tacite de la chrétienté, de pratiquer
une saignée sur une nouvelle victime ;
la fermentation en Macédoine est telle
qu'on peut s'attendre aux plus graves
événements.
Le seul moyen de dé t ourne r la tem–
pête c'est d'entreprendre honnê t emen t ,
loyalement, courageusement l'exécu–
tion des Traités. Entre autres avan–
tages capitaux, cette mé t hode pacifique
dissipera les néfastes malentendus
entre des nationalités dont l'intérêt vé–
ritable n'est pas de se disputer l'an–
nexion éventuelle d'une province à la
Grèce, à la Serbie ou à la Bulgarie,
mais de pr épa r e r l'éclosion d'un nou–
vel État autonome, membre futur de
la libre fédération balkanique !
FRANCIS D E PRESSENSÉ.
LA QUINZAINE
La terreur chronique suggère chaque
jour au fou raisonnant d'Yldiz de nou–
velles mesures de précautions et de
défense préventive. Cependant, i l n'a
pas grand chose à craindre des gou–
vernements européens : i l suffit qu'il
partage avec les pires de leurs écu-
meurs de banques les sommes arra–
chées à la misère de son peuple. Mais
i l n'est pas sans redouter qu'un exé–
cuteur non patenté des hautes œuvres
surgisse tout à coup, venu d'Europe.
Autrement on comprendrait mal les
dernières extravagances que lui con–
seilla la peur. Pendant toute une se–
maine, les étrangers résidant à Cons–
tantinople n'ont reçu leur courrier
que retardé de plusieurs jours et très
maladroitement recacheté. L'opération
ne paraît pas avoir eu pour but le vol
des mandats par un employé zélé pour
l'honneur des caisses ottomanes où
manquent assez souvent la contre-va–
leur des sommes annoncées. Point :
i l fallait découvrir un complot.
Puis comme les postes étrangères
se refusaient à livrer à la police tur–
que les correspondances confiées à
leur discrétion, Hamid s'avisa d'un
procédé plus expéditif : i l fit arrêter à
la douane et éventrer les valises pos–
tales. Les ambassadeurs auraient pro–
testé contre cet impudent cambrio–
lage.
C'est fort bien, mais ils semblent
par leur condescendance mé t hod i que
inviter Hamid à les traiter comme de
simples Arméniens.
Il les a fait prévenir que désor–
mais, nul, sauf les chefs de mission et
les personnes de marque, ne serait
admis au Selamlik. Sur quoi les am–
bassadeurs obéissants refusèrent des
cartes à ceux de leurs nationaux qui
leur en avaient demandé . Mais ils s'a–
perçurent que les gens du Palais s'é–
taient donné licence d'admettre des
touristes, marquant ainsi qu'Hamid
avait plus grande confiance dans sa
valetaille directe que dans les repré–
sentants des Puissances. Si l'on ajoute
que quinze jours auparavant le fils du
baron Marschall von Biberstein, am–
bassadeur d'Allemagne, avait été bru–
talement écarté par les officiers de ser–
vice, on se fera une idée de l'insolence
où s'aventure le Padischah.
Et c'est justice.
«
Les personnes de marque » n'en
montrent que plus d'empressement
servile : MM . Franck-Chauveau, vice-
président du Sénat, et Bichard Wad-
dington, sénateur français,ont été reçus
par l'Assassin en même temps queS.E.
M . Constans, ambassadeur de la Bé -
publique. Le texte des paroles échan–
gées n'a pas encore été rendu public ;
mais i l est assez probable que ces mes–
sieurs ont tenu à n'être point en reste
avec M . Paul Deschanel et qu'ils au–
ront léché la main sanglante avec des
raffinements de bassesse.
Ils ne peuvent plaider l'ignorance.
Sur les quais où ils déba rquè r en t , de
malheureux porteurs de charbon ar–
mén i ens furent, i l n'y a pas si long–
temps, assommés à coups de matra–
que et percés de baïonnettes par les
bandes hamidiennes ; quand ils sont
allés à Yldiz leur guide a pu leur i n –
diquer le tragique cimetière de Pan-
caldi où, pendant plusieurs jours,
s'amoncelèrent des charretées de ca–
davres, les morts de Galata, de Pé r a
et de Haskeui seulement; et s'ils ont
passé la Corne d'Or, acheté des tapis
aux brocanteurs du bazar, visité les
mosquées, admi r é au delà de la Mar–
mara flamboyante les nobles monta–
gnes d'Asie, ils savaient bien qu'ils
foulaient une terre de massacre et que
par l'ordre du Maître chaque pavé de
Stamboul a bu du sang.
Eux et leurs pareils des autres pays
d'Europe, les sages, les forts, les puis–
sants qui ne s'embarrassent pas de
scrupules sentimentaux, fraient volon–
tiers avec l'Assassin cou r onné et l u i
signifient entre deux sourires et deux
génuflexions qu'il aurait grand tort de
faire voir trop de délicatesse.
L'or qu'il dispense cache le sang.
Mais les hommes raisonnables qui
croient avoir tout calculé négligent un
élément du problème. S'il leur est fa–
cile d'omettre par une monstrueuse
abstraction la mémo i r e des victimes
innocentes, d'autres se souviennent
obstinément.
Malgré trois cent mille cadavres,
malgré l'extermination
continuée,
ceux-là ont accordé un large crédit à
l'Europe qu'ils peuvent cependant i n –
quiéter et frapper dans ses intérêts, à
Constantinople et partout où des ca–
pitaux européens sont engagés, enBou-
mélie ou en Asie.
L'Europe — c'est à dire les détenteurs
officiels de la fortune et de la force eu–
ropéennes — a failli à tous ses engage–
ments et à toutes ses promesses. De
quel droit s'indignerait-elle le jour où
las de souffrir, à bout de résignation,
les Arméniens essaieraient de rétablir
l'équilibre à leur profitpar les moyens
les plus violents et suivraient le conseil
que leur donnait en mourant désespéré
l'un des leurs, Tigrane Yergate?
Ce n'était pas un éne rgumène , mais
un fier et délicat poète, qui avait voulu
croire longtemps à la modération et
aux moyens pacifiques. Il avait rédigé
en septembre 1895 cette belle requête
où les Arméniens réclamaient les droits
les plus élémentaires et qui fut le p r é –
texte des premiers massacres de Bab-
A l i ; plus tard en France, en Belgique,
à Athènes, i l tenta de venir e.i aide à
son peuple par la parole, par l'orga–
nisation de la résistance tranquille.
Mais la dernière parole du frêle
jeune homme, que j'avais vu plein de
Fonds A.R.A.M