P R E M I È R E A N N É E .
—
N°
n .
Le numé r o : France,
40
cent. — Etranger :
50
cent.
25
A V R I L
1901
Pro
Armeni a
R é d a c t e u r en chef :
P i e r r e
Q U I L L A R D
Adresser
tout ce ajui concerne la direction
à
M.
Pierre Quillard
IO, rue Nollet, P a r i s
A B O N N E M E N T S :
France
8 »
Étranger
10 »
paraissant le 10 et le 25 de chaque mois
C O M I T É D E R É D A C T I O N :
Q. Clemenceau, Anatole France, Jean Jaurès
S e c r é t a i r e de r é d a c t i o n :
J e a n L O N G U E T
Vendredi
de 11 h. à midi, 17, rue Cujas
Francis de Pressensé, E. de Roberty
Pro Armenia
est en vente chez les libraires et dans les principaux kiosques de Paris.
ADMINISTRATION :
Société nouvelle de Librairie
et d'Édition
(
Librairie G. BELLAIS)
17,
rue Cujas, P A R I S
TÉLÉPHONE : 801-04
SOMMAIRE:
Lettre de
É. Vandervelde,
député au Parlement
belge
La Quinzaine
P. Quillard.
Journalisme constantino-
politain
Georges Dorys.
Lettres d'Adana et de
Moucli
Nouvelles d'Orient :
En Macédoine. — Dans
l'Yémen. —Trésor vide.
—
Police turque. — Con–
damnation à mort. . . . P . Q.
A propos d' « Abd-ul-Ha–
mid intime »
A. Adossidès.
Une Lettre d'Emile Vandervelde
Député au Parlement belge
Reaulieu (Alpes-Maritimes), 14 avril 1901.
Mon cher Longuet,
Je me trouvais, cette après-midi,
entre Nice et Menton, sur les hauteurs
de la Corniche. Au fond de la baie de
Villefranche, un cuirassé russe, à large
panse, barrait, de sa masse grisâtre,
l'entrée du port. Vers la haute mer, au
large du cap Fe r r â t , l'escadre italienne,
venant de Toulon, défilait, en ordre de
marche, toute blanche sous le soleil,
comme une bande de canards sur un
grand lac bleu. Du côté de la terre, au
Mont Agel, à la Tête de chien, au Mont
chauve d'Aspremont, se dissimulaient
les batteries françaises, et, devant une
casemate, sur les accotements de la
route, trois ou quatre « pantalons
r ouge s» , baïonnette au fusil, station–
naient dans l'attente éternelle d'éven–
tualités hostiles.
Partout, dans ce beau pays embaumé
par la floraison printanière, l'image de
la Force, brutale et sournoise ; la paix
a rmé e , la
guerre immobile,
saluant les
nations rivales, derrière la gueule de
ses canons, menaçan t les peuples du
dehors, dominant les peuples du de–
dans.
Devant cette synthèse internationale
d e l à civilisation capitaliste, j ' a i pensé
à vous, mon cher ami, à votre lettre,
me demandant un article,
Pro Armenia,
une protestation, après tant d'autres,
contre cette Force, qui, là-bas, du côté
de i'Est,plus sournoise et plus brutale
encore, prétend achever l'assassinat
d'un peuple, avec la complicité passive
des autres gouvernements.
Et je me suis demandé , une fois de
plus, car, fatalement, cette préoccu–
pation angoissante doit nous revenir
sans cesse : Que pouvons-nous? Que
peuvent nos protestations lointaines,
nos colères à distance, nos r ép r o –
bations platoniques? Ne sont-elles pas
inévitablement
condamnée s à se
perdre dans l'indifférence, à se briser
contre d'infranchissables murailles?
S'il en était ainsi, cependant, si
notre action était radicalement ineffi–
cace, ceux qui disposent, ou qui sem–
blent disposer, de la toute-puissance
de commettre tous les crimes, ne ma–
nifesteraient pas les craintes qu'ils
manifestent, ne feraient pas tous les
efforts qu'ils font, ne dépenseraient
pas tout l'or qu'ils dépensent, pour
empêche r que la parole de solidarité
parvienne à ceux qu'ils oppriment,
pour éviter que le jugement de la
conscience publique soit publiée
jusque dans leurs États.
Il faut donc, sans relâche, sans
trêve, sans crainte de se répéter,
puisque les même s actes, hélas! se
répètent, protester, dénoncer, mettre
à jour, et les crimes accomplis, et les
crimes que l'on veut accomplir.
Il le faut, avec une opiniâtreté d'au–
tant plus grande que seuls, aujour–
d'hui, les hommes et les partis d'op–
position sont là pour parler quand les
autres se taisent. Le temps des Glads–
tone n'est plus. Aux ministres qui ont
laissé faire, en Arménie, ont succédé
les ministres que le gouvernement du
tsar décore d'une main, tandis que,
de l'autre, i l assomme les étudiants et
les ouvriers de Pétersbourg. Les r a i –
sons d'Etat étouffent les raisons du
cœu r . Les préoccupations d'alliance
l'emportent sur les préoccupations
d ' human i t é . Souvent même — nous
l'avons vu r écemmen t dans notre
petite Belgique — i l n'en faut pas tant
pour acheter les silences.
Lor squ ' i l y a deux ans, l'ambassa–
deur de Turquie, Caratheodory pacha,
réclama l'expulsion d'Ahmed-Riza,
dont le seul crime était de publier, à
Bruxelles, le
Mechveret,
hostile au ré–
gime hamidien, notre gouvernement
clérical s'empressa d'obéir, et, quand
les radicaux et socialistes l'interpel–
lèrent, protestant avec véhémence
contre pareille mesure, le ministre
des affaires étrangères laissa entendre,
ingénument, qu'il avait été impossible
Fonds A.R.A.M