lions aux chefs d'Etat, aux ministres
et à toutes les valetailles officielles,
celui que Gladstone appelait « le Grand
Assassin » a repris lentement et pa–
tiemment son œuvr e maîtresse, l'ex–
termination méthodique de la race
a rmén i enne .
Aux grands massacres ont succédé
les tueries partielles, et la mort orga–
nisée par le moyen de la faim et de la
misère, par la torture et la pendaison
clandestine dans les prisons ottomanes.
Pour que ses sujets a rmén i ens périssent
plus certainement sur le territoire qu'il
a assigné à leurs cadavres, le Sultan
leur interdit de circuler, même de
village à village ; et s'il advient qu'en
une région quelconque de son empire
ses fonctionnaires dévoués se plaisent
à accaparer les blés ou à en interdire
le transit avant l'hiver, saison où toutes
les routes sont coupées, c'est ainsi la
mort assurée par la famine pour des
milliers de malheureux.
Cependant par instants i l y a des
signes qu'Abd-ul-Hamid préfère en
revenir aux procédés sommaires, et
c'est précisément parce que la situation
actuelle présente les plus grandes ana–
logies avec la situation de 1894-1895
que nous publions cette revue-:
Pro
Armenia;
nous savons que tous les
peuples soumis au Sultan souffrent du
plus épouvantable des despotismes et
comptent leurs victimes par milliers ;
mais la race a rmén i enne est vouée à
une très proche et très rapide dispa–
rition, si l'appel que nous adressons
au monde civilisé n'est point entendu ;
et comme d'autre part i l y a des traités
formels qui
obligent
les puissances à
intervenir en sa faveur, nous préten–
dons empêcher l'accomplissement de
tout le crime, en indiquant le r emède
immédiat.
Plus tard, nous nous bornerons à
commenter simplement selon les prin–
cipes indiqués aujourd'hui les nou–
velles venues de la terre des douleurs.
Il faut d'abord montrer : 1° que la
situation est aujourd'hui la même qu'à
la veille des grands massacres et qu'une
crise de meurtres est imminente; 2° que
le Sultan est personnellement respon–
sable des crimes commis dans l'empire
ottoman ; 3° que les Puissances peuvent
mettre fin à cette sanglante orgie en
faisant exécuter les traités et en exi–
geant l'application de quelques r é –
formes élémentaires préconisées' par
elles-mêmes.
La situation est aujourd'hui la même
qu'à la veille des grands massacres.
Ainsi qu'enl8941es tueries de Sasoun
(
vingt-deux villages détruits, six
mi l le morts)
préludèrent aux mas–
sacres des années suivantes, la récente
affaire de Spaghank et des événements
connexes annoncent que la mé t hode
violente va remplacer à nouveau la
mé t hode sournoise. E n 1894, les Ku r –
des, les hamidiés et les soldats régu–
liers avaient collaboré à la destruction
sauvage de tout un pays : ils viennent
de travailler en commun à Spaghank
au mois de juillet dernier, et c'est à
peine si les détails commencent à nous
parvenir.
Spaghank est situé dans la région
même de Sasoun, à proximité de Guel-
lieh-Guzan, où le 10 octobre 1894, en
présence de Zékhi-Pacha, deux cents
Arméniens sans armes, attirés par des
promesses mensongères, furent poussés
à coups de baïonnettes dans une fosse
préparée à leur intention. Le chef
kurde Khalil-Beshir avait l'an dernier
échoué dans une tentative contre le
village. Cette année i l avisa Ali-Pacha,
gouverneur militaire deBitlis, que« des
révolutionnaires a rmén i ens se trou–
vaient aux alentours ». Aussitôt le pacha
cerna le village avec l'assistance de ses
fidèles alliés Kurdes. En vain quelques
jeunes gens essayèrent de se défendre:
le village fut pris. Ali-Pacha se saisit
d'aborddu prêtre, âgé de quatre-vingt-
un ans et de quelques paysans, et
voulut leur faire dire par la torture
«
où setrouvaientles révolutionnaires ».
Comme les malheureux ne pouvaient
r épondr e , l'ordre du massacre fut
donné ; un grand nombre d'habitants
s'étaient réfugiés dans l'église : selon
la tradition inaugurée à Chabin-Kara-
Hissar et à Oxfa
(
trois mi l le morts
en une seule flambée, janvier 1896),
l'église fut incendiée avec ceux qui y
avaient cherché asile. Puis le village
fut entièrement détruit : en 1894 on y
avait bien tué des enfants de neuf ans
comme le petit Ki r ko r , et de quatre
ans comme le petit Katchadour ; mais
tout n'avait pas été exterminé. Cette
fois la destruction est complète. Les
rapports consulaires évaluent le chiffre
des morts à
200
;
les informations lo–
cales le portent à
600,
chiffre plus
probable : quant à la version otto–
mane, elle n'avoue que
10
cadavres,
dans un rapport d'Ali-Pacha qui se
termine ainsi :
U n certain nombre de révolutionnaires
a rmén i en s ayant fait face dans le village
de Spaghank à la troupe impériale, je les
ai cernés près de l'église, io Armén i en s
étant tués et 8 pris vivants, la sécurité et
la paix régnent aujourd'hui grâce à Sa
Majesté le Sultan.
Pour complaire sans doute à notre
ambassadeur M . Constans, qui honore
Abd-ul-Hamid d'une scandaleuse ami–
tié et bienveillance, le correspondant
constantinopolitain d'un journal fran–
çais va plus loin encore qu'Ali-Pacha
et réduit à
8
le nombre des morts.
Mais les dénégations de l'assassin ne
serviront de rien : les rapports consu–
laires sont entre les mains de Lo r d
Salisbury et i l faut espérer que celui-
ci les publiera bientôt et ne rapportera
pas l'anathème lancé par l u i jadis con–
tre le Sultan.
E n même temps, le ministre de la
police Chefik-Bey, le sauvage prési–
dent des tribunaux qui sévirent à Cons-
tantinople, à Angora et à Yozgat, le
chef de la délégation ottomane à Sa–
soun, fait honneur à son passé et a
établi à Constantinople le régime de
la terreur : i l arrête les Arméniens par
centaines pour leur extorquer de l'ar–
gent ou pour gagner la faveur du
maître par la répression de complots
imaginaires. On sait ce que sont les
prisons turques où on laisse des armes
aux détenus bien pensants qui se cou–
vrent de gloire par le meurtre d'Ar–
méniens soigneusement désarmés : les
journaux turcs relataient r é c emmen t
deux meurtres commis dans la prison
de Biledjik, le mois dernier, et en
témoignaient une surprise naïve.
Dans les provinces, la misère et la
détresse sont à leur comble : on se
Fonds A.R.A.M