté la
preuve : le courrier, cependant peu
abondant, du 5 mai n'était pas distri–
bué deux jours après son arrivée et en
désespoir de cause les employés otto–
mans le jetèrent dans les boîtes étraiir
gères. Quant au service même des
provinces turques, i l ne peut se faire
que par l'entremise étrangère. Enfin
l'insécurité des postes ottomanes est
si justement reconnue que le
Crédit
Lyonnais
avisa le gouvernement fran–
çais qu'il fermerait ses agences en
Turquie si le service ancien n'était pas
rétabli. Il y a mieux : un document
turc non suspect, émanan t d'un jour–
naliste officieux et antérieur à l'affaire
établit les choses en toute clarté.
Tahir bey, directeur du
Servet,
organe
du Palais, a inséré, le mois dernier,
deux jours de suite, la note suivante
en tête de ses colonnes :
V u les difficultés de toutes sortes que
nous éprouvons dans l'encaissement des
sommes qui nous sont transmises par le
canal de l'administration des postes otto–
manes, nous prions nos abonnés et toutes les
personnes qui nous envoient des sommes
d'argent de vouloir bien nous les faire par–
venir par l'entremise de quelque établis–
sement financier ou de commerce.
2
° Le droit des gouvernements é t r an–
gers d'avoir des postes en Turquie r é –
sulte d'une convention formelle en–
tre la Turquie et la Russie datant de
1783
ainsi que l'a rappelé lord Crau-
borne à la Chambre des Communes :
la Porte s'engageait alors expressé–
ment « à prendre sous sa protection
les courriers chargés de la poste ».
Depuis d'autres puissances ont mis à
profit la'convention turco-russe; et suc–
cessivement l'Autriche-Hongrie (30 bu–
reaux), la France (20), l'Allemagne (4),
l'Angleterre (4), ont ouvert des agences
dans les principales villes de l'empire.
Il n'y a pas lieu même de discuter
les deux autres points puisque ni en
fait ni en droit le Sultan n'est autorisé
à demander la suppression des postes
étrangères.
Aussi bien dans son esprit et dans
celui de ses conseillers, i l ne s'agit pas
de revendiquer une prérogative d'État
pour la Turquie : ce que Ton voulait,
ce que l'on veut, c'est isoler entière–
ment l'empire ottoman du monde c i –
vilisé et empêcher des complots ima–
ginaires.
E n saisissant les valises d'Europe,
Abd-ul-Hamid espérait y trouver la
preuve d'une conspiration. Un double
avis lui était venu de Paris, par Munir
bey, toujours zélé, et de la part aussi
d'un ambassadeur étranger qui en
cette circonstance dut agir à contre–
cœu r et sur les ordres de son gouver–
nement ; car i l n'a par l u i -même au–
cune sympathie pour la Bête qu'il vit
à l'œuvre avant de quitter Constanti–
nople pour son poste actuel. C'est tout
au plus, si la violation des correspon–
dances a permis aux policiers turcs
d'arrêter un mollah et une dizaine
d'Ottomans suspects de connivence
avec les Jeunes Turcs.
C'est peu.
Mais i l faut couper court à toute
tentative nouvelle. L a dernière circu–
laire du directeur des postes prouve
assez qu'Hamid quitte la partie seu–
lement en apparence, puisque le
statu
quo ante
n'est rétabli que provisoire–
ment,
jusqu'à la fin des
délibérations
concernant les postes étrangères.
Nous avons mon t r é qu'il n'y a pas
lieu à délibération. Les Puissances ont
pu avoir la faiblesse et la lâcheté de
livrer à Hamid les correspondances et
les journaux «subversifs» qui étaient
confiés à leur discrétion et lui ont ainsi
inspiré son outrecuidance présente.
Maintenant, elles sont lésées elles-
mêmes dans leurs intérêts divers; elles
sauront bien faire respecter leurs
droits.
Fonds A.R.A.M