misère des ouvriers. L'un des ouvriers de
Manoussa, étant sans ouvrage, restait chez
l u i ; i l n'avait aucun moyen de vivre, privé de
pain et de charbon. Un jour, sa femme lui
conseille de sortir et de se faire portefaix,
pour gagner au moins un morceau de pain.
A peine le pauvre homme était-il sorti qu'un
agent de police se dresse devant lui et, récla–
mant l'impôt militaire, i l le mène à la prison.
La pauvre femme, songeant d'un côté à la
triste situation de la famille et de l'autre aux
atrocités du gouvernement, est devenue folle,
et aujourd'hui on l'attache avec des cordes.
La faim ne nous effraye pas tant que les in–
justices du gouvernement ; notre situation
est insupportable. Patience, notre Dieu !
Rester dans la rue après trois heures du soir
(
à la turque) signifie mourir ; i l n'y a pas de
nuit où une maison ne soit pillée ; nous
sommes dans les mains d'un commissaire
lâche et d'un Kaïmakam sans cœur ; c'en est
fait de nous ; sous des prétextes insignitiants,
on nous pille impitoyablement, nous, un
peuple affamé et pauvre ; voilà notre situa–
tion ; i l n'y a pas besoin d'en dire d'avan–
tage.
Ab uno disce omnes.
P. S.
—
Les emprisonnements politiques
continuent, les prisonniers de Halep sont trans–
portés ici, car dans la prison sévit une mala–
die contagieuse.
L E T T R E
D ' A C H O U C H E N
Campagne d'Achouclien, i " j a n v i e r
1901.
Ah ! mes chers frères, aujourd'hui vous
voyez dans les calendriers la nouvelle année,
jour de réjouissance ; nous autres au lieu de
nous réjouir et de nous faire des souhaits les
uns aux autres, nous sommes dans une pro–
fonde tristesse. Les percepteurs d'impôts sont
dans notre campagne et nous font subir des
souffrances sans nombre ; ils prennent le blé
de l'un ; ils pillent les biens d'un autre ; ils em–
prisonnent celui-ci, ils battent celui-là ; quelle
situation pitoyable ! Les impôts pèsent sur
nous comme des montagnes. L'impôt mili–
taire, dont on nous avait fait grâce, i l y a
quelques années, aujourd'hui dans cette si–
tuation misérable, on nous le réclame. Déjà
chacun paie 4° piastres d'impôt militaire ;
on nous prend à chacun
20
piastres en plus
de notre ancienne dette. Et ainsi chacun doit
payerôopiastres, outre l'augmentation de G %.
Malheur à l'homme, qui a dans sa maison
5
à
10
personnes du sexe masculin ; comment
peut-il payer, puisqu'il n'a pas 5 paras de
revenu? Aujourd'hui i l ne reste personne qui
ait quelque fortune; tout le monde est pau–
vre; tant est triste notre situation, que je
ne puis vous raconter les détails...
Auparavant la campagne d'Achouclien
avait des revenus et des immeubles impor–
tants ; aujourd'hui venez voir le nombre des
champs qui restent aux Arméniens ; je vous
assure que nous avonsàpeine 3o à4o champs;
les habitants de ville nous les ont pris soit
avec de l'argent soit en paiement de dettes ;
la cause de tout cela sont les impôts lourds ;
cette année nous avons donné 4 kilés de blé
au lieu d'un seul ; on nous a pris du blé au
lieu de l'impôt, et nos greniers restèrent vides.
Je vous dis toute la vérité, nos moyens d'exis–
tence sont devenus très difficiles ; nous ne
savons que faire ; si au moins on n'avait pas
vcndules immeubles, ce serait quelque chose ;
mais maintenant, nous apprenons que ceux
qui ont acheté nos champs enverront leurs
domestiques pour labourer les champs ; que
faire alors... Le mois contient quatre semaines
et chaque semaine les percepteurs d'impôt,
deux par deux restent dans la campagne.
Nous n'avons ni nourriture ni vêlements ;
nous ne savons où aller, que faire ; ici, c'est
un pays de vol et de barbarie ; nous n'avons
que nos maisons ; et môme là nous n'avons
pas de tranquillité...
Notre campagne, qui renferme
80
à
90
mai–
sons possède àpeine quelques familles pouvant
se suffire à elles-mêmes. Le peuple a le jour
de la mort devant ses yeux à chaque instant.
Au lieu de l'impôt, on nous emporte nos
bœufs et même notre nourriture, tout ce qu'on
trouve, sans regarder aux moyens d'existence
du peuple. Le pauvre peuple a perdu la
tête et ne sait quoi faire ; tous, affamés et
nus, sont livrés aux souffrances. Si cet état
de choses continue, sous peu la campagne,
sera anéantie.
(
A suivre.)
NOUVELLES D'ORIENT
E N
M A C É D O I N E .
—
Le procès des « cons–
pirateurs » macédoniens s'est t e rmi né le
27
mars au soir : cinq des accusés sont
acquittés, le docteur Tatarschew et le prê–
tre Stamatow condamnés à un et deux ans
de travaux forcés, sept autres aux travaux
forcés à pe r pé t u i t é , Mi l a n Mictiaïlon,
Gotscho Garlovati et Cotscho Florinals à
la peine de mort.
Presque simultanément avait lieu le
procès de Monastir pour « faits révolu–
tionnaires » et complicité dans le meur–
tre du Pope Stavré. U n des accusés a été
condamné à mort, trois aux travaux for–
cés à perpétuité, trois à dix ans de travaux
forcés, un à dix ans, deux à trois ans,
deux à deux ans de prison.
I l est assez probable que la Bête ne
poussera pas officiellement sa vengeance
jusqu'au bout; elle se donnera des airs
de générosité et sans aller j u s qu ' à faire
remettre des frais de route à ses victi–
mes, comme lors du procès ï h o uma y a n ,
elle commuera les condamnations à mort en
détention perpétuelle. Etant donné le ré–
gime des prisons turques, la mort im–
médiate vaut mieux que les lentes tor–
tures.
U n autre procès se p r é p a r e à l a suite
de l'affaire de Ghevghéli : les perquisitions
continuent dans le vilayet de Salonique
et ailleurs. ABoemi t z a e t Itznor, quarante
arrestations.
Chaque soir à Salonique, les gendarmes
rentrent en ville avec leur lamentable
troupeau de prisonniers razziés dans les
villages voisins.
L'Effort
donne une liste
douloureuse des perquisitions, tortures,
arrestations, sévices de toutes sortes poul–
ies derniers jours de février :
Plusieurs notables de
Coucouch,
le direc–
teur des écoles bulgares de cette ville et plu–
sieurs maîtres d'école, en tout cinquante per–
sonnes, ont été amenés i l y a quelques jours
à Salonique, où on les enferma dans les ter–
ribles prisons de Zédi-Koulé.
Vingt-cinq villageois de
Pojarsco
(
arron–
dissement de Vodena), vingt villageois de
Sarakinow
(
arrondissement de Vodena),
cinquante personnes de l'arrondissement de
Ghevghéli
et un grand nombre des autres
arrondissements, ont été déjà jetés dans les
prisons de Salonique.
Pendant ce temps le commandant de la
gendarmerie du villayet, à la tête de deux
cents gendarmes, parcourt les villages et
soumet la population à des tortures inouïes :
le fer rouge, l'huile bouillante, les lames
soufrées sous les ongles, la pendaison, sont
les tortures qu'il préfère employer.
Le village de
Baïaltzi
a été le premier dé–
truit.
Petrovo, Calinovo, Consko, Covanetz,
Touchino, Negortzi
et beaucoup d'autres vil–
lages eurent le même sort.
Arap-Binbaschi, de son côté, fait les mêmes
horreurs dans l'arrondissement de Coucouch.
A la tête de cent cinquante gendarmes, i l
entoure chaque soir un village, tue ceux qui
veulent y entrer ou en sortir, l'attaque peu
après, perquisitionne les maisons, soumet à
des tortures les villageois et les envoie pour–
rir dans les prisons de Salonique.
Les maîtres d'école des arrondissements de
Ghevghéli
et de
Coucouch
sont tous empri–
sonnés ou fouettés. Le directeur des écoles
bulgares de Ghevghéli,
Antonoff,
les maîtres
d'école
Costoffet Kiriacoff,
le maître d'école
de Baïaldzi,
Caracabacoff, Janady, Iliefj,
de
Matchoucovo,
Stephan Petroff,
de Consko,
le directeur des écoles bulgares de Coucouch,
Delivanoff,
les maîtres d'école
Doupcoff,
Tocheff,
sont parmi les prisonniers. La ville
de
Doïran
a le même sort. Le maître d'école
Janaco
et huit commerçants ont été égorgés
dans les prisons de Salonique.
E n même temps conformément aux en–
couragements au meurtre donnés à
Abd-ul-Hamid par les r ep r é s en t an t s des
nations civilisées, à Kr upn i k , près de.
Serres, massacre et incendie ; à Agha-
Mahallé, exploits sanglants de l a bande
de Rutbeli-Ali-Pacha, qui aurait enfin été
tué.
D A N S L ' Y É M E N .
—
D
'
a p r è s les informa–
tions venues de Constantinople et en par-
Fonds A.R.A.M