LA QU I NZA I NE
          
        
        
          
            Le « Livre blanc » anglais
          
        
        
          Selon les promesses faites à la Ch am –
        
        
          bre des Lo r d s et à la Chamb r e des
        
        
          Commu n e s , un
        
        
          
            Livre
          
        
        
          
            blanc
          
        
        
          vient
        
        
          d'être pub l i é par le gouvernement an–
        
        
          glais. Cet important recueil de docu–
        
        
          ments comprend la correspondance
        
        
          concernant les provinces asiatiques de
        
        
          la Tu r qu i e depuis le
        
        
          16
        
        
          octobre igo3
        
        
          jusqu'au
        
        
          16
        
        
          a o û t
        
        
          1 904 ,
        
        
          soit
        
        
          106
        
        
          lettres
        
        
          et dépê che s , avec de nombreuses an–
        
        
          nexes.
        
        
          Il est impossible d'entrer dès aujour–
        
        
          d'hui dans le détail et de confronter
        
        
          les informations officielles avec les
        
        
          nouvelles de source privée. Mais une
        
        
          impression se dégage de la p r emi è r e
        
        
          lecture, et elle n'est pas à l'honneur de
        
        
          la diplomatie e u r o p é e n n e qu i a p r évu
        
        
          les é v é n eme n t s et a été incapable de les
        
        
          p r é v e n i r . L a faute ne doit pas être i m –
        
        
          putée aux agents locaux, mais aux gou–
        
        
          vernements e u x -même s qu i se sont lais–
        
        
          sés duper une fois de plus par le sultan
        
        
          et ses fonctionnaires de tout ordre. Les
        
        
          intentions furent excellentes, la vue du
        
        
          danger très claire; mais les actes n'ont
        
        
          pas été ce qu'ils auraient dû être, bien
        
        
          q u ' i l soit impossible de dire que les
        
        
          é v é n eme n t s aient surpris personne.
        
        
          Dès le mois d'octobre igo3, le consul
        
        
          Hamp s on a n n o n ç a i t que des mesures
        
        
          militaires étaient prises contre les r évo –
        
        
          lutionnaires sassouniotes; mais i l ajou–
        
        
          tait que la saison était déjà bien avan–
        
        
          cée et que « l'hiver, le grand pacificateur
        
        
          en ces r é g i on s , approchait. »
        
        
          Malgré l'affaire de Deli-Baba, l'hiver
        
        
          se passa en effet sans é v é n eme n t nota–
        
        
          ble. Mais l'ambassadeur anglais était
        
        
          averti par une dépê che consulaire en
        
        
          date du
        
        
          26
        
        
          janvier « qu ' i l avait été dé –
        
        
          cidé selon des informations très s û r e s
        
        
          d'attaquer les fédaïs du Sassoun, aussi–
        
        
          tôt que la neige aurait fondu c'est-à-
        
        
          dire vers le milieu de m a i . » S i r Ni c ho –
        
        
          las O' Cono r avait aussitôt un entretien
        
        
          avec le grand vizir et l u i conseillait de
        
        
          n'employer la force militaire qu'avec
        
        
          une e x t r ême prudence « pour ne pas
        
        
          ouv r i r la porte aux excès des « Kurdes ».
        
        
          Le grand vizir et le sultan donnaient
        
        
          bien entendu les meilleures assurances,
        
        
          disaient que des fonctionnaires civils
        
        
          accompagneraient les troupes et qu ' on
        
        
          dresserait
        
        
          
            procès-verbal
          
        
        
          de ce qu i se
        
        
          passerait.
        
        
          L'ambassadeur anglais ne se montrait
        
        
          cependant pas r a s s u r é et dans une au –
        
        
          dience du sultan, à la date du u mars
        
        
          suggérait à celui-ci l'idée de négocier
        
        
          avec les chefs du Sassoun et d'accorder
        
        
          une amnistie générale. Ham i d r é p o n –
        
        
          dait q u ' i l avait justement eu cette pen–
        
        
          sée. S i r Nicholas O' Cono r ajoute :
        
        
          J'avais pensé à suggérer que le vice-consul
        
        
          de Sa Majeté à Bitlis pourrait servir d'intermé–
        
        
          diaire ; mais je n'ai pas voulu faire cette propo–
        
        
          sition avant d'avoir soumis l'idée à Votre Sei–
        
        
          gneurie et de connaître jusqu'à quel point le
        
        
          gouvernement russe serait disposé à coopérer
        
        
          avec nous en cas d'acceptation.
        
        
          L'audience est du
        
        
          11
        
        
          mars. Dès le
        
        
          i5, leplan de Ham i d est arrêté : i l faut à
        
        
          tout prix éviter l'intervention d'inter–
        
        
          méd i a i r e s e u r op é e n s : il fait donc ap–
        
        
          peler au palais le patriarche Orman i an
        
        
          et invite celui-ci à donner des ordres
        
        
          à ses s u b o r d o n n é s de Mou s h afin qu'ils
        
        
          entrent en négoc i a t i on s avec les insur–
        
        
          gés.
        
        
          Le patriarche suggéra qu'un officier accom–
        
        
          pagnât les délégués dans leurs tentatives de né–
        
        
          gociations pour montrer que la mission était
        
        
          autorisée par le gouvernement, mais cette sug–
        
        
          gestion fut écartée.
        
        
          L'ambassadeur anglais jugeant que
        
        
          dans ces conditions les e nvoy é s du pa–
        
        
          triarche avaient peu de chance de suc–
        
        
          cès, obtenait de son gouvernement la
        
        
          demande d'une coopé r a t i on
        
        
          russe.
        
        
          Quant à la France, ma l g r é l ' i nqu i é t ud e
        
        
          t émo i gn é e m ê m e par son é t r a ng e am–
        
        
          bassadeur à Constantinople^ elle ne
        
        
          prenait aucune initiative, et le marquis
        
        
          de Lansdowne ne demandait la coopé–
        
        
          ration du consul français q u ' a p r è s en
        
        
          avoir d ema n d é licence à l'ambassadeur
        
        
          russe (3o mars). Lad i p l oma t i e tsarienne
        
        
          n'ayant pas fait d'objections, le gouver–
        
        
          nement français s'associa pleinement et
        
        
          avec une parfaite bonne vo l on t é à l'ac–
        
        
          tion commune .
        
        
          Cependant Fé r i d bey, l'égorgeur de
        
        
          Pera, n o mm é vali de Bitlis rejoignait
        
        
          son poste le
        
        
          17
        
        
          mars et par ses men–
        
        
          songes essayait d'endormir la vigilance
        
        
          du consul anglais de Bitlis.
        
        
          Vi n r en t les é v é n eme n t s d'avril : Fé –
        
        
          rid se transporte à Mo u s h . Bien que dès
        
        
          ce moment on sache que les i n s u r g é s
        
        
          ne peuvent accepter la mé d i a t i on des
        
        
          délégués patriarcaux q u i n'offre au–
        
        
          cune garantie, l'odieuse c omé d i e se
        
        
          joue en toute liberté et tandis que le
        
        
          25
        
        
          avril le grand vizir dans une entre–
        
        
          vue avec sir Nicholas O' Cono r , s ' é t onne
        
        
          des a p p r é h e n s i o n s t émo i gn é e s par celui-
        
        
          ci et l'ambassadeur de Russie, l'exter–
        
        
          mi na t i on a c omm e n c é au Sassoun, elle
        
        
          se pou r su i t ; le grand v i z i r continue à
        
        
          nier : le
        
        
          24
        
        
          ma i , i l nie encore bien q u ' à
        
        
          cette date le massacre de Guellieh Guzan
        
        
          et la prise de T a l o r i aient eu lieu.
        
        
          Le
        
        
          25
        
        
          j u i n , dans une audience à
        
        
          Y l d i z , H am i d l u i - m ê m e continue à
        
        
          nier : i l espère que l'ambassadeur an–
        
        
          glais « ne croit pas aux faux rapports
        
        
          pub l i é s dans la pressse e u r o p é e n n e ;
        
        
          il a d o n n é des ordres positifs pour
        
        
          qu ' on ne fasse pas de ma l aux habi–
        
        
          tants innocents et i l espère que le gou–
        
        
          vernement anglais en sera avisé. »
        
        
          Je lui ai répondu que les rapports de notre
        
        
          consul à Moush, agissant d'accord avec ses
        
        
          collègues français et russe étaient incomplets
        
        
          sur ce qui avait eu réellement lieu, mais que la
        
        
          présence de 3,
        
        
          000
        
        
          réfugiés et la destruction
        
        
          de 5oo maisons arméniennes étaient inexpli–
        
        
          cables, et, je le craignais, indiquaient la perpé–
        
        
          tration de graves et brutaux excès.
        
        
          H am i d voulut bien convenir qu ' i l y
        
        
          avait eu des innocents de t ué s , mais
        
        
          que tout cela était bien exagéré.
        
        
          A i n s i que nous le d émo n t r e r o n s par
        
        
          un examen détaillé des rapports à une
        
        
          date très po s t é r i eu r e aux é v é n eme n t s
        
        
          sur les massacres du Sassoun, le
        
        
          
            Livre
          
        
        
          
            blanc
          
        
        
          ne fait pas la pleine l um i è r e sur
        
        
          ces faits; et selon la mé t h o d e d i p l oma –
        
        
          tique, S i r Ni cho l a s O ' Cono r , le
        
        
          16
        
        
          a oû t ,
        
        
          d ' a p r è s les correspondances du capi–
        
        
          taine T y r r e l l , s ' é t onne que le patriar–
        
        
          che a r mé n i e n ait pu donner à certains
        
        
          journaux un chiffre de
        
        
          6 . 000
        
        
          à
        
        
          9.000
        
        
          morts, alsrs que son consul évalue le
        
        
          chiffre p l u t ô t à
        
        
          900
        
        
          q u ' à g.
        
        
          000
        
        
          ;
        
        
          i l est
        
        
          surpris é g a l eme n t que le patriarche ne
        
        
          puisse l u i apporter des p r é c i s i on s de
        
        
          date et de lieu ; cette lacune a été com–
        
        
          blée depuis, et les documents que nous
        
        
          avons pub l i é s ici ont pu satisfaire la
        
        
          curiosité de l'ambassadeur.
        
        
          Cependant sir Ni cho l a s O ' Cono r au–
        
        
          rait pu concevoir quelque doute sur les
        
        
          e n q u ê t e s me n é e s par les consuls euro–
        
        
          p é e n s , quand elles semblent ne pas
        
        
          apporter la preuve des faits allégués
        
        
          contre le gouvernement hami d i en . Le
        
        
          capitaine T y r r e l l l u i - même eut grand
        
        
          peine en igo3 à c o n n a î t r e la vérité
        
        
          sur l'affaire de Deli Baba, parce qu'il
        
        
          était toujours a c c omp a g n é de soldats
        
        
          turcs. C'est en effet un des moyens
        
        
          classiques emp l o y é s par les autorités
        
        
          de Sa Majesté Imp é r i a l e pour empê –
        
        
          cher toute e n q u ê t e en temps utile :
        
        
          Fonds A.R.A.M