les cris et les vagissements des bébés bri–
        
        
          saient les rochers, et celui qui regarde d'en
        
        
          haut et les philanthropes du monde restè–
        
        
          rent muets et immobiles devant ce spectacle
        
        
          criminel.
        
        
          Laissons de côté les montagnards ; reve–
        
        
          nons à la plaine qui est le théâtre des inva–
        
        
          sions continuelles ; des assassinats, des pil–
        
        
          lages, des enlèvements sont commis plus que
        
        
          jamais par « Iradéi Chahané » (ordre impé–
        
        
          rial).
        
        
          Nous n'avions pas encore oublié l'assassi–
        
        
          nat d'une ou de deux personnes dans les cam–
        
        
          pagnes de Khartz et Artonk, quand deux
        
        
          Arméniens de la campagne de Khighla-
        
        
          ghadje, vivant dans la plus grande misère,
        
        
          furent victimes des passions de Djézaïre
        
        
          agha, à quelques heures de distance de la
        
        
          campagne qu'ils venaient de quitter pour
        
        
          émigrer ailleurs.
        
        
          Un Arménien de la campage de Souloukh,
        
        
          fut tué également par les Tcherkesses ; de
        
        
          même le diacre Movsès, de l'ordre de Sourpe
        
        
          Garabed, fut tué par Mahmoud-Ali ;
        
        
          Le chef du village de Gouravtz par les Kur–
        
        
          des de Djibran;
        
        
          David de Harintch et son fils par les Kur–
        
        
          des voisins;
        
        
          Ohannès d'Avran par Falamagh-Ali ;
        
        
          Le chef du village de Hasskeny par la tri–
        
        
          bu de Palak ;
        
        
          L'Arménien Gialcho de Hounan par les
        
        
          Kurdes de la campagne.
        
        
          Tous ces crimes furent commis dans l'es–
        
        
          pace de deux à trois mois ; ceux qui ont été
        
        
          commis avant cette époque sont innombra–
        
        
          bles ; le cœur ne peut pas même résister en
        
        
          les apprenant et encore plus en lisant le récit
        
        
          de ces crimes qui continuent à être de plus
        
        
          en plus effroyables. Halil, celui qui faisait éle–
        
        
          ver les vagissements des bébés de Spaghank,
        
        
          second Bethléem, jusqu'au ciel avec les
        
        
          flammes, et qui portait au gouvernenement
        
        
          la tête tranchée du cadavre de Sérovpe et
        
        
          qui recevait un grand cadeau et une décora–
        
        
          tion de la part du Sultan, fut déjà sacrifié
        
        
          par quelques jeunes gens arméniens en l'hon–
        
        
          neur du prophète de La Mecque ; le sang et
        
        
          la tête furent envoyés par l'un des affluents
        
        
          de l'Euphrate pour être un cadeau digne
        
        
          d'être reçu par le grand Chéïkh de l'Islam.
        
        
          Mais la religion mahométane n'accepte pas
        
        
          ce qui est sacrifié par les mains d'un chré–
        
        
          tien, et pour venger le déshonneur de Halil
        
        
          qui avait crevé, ses protecteurs et ses amis
        
        
          avec des soldats du gouvernement (environ
        
        
          trois mille personnes), attaquent les cam–
        
        
          pagnes de Chouchnamerk, de Chenk, Si-
        
        
          match et Gialié-Gougham ; cinq Kurdes et
        
        
          deux Arméniens furent tués. Les Kurdes,
        
        
          après avoir incendié les maisons arménien–
        
        
          nes déjà vides, s'éloignèrent.
        
        
          Le prêtre de Mouch (Papgen Vartabed),
        
        
          fut arrêté pour avoir fait un rapport détaillé
        
        
          de la situation et l'avoir envoyé au Patriar–
        
        
          cat ; on l'a conduit à Constantinople avec
        
        
          déshonneur, quelques jours après.
        
        
          Avec Halil de Sassoun devait aussi sacrifié,
        
        
          le tyran Hadji Féro, dont les méfaits ont
        
        
          ruiné la plaine de Mouch dans un si court
        
        
          espace de temps ; heureusement pour lui il
        
        
          ne quitta pas la ville et en a eu ainsi la vie
        
        
          sauve. Le vali de Bitlis nomme aussitôt Féro
        
        
          
            
              mudir
            
          
        
        
          (
        
        
          gouverneur de canton) sur les Armé–
        
        
          niens de Tchikour, et pour consoler son âme
        
        
          affligée de la perte de son frère Halil qui
        
        
          avait crevé, i l ordonne publiquement en di–
        
        
          sant : « Vous pouvez faire ce qu'il vous plaît
        
        
          aux giaours ». Les assassinats sus-niention-
        
        
          nés dont le nombre dépasse cinquante et dont
        
        
          la description est écœurante sont commis
        
        
          par Féro, le barbare, qui a un type arabe et
        
        
          exécute les ordres supérieurs sans y man–
        
        
          quer ; la campagne de Chouchnamerk est
        
        
          déjà déserte, et les habitants qui sont restés
        
        
          vivants passent leur vie en mendiant chez
        
        
          les Arméniens d'alentour.
        
        
          Les multézimes (fermiers d'impôt) , qui
        
        
          avaient obtenu la décoration « Le Lion »
        
        
          pour leur métier inventé depuis environ
        
        
          une vingtaine d'années , ont donné un
        
        
          éclat de diamant à la décoration quand cette
        
        
          année le gouvernement a fait une augmenta–
        
        
          tion de 6 p.
        
        
          
            100
          
        
        
          à tous les impôts. Quoique le
        
        
          gouvernement eût donné une mesure pour
        
        
          mesurer le blé, le multêzime en chef, d'après
        
        
          la disposition de sa conscience, en fit une .
        
        
          nouvelle et la porta dans la campagne en
        
        
          disant : « C'est l'ordre du Padischah.» Que le
        
        
          sultan publie qu'il a fait distribuer onze mil–
        
        
          lions de livres à son peuple; ce ne sont laque
        
        
          vaines paroles et un moyen sûr de piller ; i l
        
        
          semble que le peuple turc avait omis beaucoup
        
        
          de choses en pillant les Arméniens, car ne
        
        
          pouvant plus patienter, on fit une augmenta–
        
        
          tion de 6p.
        
        
          
            IOO
          
        
        
          qui,pendant la perception des
        
        
          l'impôt monte à
        
        
          
            90
          
        
        
          p. ioo ; quel paysan oserait
        
        
          dire : « Je ne puis accepter cela », puisqu'il
        
        
          sait qu'un Arménien vaut moins cher qu'une
        
        
          poule? Le multêzime en chef a droit à la dîme
        
        
          d'herbe qu'il perçoit soit en nature soit en
        
        
          faisant payer le prix par journée (si le pay–
        
        
          san y consent) ; on perçoit cent quarante
        
        
          piastres au lieu de trente ; celui qui ne peut
        
        
          payer est forcé de faire le séleffe (le séleffe
        
        
          est un taux légal ; par exemple : une piastre
        
        
          au bout de trois mois, devient deux piastres);
        
        
          à l'expiration du délai fixé de trois mois, si
        
        
          l'on ne peut pas encore payer, un nouveau sé–
        
        
          leffe a lieu d'après les règles de l'intérjt com–
        
        
          posé ; ce n'est pas là une exagération et la
        
        
          réalité est prouvée par les faits; dans l'espace
        
        
          de trois à quatre ans, un Turc, sans instruc–
        
        
          tion, sans profession et sans travail, possède
        
        
          aujourd'hui cinq à dix mille livres turques,
        
        
          des champs immenses et de grands bâtiments,
        
        
          ce Turc qui ne sait même pas combien font
        
        
          deux fois deux. Que peuvent faire ie commer–
        
        
          çant arménien et le paysan laboureur, à qui
        
        
          s'adresser et à qui protester ? Des instruc–
        
        
          tions sont toujours données avec des encou–
        
        
          ragements aux Turcs, et les mains qui ont
        
        
          fait saigner de pauvres Arméniens méritent
        
        
          le titre de « ghazi » de la part du peuple turc.
        
        
          Le chef du village de Koursse est venu à
        
        
          Mouch i l y a quelques semaines, pour pro–
        
        
          tester contre les agissements du multêzime
        
        
          Mahmet Emine ; celui-ci avait essayé à plu–
        
        
          sieurs reprises de violer la femme du chef
        
        
          de village, mais celle-ci s'était sauvée habi–
        
        
          lement ; la dernière fois quand i l entre dans
        
        
          la maison, les voisins l'apprennent et vien–
        
        
          nent après maintes supplications sortir dehors
        
        
          I le multêzime effronté ; quelques jours après
        
        
          il s'introduit dans la maison avec quelques
        
        
          camarades et cette fois-ci i l viole la belle-
        
        
          fille du chef de village au lieu de la femme.
        
        
          Le chef de village obtient la récompense de
        
        
          sa protestation; i l est condamné avec sa
        
        
          femme et quelques paysans à quinze ans
        
        
          d'emprisonnement ; car on trouve à ce mo–
        
        
          ment dans le fleuve Euphrate, qui passe près
        
        
          de la campagne, le cadavre d'un Kurde noyé
        
        
          et on leur attribue ce crime.
        
        
          Il est difficile de décrire les méfaits des
        
        
          multézimes ; vous pourrez comprendre le
        
        
          reste par le récit d'un seul fait : un Turc
        
        
          nommé Kérime Agha vient s'établir dans
        
        
          la campagne d'Alidjan ; i l y fait nourrir
        
        
          ses quatre domestiques et ses quatre che–
        
        
          vaux ; alors qu'il n'avait droit qu'à deux cents
        
        
          kilés à peine d'après la loi, il parvient, grâce
        
        
          à des manœuvres, à prendre quatre cents
        
        
          kilés et faire un séleffe de quatre cents kilés •
        
        
          dans les campagnes; les habitants déjà criblés
        
        
          de dettes, ne savent comment faire dans cette
        
        
          condition ; peut-on échapper à tous ces mal–
        
        
          heurs quand celui qui règne est le même ;
        
        
          cela n'est encore rien à côté de ce que sup–
        
        
          portent les autres campagnes arméniennes
        
        
          où les souffrances sont quatre fois plus atro–
        
        
          ces, où i l n'existe ni nationalité, ni religion,
        
        
          ni respect à l'honneur ; le couteau a même
        
        
          brisé l'os.
        
        
          Perception d'impôt ! perception d'impôt !
        
        
          ce mot inspire une véritable terreur; le
        
        
          vali en personne aveevingtà trente soldats et
        
        
          avec des agents, s'en va dans les campagnes
        
        
          et perçoit l'impôt par des moyens coercitifs ;
        
        
          ces moyens consistent à faire pendre les fem–
        
        
          mes parleurs cheveux pendant des heures; à
        
        
          verser de l'eau chaude et de l'eau froide sur
        
        
          les prêtres et à les fouetter après les avoir
        
        
          attachés comme des animaux ; à cracher à
        
        
          la bouche, à la remplir d'ordures, etc.
        
        
          Le paysan veut bien payer ce qu'on lui
        
        
          réclame, niais que faire s'il ne possède rien ?
        
        
          lln'yavait que le nommé Ibo de Djibran qui
        
        
          manquait pour le malheur des Arméniens de
        
        
          la plaine de Mouch ; le voilà aussi arrivé. La
        
        
          campagne de Paghosse, près du couvent de
        
        
          Sourpe Garabed, habitée par des Arméniens
        
        
          et des Turcs ne pouvant supporter les méfaits
        
        
          du brigand, Mehmet-Ali, proteste à maintes
        
        
          reprises au gouvernement, mais en vain ; les
        
        
          habitants, désespérés, choisirent le plus petit
        
        
          des deux maux et ils le firent en donnant
        
        
          tous leurs biens immobiliers au susdit Ibo
        
        
          qui vint s'établir dans la susdite campagne
        
        
          et ordonna à tous les habitants que désor–
        
        
          mais l'Arménien qui s'adresse au gouverne–
        
        
          ment serait puni, que tous les procès doi–
        
        
          vent être portés devant. Ily a quelques jours,
        
        
          en rentrant chez lui, parti de la campagne
        
        
          d'Avran avec ses cavaliers (puisque lui-même
        
        
          est un kaïmakam hamidié), i l passe par la
        
        
          campagne de Haïgerse et emporte cent cin–
        
        
          quante poulets, six kilés d'orge et d'autres
        
        
          nourritures.
        
        
          Chaque campagne arménienne doit sup–
        
        
          porter tous les jours de tels malheurs; les
        
        
          Tcherkesses tuent un Arménien dans la cam–
        
        
          pagne Souloukh ; les paysans s'en vont protes–
        
        
          ter ; legouvernemenl,au lieu de rechercher l'as–
        
        
          sassin, cerne la campagne avec deux cents
        
        
          soldats sous le prétexte qu'il y avait là des
        
        
          Fonds A.R.A.M