six cents cas ainsi signalés furent réglés au
mieux. Quanta la collaboration des agents
civils et des officiers étrangers, qui donc a
jamais osé dire qu'elle ne fut pas toujours
parfaite et que le général de Giorgis songea
même à donner sa démission? L'entente
fut tellement harmonieuse qu'elle n'éveilla
pas seulement la confiance de la population
mais qu'elle influa sur les autorités et de
plus en plus « on est convaincu qu'un re–
tour à l'ancien état de choses est devenu
impossible. »
Donc la situation s'améliore de jour en
jour; les paysans se sont remis à leurs tra–
vaux et le commerce a pris un essor comme
on ne lui en connut pas depuis plusieurs
années. Les réfugiés? Si l'on excepte le v i –
layet d'Andrinople, plus de G.ooo person–
nes, c'est-à-dire
86
o/o de la population
émigrée sont rentrées dans leurs foyers.
Cependant la note officieuse signale quel–
ques points noirs : les réformes ne s'accom–
plissent pas toutes seules; elles rencontrent
divers obstacles : résistance des cercles gou–
vernementaux, propagande
révolution–
naire, hostilité entre les diverses confes–
sions chrétiennes, enfin situation financière.
C'est de ce côté que va porter l'effort pro–
chai n. Les revenus des trois vilayets don–
neraient, selon l'inspecteur général, une
plus-value de
i 5
millions si les finances
étaient bien administrées. Mais l'augmenta–
tion des effectifs militaires et la contribution
insuffisante des caisses d'Etat ont entière–
ment ruiné la situation financière des pro–
vinces. Pendant toute la dernière période ni
les appointements des fonctionnaires ni la
solde des troupes n'ont pu être payés régu–
lièrement : le retard normal est de trois à
quatre mois.
D'autre part la reconstruction des mai–
sons est une condition nécessaire du réta–
blissement d'un ordre de choses régulier et
cette reconstruction n'est possible que
moyennant une forte subvention d'Etat.
Tout au moins les appointements de la
gendarmerie sont-ils assurés.
28 0/0
des gendarmes sont chrétiens et
jusqu'ici aucune plainte n'a été formulée
contre ce corps à peu près réorganisé. Il en
est de même du corps des gardes champê–
tres qui donnait motif à tant de plaintes.
Les violences des Arnautes sont devenues
plus rares et le personnel judiciaire a été
augmenté; l'élément chrétien s'est accru
parmi les fonctionnaires (3
11
jusqu'à la fin
de juillet). L'amnistie a eu lieu et a porté
sur
2000
personnes. L a réforme de la dîme
est commencée et c'est un honneur pour
Hélim-Pacha d'en avoir esquissé le projet.
Aussi les agents civils ne cachent pas
l'admiration qu'ils ont pour leur œuvre et
leur admiration s'étend même jusqu'au
panégyrique d'Hilmi-Pacha. Mais les faits
démentent la trop flatteuse opinion qu'ils
cherchent à répandre en Europe sur leur
action réelle. Et même à lire entre les
lignes, ils reconnaissent implicitement
leur faillite quand ils constatent que les
autorités turques entravent leurs projets,
que la propagande révolutionnaire n'a pas
cessé, que les luttes entre exarchistes et
patriarchistes sont aussi vives que jamais et
surtout que l'état des finances demeure dé–
plorable.
En cela ils disent la vérité. Hilrni-Pacha
lui-même, dans une entrevue récente avec
un correspondant du
Matin
(27
novembre),
déclare sans ambages que l'Europe est
cause de tout le mal, qu'elle a traité en
héros des gens qui sont des bandits et qu'au
contraire elle se montre injuste envers le
gouvernement paternel du Sultan. La pro–
pagande révolutionnaire n'a pas cessé non
plus : le manifeste de
YOrganisation
inlé-
rieurele
proclame sans réticence; mais il y
eu une sorte de trêve volontaire et le mo–
ment venu, les bandes circuleront de nou–
veau dans le pays. Les luttes entre exar–
chistes et patriarchistes sont également trop
réelles et trop fréquentes et i l est navrant de
voir une partie de la population opprimée
faire le jeu des oppresseurs.
Pour la situation financière, outre les
aveux de la note viennoise, il suffit d'enre–
gistrer la série d'émeutes militaires qui se
produisent presque quotidiennement pour
cause de non paiement des soldes.
Et i l ne s'agit que de la Macédoine propre.
Mais on ne peut pas oublier que le vilayet
d'Andrinople exclu des réformes, sans doute
pour s'être soulevé trop tard, a terriblement
souffert. L'accord turco-bulgare y devait
ramener un peu de calme : mais cet accord
n'est pas plus exécuté que le programme de
Muerzteg : non seulement les perquisitions
et arrestations de suspects continuent, mais
les dix mille réfugiés, dont le rapatriement
avait été convenu, sont toujours en Bulga–
rie et risquent d'y demeurer longtemps en–
core. En effet, i l est très difficile au gouver–
nement turc de tenir la promesse faite en
avril : dans les districts de Malko Tirnovo,
de Lozengrad et de la région voisine d'An–
drinople, des Musulmans se sont emparés
des terres et des maisons abandonnées et i l
faudrait d'abord les en déposséder; là-dessus
le ministère bulgare se fâche et le président
du Conseil Petrof adresse des notes très
dures à la Porte pour exiger l'exécution du
contrat. En même temps la Principauté à
qui les seuls émigrés d'Andrinople coû–
tent
180.000
francs par mois contracte un
nouvel emprnnt qui sera très probablement
destiné à compléter le matériel de guerre.
Ainsi l'inertie des puissances qui n'ont
pas su mettre à profit le temps de répit que
leur avaient laissé les insurgés macédo–
niens, de propos délibéré, aura rendu pos–
sible une reprise de l'action révolutionnaire
et la principauté bulgare qui était allée à
l'extrême limite des concessions dans l'ac–
cord Natchévitch se trouvera peut-être bon
gré mal gré entraînée à des aventures belli–
queuses qui risqueront d'amener une con–
flagration générale, et faute d'avoir à temps
fait entendre à Yldiz les paroles de menace
indispensables, les puissances signataires
du traité de Berlin laisseront se déchaîner
en Orient une crise redoutable, alors qu'elles
ont pu jusqu'ici échapper aux répercussions
de la guerre russo-japonaise.
D
A N S L '
Y
É M E N .
—
La convention pour le
règlement du litige touchant l'Hinterland
d'Aden allait être, disait-on, signée inces–
samment entre la Turquie et l'Angleterre.
On avait compté sans Hamid qui prétend
employer là aussi les moyens dilatoires. Il
espère reprendre le dessus et venger les
défaites que lui a infligées autant qu ' à Ibn-
Raschid le chef Ibn-Saïd : une expédition
se prépare même contre Ibn-Saïd qui semble
de connivence avec l'Angleterre. Mais i l
n'est pas certain que le gouvernement bri–
tannique se prêtera complaisamment aux
desseins de Sa Majesté Impériale et on an–
nonce, au contraire, que si la Convention
n'est pas ratifiée dans un délai assez court,
des troupes anglaises seront expédiées aux
points désignés par la Commission mixte
de l'hinterland d'Aden et en chasseront les
garnisons turques. C'est ainsi qu'une fois
de plus le Sultan aura mérité le nom de
Ghazi, qui veut dire victorieux, en se lais–
sant arracher un nouveau lambeau de son
empire qu'il aurait pu conserver s'il avait
tenu à l'égard des tribus arabes demi-sou-
miî-es une politique moins oppressive.
L ' A
F F A I R E D E
S
C U T A R I .
—
On a mainte–
nant des détails sur l'affaire de Scutar :
venant après celle de Salonique, elle jette
sur l'état de la décomposition hamidienne
une lumière révélatrice.
Les officiers, un beau jour de novembre,
étaient allés réclamer leur arriéré de solde
de quatre mois : « Para yok »(Pas d'argent),
répondit laconiquement le gouverneur gé–
néral. Sur quoi trente officiers s'emparèrent
du bureau télégraphique et, le revolver au
poing, obligèrent le directeur du télégraphe
à envoyer au sultan un télégramme très res–
pectueux : il demandaient si vraiment
c'était par son ordre qu'on ne les payait
point ou si quelqu'un, à Constantinople,
retenait l'argent; il exposaient leur grande
misère et faisaient observer que leurs fa–
milles manquaient de pain. Ils demandaient
une réponse: le
10
novembre arriva l'ordre
de payer un mois et d'en acquitter un autre
le jour du Baïram. Pendant les trois jours
qui précédèrent la réponse impériale, les
officiers, maîtres du bureau télégraphique,
s'opposèrent à la transmission d'aucune
dépêche.
Fonds A.R.A.M