sonnent deux ou trois jours, et ils les mettent
ensuite en liberté ; le criminel Abdoullah,
quoique habitant la campagne, n'est pas ar–
rêté. L'état du blessé est désespéré.
Le
20
février, le mardi, vers deux heures
du soir (à la turque), deux militaires turcs
entrent dans le quartier arménien de notre
ville et ordonnent au premier gardien de nuit
arménien qu'ils rencontrent pour leur servir
de guide pour
chercher lafemme
(
i). Le gar–
dien de nuit répond avec mépris aux vau–
riens* et déclare qu'il ne connaît pas ce nou–
veau métier ; i l rentre chez lui ; les militaires
turcs le suivent et s'introduisent chez le gar–
dien; ils voient l'enfant de ce dernier, à peine
âgé de dix à douze ans; ils proposent au gar–
dien de lui donner de l'argent pour apporter du
raki à l'enfant, en lui déclarant en même
temps qu'il fallait leur laisser l'enfant (car ils
le trouvent beau garçon).
Oh! quel moment terrible; immoralité
effrontée et lâche propre au mahométan qui
ose mettre le pied dans la cabane de l'Armé–
nien qui est le type de la moralité; faire des
injures devant la famille et le père, faire des
violences, déshonorer la femme et la iille ou
l'enfant en bas âge; tout cela est commis par
des fonctionnaires du gouvernement, partout,
ordinairement dans les campagnes, et même
dans les villes. C'est surtout pour ces déshon–
neurs que l'Arménien qui gémit sous les
chaînes de l'esclavage depuis des années,
est plein de vengeance; i l est à bout de co–
lère, et i l voudrait foudroyer son ennemi;
fasse le ciel que tous les Arméniens portent
ces sentiments comme un principe dans leurs
cœurs. Le gardien de nuit, sur cette déclara–
tion des militaires, devient de colère rouge
comme du feu, et i l les menace de sortir de
chez lui; les militaires lui répondent négati–
vement; la discussion se change en querelle;
des voix se font entendre; le collègue du
gardien de nuit arrive, et par un coup de sif–
flet i l appelle au secours les autres gardiens
de nuit des quartiers qui arrivent en hâte; les
militaires avaient eu déjà recours aux armes,
les gardiens qui ne sont pas autorisés de se
servir d'armes, se défendent comme ils peu–
vent; l'un d'eux, nommé Khatchike, est blessé
au pied par un coup d'épée; les militaires
prennent la fuite; des soldats et des agents
arrivent de la caserne et arrêtent les coupa–
bles; le lendemain on voit les militaires cir–
culer librement.
Un autre fait a eu lieu, le 3 mars, dans la
plaine de la campagne arménienne Dadjrake;
cette campagne est située à une distance
d'une demi-heure de notre ville, du côté du
sud, dans une vallée où passe lefleuveEu-
phrate, au pied du mont Mintzour; elle a un
beau site et la population est arménienne; i l
y a près de vingt-cinq à trente maisons, tou–
tes des familles patriarcales; les habitants
s'occupent de l'agriculture et la plupart sont
des pâtres. Le mufti de notre ville possède
des terrains dans cette campagne, à la limite
desquels se trouve un pâturage immense où
paissent les troupeaux des campagnes; le
mufti avare enviait depuis longtemps de
s'approprier aussi ce pâturage comme véri-
(
i) En français dans le texte arménien.
fN*.
du T.)
table propriétaire. Le 3 mars, i l envoie son
frère avec ses domestiques pour aller culti–
ver aussi ce terrain; ce dernier, en effet, avec
une foule de laboureurs et quatre-vingts pai–
res de boeufs arrive au dit pâturage; alors
qu'on se mettait à l'œuvre, les paysans de
Dadjrake, apprenant le fait, y arrivent en
hâte; la lutte s'engage par des coups de bâ–
ton et de pioche et pendant la bagarre, le
frère du mufti est pris à bas de son cheval et
battu comme il faut; furieux, i l saute sur son
cheval et donne des ordres à l'un de ses do–
mestiques fidèles de battre les giaours sans
les épargner ; le domestique a eu recours aux
armes et blesse deux Arméniens, dont l'un
au bras; à l'autre i l fait sortir les entrailles,
et prend la fuite. Les gendarmes qui se trou–
vent dans la caserne située à l'extrémité du
pont construit sur l'Euphrate, arrivent aussitôt
mis c'était trop tard; ils s'emparent des bœufs
des laboureurs du mufti et ils les amènent au
gouvernement; on dit que l'état du blessé est
désespéré; le gouvernement n'agit aucune–
ment car i l a devant lui l'un des grands fonc–
tionnaires, le mufti, et naturellement i l ne
pourra pas l'abandonner et protéger la cause
des giaours. Voilà, ô humanité éclairée, un
pays où régnent les brigands et les crimi–
nels sous la tyrannie desquels l'élément chré–
tien est écrasé par une situation intolérable
quotidienne.
Il est encore question de la perception
d'impôt ; le gouvernement réclame de l'ar–
gent et pas autre chose ; qu'on puisse payer
ou non, pauvre ou malade, i l faut payer,
payer largement les arriérés des impôts de
quatre ou cinq ans, peu importe qu'on n'ait
pas de pain àmanger ou que la femme et
les enfants n'aient pas mangé depuis deux
jours ; i l faut payer tout de même, sinon on
est emprisonné pendant des jours et des se–
maines , comme voleur, comme criminel,
comme assassin ; i l faut de l'argent pour les
frais du gouvernement, pour les fonction–
naires ; i l faut des bijoux en or pour orner le
front et le cou des nymphes du Harem ; enfin
il faut payer avant le i " mars, jour de l'an
du gouvernement ; les nouveaux impôts sont
déjà perçus depuis deux mois; dans les cam–
pagnes ont lieu des infamies sans nombre ;
les gendarmes, percepteurs d'impôt, oppri–
ment, injurient et battent le peuple ; ils com–
mettent toutes sortes de violences, jusqu'à
ce qu'on satisfasse à leurs réclamations. Des
nouvelles tristes et écœurantes nous arrivent
des campagnes environnantes, nouvelles qui,
pour nous, ne sont pas dénuées de probabi–
lité, mais dont malheureusement nous igno–
rons les détails et dont nous ne pouvons par
conséquent parler ici. Nous vous en ferons
la description aussitôt que l'occasion se pré–
sentera ; nous vous parlerons aussi de l'état
des prisonniers de notre ville qui gémissent,
les malheureux, depuis des années en prison ;
description digne d'émouvoir tous les cœurs.
Gazette hebdomadaire
P A R
G . C L E M E N C E A U
A d m i n i s t r a t i o n : 8 7 , r u e
C a r d i n e t ,
P a r i s
ABONNEMENT
:
France et Colonies . . . . 25 fr.
Etranger
20 —
NOUVELLES D'ORIENT
E N M A C É D O I N E .
F r anc i s de Pressensé
apprécie plus haut l a situation en Macé–
doine et dit la criminelle stupidité des
puissances européennes.
Cependant, là-bas, les procès conti–
nuent. A Uskub, le n ommé D i m i t r i , fils
de Constantin, a été condamné à mort et
son complice Thodos à dix ans de travaux
forcés. A Uskub encore, procès de trente
et un « bandits », dont une femme qui,
heureusement, est jugée par défaut. Et
prochainement ce sera le tour des « ban–
dits » de Comanova et de Radovitsch.
Ragarres à Tikoutch, à Nicotine et à
Ak-Taille : les gens poursuivis ont eu
l'audace de se défendre contre les gen–
darmes.
Enfin, autour de Monastir et de Kos-
sovo, un grand nombre de soldats ont
déserté et forment des bandes de brigands
qui travaillent pour leur propre compte
au lieu de tuer sur les ordres formels de
l'Assassin : c'est une action parallèle.
E N
A L B A N I E .
D ' a p r è s une lettre de
Bérat, publiée dans le dernier numé r o de
la
Nazione Albanese,
les habitants de la
Basse-Albanie ne se trouvent pas fort
heureux d'être les sujets d'Abd-ul-Hamid.
Malic bey Frasari, qui tenait la mon–
tagne, a jugé nécessaire de passer en
Europe pour l'hiver : i l reviendra au
printemps en Albanie. Les autorités de
Janina avaient Pespoir de le prendre ;
exaspérées par son départ, elles se sont
vengées comme de coutume sur les gens
du pays : on a emp r i s onné Yye-Agà-Cini,
Ismaïl-Agà-Cini, Husseïn-Sciametet Orner
effendi de Delvino.
Ces deux derniers, ainsi que Yussuf
Mahamet de Colonia, ont été mis en l i –
berté provisoire pour négocier avec le
vali l a somme à payer afin d'obtenir
l'abandon des fausses accusations portées
contre les personnes arrêtées. Les prison–
niers refusent de payer un sou et pré–
fèrent mourir en prison.
Par ordre exprès du vali, qui est un indi–
vidu barbare et sauvage, ils sont traités d'une
façon contraire à toute humanité. Enfermés
dans un endroit ignoble et plein de vermine,
privés de ce qui est nécessaire à l'existence,
gardés à vue comme bêtes féroces ; tout cela
pour leur extorquer de l'argent.
Voilà où nous en sommes réduits. Notre
vie, notre honneur sont aux mains et au gré
d'un abject Tartare qui n'a d'un homme
que l'apparence.
Tout va à la ruine. La spoliation est érigée
en système, le pauvre écrasé, notre sang sucé
par d'immondes vampires. Si cela dure en–
core quelque temps, dans la pauvre Basse-
Albanie, i l ne restera qu'un peuple de sque–
lettes et nous ne verrons plus pousser un
brin d'herbe. Quand verrons-nous ces ré–
formes tant de fois promises ?
Fonds A.R.A.M