de ne pas agir de la sorte, étant donné
qu'un
certain nombre de Belges
avaient des intérêts commerciaux dé–
pendant de la Cour ottomane!
Naturellement, l'opposition ne man–
qua pas de rappeler les actes de celui
dont on esquissait timidement la dé–
fense, d'évoquer, devant la majorité
catholique, silencieuse et morne, les
massacres d'Arménie ; mais, le prési–
dent nous rappela à l'ordre, menaça
de nous retirer la parole, si nous con–
tinuions à « outrager un gouvernement
.
ami » ; bref, pour échapper à ces
rigueurs réglementaires, i l ne nous
resta pas d'autre ressource que de
substituer à nos appréciations person–
nelles le jugement des hommes d'État
anglais et la lecture de documents offi–
ciels, dont la saissante éloquence se
passait aisément de commentaires.
Mais, au vote, nous fûmes seuls.
Les députés catholiques qui pensaient,
au fond, comme nous, sacrifièrent leur
pensée intime aux intérêts commer–
ciaux, qui leur tenaient bien plus à
cœu r . A l'exception d'un seul, qui osa
joindre ses protestations aux nôtres,
tous restèrent silencieux, silencieux
comme le pape l u i -même , oubliant,
une fois de plus, la parole de l'apôtre :
«
Ton frère, couvert de plaies, implo–
rait ton appui ; tu ne l'as pas sauvé,
donc tu l'as tué ! »
L a même scène, d'ailleurs, avec des
variantes accessoires, s'est produite
dans tous les Parlements. Démocrates
et socialistes sont restés seuls pour
flétrir
les massacres
d 'Armén i e ,
comme tous les autres abus de la
force, commis dans ces dernières
années. Il ne faut pas se dissimuler
que, dans l'avenir, i l en sera comme
par le passé, mais c'est une raison de
plus pour que nos protestations re–
doublent d'opiniâtreté et d'énergie.
Jusqu'à présent, toutefois, force
nous est de reconnaître que, dans ces
protestations, les socialistes — à de
rares exceptions près — ont, trop sou–
vent, fait preuve de plus de bonne
volonté que de connaissances exactes
et précises sur les événements qui se
produisaient en dehors de chez eux.
Aussi importe-t-il — et nous ne pou–
vons qu'appuyer énergiquement ceux
qui l'ont dit avant nous — importe-t-il
que, désormais, le socialisme ait une
politique internationale plus nette et
mieux informée.
A ce point de vue, le bureau socia–
liste international peut jouer un rôle
considérable; mais, pour que son ac–
tion ait toute la portée que nous avons
le droit d'en attendre, i l faut que des
relations, de plus en plus fréquentes,
de plus en plus intimes, s'établissent
par son intermédiaire — entre les
délégués des divers partis nationaux.
En réclamant son intervention à pro–
pos des événements de Russie, les d é –
légués russes et français ont donné un
exemple à suivre. Nous espérons fer–
mement qu'il en sera de même à l'ave–
nir, pour tous les conflits dans lesquels
le socialisme doit remplir la haute mis–
sion qu'il s'est assignée : être le défen–
seur de tous les opprimés, sans distinc–
tion de culte ou de race.
Fraternellement vôtre.
E M I L E V A N D E R V E L D E .
LA QUINZAINE
Les jours prédits par M . Pau l Cam–
bon seraient-ils proches? Dans une des
dépêches adressées par lui à son gou–
vernement avant la guerre turco-
grecque, i l laissait entendre que tous
les conseils donnés au Sultan seraient
vains, que les cabinets européens
n'agiraient que pressés par l'opinion
publique, et que celle-ci, assez facile–
ment dupée sur les massacres d 'Ar –
ménie, de Crète et de Macédoine, pour–
rait s'émouvoir brusquement pour des
motifs d'un intérêt plus grossier et
plus immédiat. Il ajoutait :
Quand les financiers s'apercevront que
le crédit de la Turquie peut être mortelle–
ment atteint, et que les petits capitalistes
trembleront pour leurs valeurs ottomanes,
alors tous les gouvernements seront obligés
de regarder du côté de l a Turquie.
Déjà les financiers allemands ou tout
au moins leurs représentants auprès
de l à Dette Publique manifestent quel–
que inquiétude au sujet des avances
faites lors du Baïram, et qui risquent
fort de n'être jamais r embou r s ée s .
En France même , bien que Munir
bey se vante, non sans quelque raison,
d'avoir acheté l'universel silence de la
presse, un avertissement comminatoire
est adressé au Sultan par
Le Temps,
journal modéré s'il en fût. Des ban–
quiers français établis à Constantinople
avaient prêté en 1875 des sommes re–
présentant, capital et intérêt, 500,000
livres turques : ayant en vain tenté de
se faire payer, ils obtinrent en 1882 un
jugement condamnant le gouverne–
ment turc au paiement intégral de la
somme due.
Depuis lors, déma r che s sur déma r –
ches, intervention sur intervention,
M . Constans, le 13 décembr e 1890,
exposa les réclamations des créanciers
français au Sultan l u i -même , qui fei–
gnit de s'émouvoir et d'ignorer les faits,
puis ordonna de constituer une com–
mission. L a commission se réunit deux
fois le 23 décembr e et le 2 janvier, et
s'ajourna
sine die.
Cependant, sur
un emprunt de 75 millions fait à la
Deutsche Bank , 40 millions étaient
affectés à payer des créanciers alle–
mands, anglais et italiens. C'est i c i que
Le Temps
s'indigne :
Seuls les créanciers français n'ont rien
reçu. Pourquoi cette différence de traite–
ment qui blesse notre dignité nationale ?
Le mauvais vouloir de certains fonction–
naires turcs est seul en cause évidemment.
Mais i l importe que l'ambassadeur de
France reçoive de son gouvernement
l'ordre de mettre le sultan au courant per–
sonnellement des procédés dilatoires de
ses agents, et l u i fasse comprendre com–
bien i l serait regrettable de laisser porter
à la tribune française les faits que nous
venons de rappeler, à l a faveur d'une i n –
terpellation trop facile à motiver.
I l d é p e nd du sultan qu'il en soit autre–
ment.
11
n'est même pas nécessaire de lire
entre les lignes : l'attaque directe vise
la seule personne responsable : on lui
signifie qu'étant peu désireuse d'attirer
l'attention sur elle, i l serait regrettable
que son nom fût p r ononcé à la tribune
f r ança i s e .Qu i s a i t s i undéba t commencé
à propos d'une simple affaire de créance
à recouvrer ne dévierait pas vers d'au–
tres questions plus hautes et qui inté–
ressent à meilleur droit
la dignité na–
tionale.
Fonds A.R.A.M