Toute une série de faits pourraient
        
        
          être portés à la tribune en une pareille
        
        
          occasion ; tous attestent de la part du
        
        
          gouvernement français une fâcheuse
        
        
          tolérance envers la Bête Rouge. E n
        
        
          voici quelques-uns qui demanderaient
        
        
          explications.
        
        
          Pourquoi le gouvernement français
        
        
          a-t-il négligé de démentir le commu–
        
        
          niqué officiel inséré dans les journaux
        
        
          turcs et où Munir bey prête à M . Emile
        
        
          Loubet, président de la République,
        
        
          mensongè r emen t et calomnieusement,
        
        
          des propos élogieux pour les mêmes
        
        
          finances turques, incapables de payer
        
        
          de si minimes et anciennes créances ?
        
        
          Pourquoi le gouvernement français,
        
        
          représenté en l'espèce par M . Mille-
        
        
          rand, a-t-il donné à la Poste française
        
        
          de Constantinople l'ordre de ne plus
        
        
          recevoir le
        
        
          
            Mechveret,
          
        
        
          non plus d'ail–
        
        
          leurs que les autres journaux déplai–
        
        
          sant à Abd-ul-Hamid ?
        
        
          Pourquoi le gouvernement français
        
        
          vient-il de renouveler la faute commise
        
        
          il y a quatre ans, lorsque fut interdit
        
        
          le supplément turc du
        
        
          
            Mechveret
          
        
        
          et
        
        
          d'interdire aussi le supplément turc du
        
        
          
            Libéral ottoman?
          
        
        
          Il nous est d'autant
        
        
          plus aisé d'attirer l'attention sur ce
        
        
          point que nous connaissons les rédac–
        
        
          teurs de ce journal uniquement par les
        
        
          attaques, d'ailleurs courtoises, qu'ils
        
        
          dirigèrent contre nous.
        
        
          Ce n'est évidemment pas sans motifs
        
        
          graves que le gouvernement français
        
        
          laisse insulter le président de la Répu–
        
        
          blique par la presse de l'Assassin, que
        
        
          M. Millerand prend en faveur d'Abd-
        
        
          ul-Hamid des mesures coercitives con–
        
        
          tre le journal de M . Ahmed Riza dont
        
        
          il eut l'honneur d'être naguère l'un des
        
        
          conseils, que le ministre de l'Intérieur
        
        
          s'acharne contre des proscrits poli–
        
        
          tiques qui dénoncent simplement les
        
        
          crimes commis dans leur pays.
        
        
          Il y a plus. L a Porte en ce moment
        
        
          a donné des instructions à ses ambas–
        
        
          sadeurs pour que ceux-ci obtiennent
        
        
          des gouvernements auprès desquels ils
        
        
          sont accrédités l'extradition des réfu–
        
        
          giés politiques et la suppression totale
        
        
          des postes européennes en Turquie.
        
        
          Quelle sera en présence de ces inso–
        
        
          lentes exigences l'attitude du gouver–
        
        
          nement français ?
        
        
          Se déshonorera-t-il en expulsant les
        
        
          proscrits ottomans, en reconduisant à
        
        
          la frontière les fils de Mahmoud pacha
        
        
          qui sont en ce moment à Paris, en l i –
        
        
          vrant à Abd-ul-Hamid quelques-uns
        
        
          des Arméniens survivants qui se croient
        
        
          en sûreté chez nous ?
        
        
          Acceptera-t-il cette déchéance mo–
        
        
          rale de renoncer à un droit acquis
        
        
          comme celui d'avoir des bureaux de
        
        
          poste français en Turquie, droit très
        
        
          précieux et très utile, même quand i l
        
        
          est imparfaitement exercé et quand on
        
        
          laisse l'espionnage du Palais s'exercer
        
        
          impudemment à la poste de Galata.
        
        
          Et ce ne sont là encore que questions
        
        
          accessoires. Si un débat s'engage, i l
        
        
          se trouvera quelqu'un pour demander
        
        
          compte des atrocités commises, chaque
        
        
          jour, en terre a rmén i enne et réclamer
        
        
          l'application des traités.
        
        
          Il se trouvera quelqu'un pour lire à
        
        
          la tribune des fragments de ces lettres
        
        
          poignantes que nous publions, sans
        
        
          crainte de lasser par la répétition des
        
        
          même s horreurs, celle-ci par exemple,
        
        
          l'une des dernières datée d'Adana,
        
        
          9
        
        
          mars :
        
        
          L a campagne de Nadjarli, d'environ
        
        
          cent cinquante maisons habitées par des
        
        
          Armé n i e n s , à une distance de six heures
        
        
          de Tchok Marzouan et de douze lieues d 'A–
        
        
          dana, bien connue pour s'être défendue
        
        
          toute seule et hé r o ï quemen t pendant les
        
        
          massacres de
        
        
          
            1895-96,
          
        
        
          devient aujourd'hui
        
        
          le théâtre d'un fait digne d'attirer l'atten–
        
        
          tion et qui cause beaucoup d'anxiété à
        
        
          tous les Armé n i e n s .
        
        
          Le gouvernement médite déjà depuis
        
        
          longtemps de les déloger. Cette fois, voici
        
        
          comment i l réalise son but.
        
        
          Plus de cinquante familles turques vien–
        
        
          nent de nuit à Hamidié avec des armes
        
        
          et des chariots et s'installent dans les
        
        
          champs vastes et ensemencés de cette
        
        
          campagne. Le lendemain les habitants les
        
        
          virent dévaster les champs qui promet–
        
        
          tent une bonne moisson et construire des
        
        
          maisons pour leur habitation.
        
        
          Les Armé n i e n s consternés accourent
        
        
          pour s'opposer à la violation de leurs
        
        
          droits ou demandent des explications. Les
        
        
          Turcs leur déclarent avec des paroles me–
        
        
          naçantes qu'ils agissent
        
        
          
            
              par ordre du
            
          
        
        
          
            
              gouvernement
            
          
        
        
          et qu'au lieu de vaines
        
        
          disputes, ils aillent protester.
        
        
          Les paysans en colère veulent défendre
        
        
          leurs droits et leurs possessions par les
        
        
          armes; mais le p r ê t r e les en empêche. On
        
        
          s'adresse au gouvernement de Pajas et
        
        
          d'Adana : mais en vain.
        
        
          L a campagne est en agonie. Une lutte
        
        
          de désespoir est inévitable; certes ce sont
        
        
          encore les pauvres Armé n i e n s qui en se–
        
        
          ront les victimes. Chers frères, pourriez-
        
        
          vous penser à quelque expédient pour
        
        
          eux? I l ne faut pas perdre de temps. S i
        
        
          vous pouvez être utile et par l'aide des
        
        
          Puissances donner un espoir de salut aux
        
        
          pauvres A rmé n i e n s , cbers frères, i l est
        
        
          temps, hâtez-vous, l a ruine est proche.
        
        
          Peut-être l a lutte sera-t-elle engagée au
        
        
          moment où vous recevrez cette lettre.
        
        
          Partout à Aïntab, à Sassoun, à Der-
        
        
          sim, à Zeïtoun, où des blockhaus neufs
        
        
          viennent d'être achevés, la destruction
        
        
          des Arméniens se poursuit lentement
        
        
          et sûrement. Cela serait p r ouvé aussi
        
        
          bien que le déni de justice à l'égard de
        
        
          quelques banquiers français dans une
        
        
          interpellation trop facile à « motiver »,
        
        
          pour reprendre l'expression même du
        
        
          
            Temps.
          
        
        
          Et on démontrerait sans peine alors
        
        
          aux personnes non sentimentales qui
        
        
          observent surtout le cours des rentes
        
        
          et valeurs qu'un nouveau massacre
        
        
          aurait une répercussion certaine sur
        
        
          les fonds turcs, que la banqueroute en
        
        
          résulterait peut-être, que l'extermina–
        
        
          tion d'un peuple producteur par excel–
        
        
          lence compromettrait gravement la
        
        
          prospérité déjà caduque des finances
        
        
          ottomanes, et enfin que le désespoir
        
        
          irrémédiable peut pousser quelques
        
        
          individus à des résolutions terribles et
        
        
          dangereuses pour la Caisse, seule r é –
        
        
          vérée des gens pratiques.
        
        
          Alors ceux-là aussi interviendraient
        
        
          et en vue de se garder un peu d'or,
        
        
          exigeraient que l'Assassin cessât de ré–
        
        
          pandre le sang : i l ne leur déplairait
        
        
          même pas de donner par aventure à
        
        
          leur sage opération financière une ho–
        
        
          norable apparence de philanthropie.
        
        
          
            PIERRE QUILLARD.
          
        
        
          Gaz ette hebdomadaire
        
        
          
            P A R
          
        
        
          
            G. CLEMENCEAU
          
        
        
          
            A d m i n i s t r a t i o n :
          
        
        
          7
        
        
          
            ,
          
        
        
          
            r u e C a r d i n e t , P a r i s
          
        
        
          
            ABONNEMENT
          
        
        
          :
        
        
          France et Colonies .
        
        
          —
        
        
          Etranger
        
        
          25
        
        
          fr.
        
        
          20 —
        
        
          Fonds A.R.A.M