Nos combattants avaient perdu la tête en voyant
le nombre des soldats, quand la voix du com–
mandant de la bande se fit entendre : « Cama–
rades, l'ennemi ! » L'ennemi s'était approché
de la muraille. Les
16
soldats qui, sortis de
leurs tentes faisaient feu sur nous, furent cernés
immédiatement et exécutés. Un peu plus loin,
une bombe lancée par Hamo, près de la grange,
fit des ravages considérables.
Après deux heures de combat acharné; après
le feu continu des bombes et des mauser, il
régna un silence de mort. Un petit nombre de
soldats avaient pu se dérober par une petite
porte qui se trouvait derrière la caserne et se
rendirent dans le village où ils cherchèrent un
refuge. Tous les autres avaient péris. Après ce
long silence, ce furent des jeunes gens sortant
armés des maisons du village, qui vinrent nous
apprendre l'évasion de quelques soldats turcs.
Ceux-çi s'étaient réfugiés dans leurs maisons et
avaient porté atteinte à la dignité du foyer.
Cette nouvelle augmenta la fureur des
fédaïs. Dans les rues et les maisons, nos
hommes firent des perquisitions et tuèrent un
certain nombre de soldats. Le village fut com–
plètement délivré de ces gens. Dans ce combat,
à Mossoun, de
120
à
i3o
soldats turcs tombè–
rent sous les balles des fédaïs. Les nôtre sont eu
1
mort et
2
blessés.
Au pied des hauteurs nommées Tchcnglner,
vers le nord-ouest, se trouve un vallon qui, se
rétrécissant dans sa longueur, aboutit à Ressi-
Gomer par une tranchée montagneuse d'où en
traversant le passage très étroit, on tombe dans
un chem;n conduisant à Mossoun puis à Baya–
zid. C'est dans ce vallon que se .trouve la caserne
de Zori dans laquelle il y a habituellement de
40
à
5
o
soldats. Outre cette caserne, sur un ter–
rain plat situé entre la jonction des trois
branches du vallon, se trouvent
60
tentes occu–
pées par un achiret kurde. L'attaque de cette
caserne était confiée à la bande « Massis ». Le
commandant attachait une importance considé–
rable à la garde de la tranchée montagneuse,
surtout au cas où aux soldats se réuniraient
les Kurdes.
Le
12
juillet les dizaines de la bande ont
occupé des positions depuis l'entrée de la
tranchée montagneuse jusqu'aux tentes. Nos
fédaïs attendaient le signal du commandant,
qui attendait à son tour le moment d'attaquer
Mossoun. Dix hommes de la bande surveillaient
les hauteurs pour ne pas permettre à l'ennemi
d'occuper ces positions. On n'a pas attendu
longtemps pour attaquer Mossoun. Les pre–
mières bombes lancées par les nôtres retenti–
rent. La sentinelle de la gendarmerie réveillée •
par le grondement inaccoutumé des bombes,
fit feu. Les soldats sortirent aussitôt avec leurs
fusils ; des Kurdes accoururent également,.et
tous se précipitèrent vers l'entrée de la tranchée
montagneuse. Le moment était propice ; sur
un signa! une averse de balles plut sur l'en–
nemi. Des cadavres s'entassèrent les uns sur les
autres et la panique régna dans le vallon chez
les soldats et les Kurdes, qui furent terrassés à
leur tour par une nouvelle averse de balles.
La fusillade dura jusqu'à l'aurore. A u lever du
jour on voyait à la place des soldats de nom–
breux cadavres.
De ce carnage il n'y eut que quelques survi-
van'.s, qui ayant pris possession d'une position
sur la colline de Ressi-Gomez, tiraient de
temps en temps des coups de fusil. Il-y avait
là des femmes et des enfants, qui sortis des
tentes s'étaient retirés sur les collines du côté
opposé. Il y avait ordre à nos fédaïs de les
épargner. Après deux heures de combat, le
vallon se tut et nos fédaïs se retirèrent de leurs
positions. Après quoi commença le combat
long et obstiné de la journée.
La population fugitive de Mossoun, au nom–
bre de
5
oo,
protégée et conduite par deux
dizaines de nos fédaïs, montait vers les posi–
tions de Tehngli.
Les assauts nocturnes des nôtres et le car–
nage considérable que nous avons fait dans le
camp de l'ennemi avaient mis sur pied les achi–
rets kurdes et les soldats des environs. Les
nôtres furent cernés de tous les côtés par des
Kurdes et des centaines de soldats, piétons et
cavaliers. Deux canons étaient placés sur la
plaine. Le bombardement ne leur servit à rien.
La plaine étendue devant Mossoun se remplit
de Kurdes et de soldats turcs.
Les fédaïs montèrent sur les hauteurs et
occupèrent peu à peu des positions. Ils faisaient
pleuvoir stu" l'ennemi des balles qui faisaient
chaque fois de nombreuses victimes.
Les combats de cette mémorable journée sont
remarquables par la quantité de victimes que
l'ennemi a laissées. De ncs fédaïs, deux seule–
ment périrent.
Un cheik Kurde ayant avec lui une foule
nombreuse et enragée, atiaqua les positions de
Vahan, de Papghen, de Hamo et de Gareghime,
mais il fut reprussë par nos fédaïs. Les Kurdes
ont subi de nombreuses pertes.
L'attention de l'ennemi se tourna du côté de
la position de Papghen. Le petit nombre des
fédaïs d'un côté, de l'autre côté les fatigues d'un
combat acharné et continu, en même temps le
nombre de l'ennemi de plus en plus grandis–
sant, créèrent pour les nôtres une situation des
plus critiques.
Nos quatre braves, Papghen,Vahan, Hamo et
Garéghine luttaient avec un courage extraor–
dinaire et faisaient étaler sur le sol de nom–
breuses victimes. A la fin ils tombèrent héroï–
quement après une lutte acharnée. L'ennemi a
eu i5o victimes, car dans ce moment les balles
de nos fédaïs pleuvaient sur les différentes po–
sitions.
En même temps, il se livrait un combat aussi'
acharné sur une autre position.
Une foule de Kurdes du côté du nord et une
centaine de soldats du côté de l'ouest atta–
quaient une position mais ils étaient repoussés
avec de grandes pertes. Cette position était
défendue par nos cinq fédaïs : Sourine, Hatc-
hine, Simon, Bédros et Minasse.
La lutte était pénible et inégale. La position
fut attaquée dans différentes directions et avec
des forces considérables. Les cadavres s'entas–
saient dans le camp de l'ennemi ; mais l'attaque
ne cessait pas. Ce jour-là, l'ennemi a eu plus
de
25
o
victimes.
Le soleil se couchait, nos fédaïs occupaient
de hautes positions et l'ennemi, honteux de sa
défaite, battait en retraite.
Sur les hauteurs de Tchengli flotta une se–
conde fois le drapeau victorieux des droscha-
kistes.
*
Le soleil couché à l'horizon continuait encore
à brûler par sa chaleur les hauteurs arides de
Tchengli. Tout était calme et l'atmosphère
était tranquille. C'est sur ces hauteurs que
s'était réfugiée la population de Mossoun. Le
spectacle de ces créatures persécutées par la
cruelle destinée était déchirant. Où voulaient-ils
arriver? Est-ce que dans d'autres tueries leurs
souffrances ne seraient pas les mêmes. La ter–
reur du péril imminent avait poussé cette popu–
lation vers les hauteurs de Tchengli.
Nos fédaïs parurent. Après une longue jour–
née de combat acharné ils étaient épuisés de
fatigue : ils montèrent et occupèrent leurs der–
nières positions.
Leur seul souci était maintenant la pauvre
population de Mossoun, persécutée et sans asile.
Ces réfugiés avaient au-delà de la frontière des
amis ou des parents qui pouvaient leur donner
asile. Les fédaïs étaient occupés à chercher une
solution à cette grave situation lorsque soudain
une pluie de balles tomba sur eux et tua quel–
ques-uns d'entre eux. L'ennemi les avait-il sur–
pris ? Voilà ce à quoi ont pensé immédiatement
nos fédaïs et ils firent feu.
«
Camarades, le feu vient de la frontière ;
ayez courage. » A ces paroles tous les regards
se dirigèrent de ce côté. En effet, sur la fron–
tière se tenait le Kurde Hamid, sujet russe,
avec ses
200
hommes. Un peu plus haut fai–
saient feu plus de
3
oo
cosaques et garde-fron–
tières.
Cette trahison, cette basse trahison remplit
le cœur du fédaï de colère. Là c'était le soldat
turc réuni aux Kurdes qui voulait exterminer
notre bande ; ici c'est le soldat russe.
Nos fédaïs ont brandi le drapeau de paix,
mais ce signal fut méprisé par le Kurde et son
fidèle allié, le soldat russe. Ils ont continué la
fusillade.
A l'heure même où l'ambassadeur de Russie
à Constantinople proposait au sultan le projet
des réformes en Arménie, le soldat russe réuni
au Kurde faisait feu sur les Arméniens. O men–
songe politique !...
«
Camarades, séparez-vous de vos frères fu–
gitifs et dirigez vos armes du côté des Kurdes,
nos ennemis séculaires ; ne tirez pas sur les
Russes. Nous nous contenterons pour le mo–
ment de mettre devant la conscience de l'Europe
cette nouvelle preuve de trahison et de perfidie
politique du gouvernement russe. »
Sur ces paroles s'avança le commandant de
la bande, et nos fédaïs commencèrent une fu–
sillade nourrie. Des deux côtés il y a eu plusieurs
victimes. Malgré qu'on ne tirât pas sur les
Russes, ceux-ci continuaient à seconder Hamid
Bey. Nos fédaïs ont eu
12
victimes, les Kurdes
ont donné autant.
La lune argentée qui avançait en ce moment
révéla sur les hauteurs de Tchengli et dans les
vallons des ombres mouvantes, c'étaient des
cosaques qui pillaient les cadavres de nos
héros.
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Fonds A.R.A.M