Pour les Arméniens
M . Georges C l e m e n c e a u , notre é m i n e n t c o l l a b o –
rateur, p u b l i e dans
l'Aurore
d u i3 septembre u n
v é h é m e n t article dont voici la r e p r o d u c t i o n presque
i n t é g r a l e :
Il faut bien reparler des massacres
d ' A rmé n i e , puisque le Sultan assassin
revient à son œu v r e sanglante, toujours
reprise et jamais a chevé e . Vous avez pu
lire, i l y a quelques jours, qu'une i n –
surrection avait éclaté à Va n et que les
soldats d ' Ab d u l -Hami d étaient en route
pour la r é p r ime r . C'est la formule ordi–
naire des assassinats en masse orga–
nisés par ordre du Su l t an . D'insurrec–
tion i l n'y en a pas de trace. Le T u r c ,
si les A r mé n i e n s se mettaient en révolte,
serait trop heureux de le faire officielle–
ment constater. Quand on télégraphie
la nouvelle, sans jamais permettre à un
Eu r o p é e n de la c on t r ô l e r , c'est que
Ham i d i é s ou Kurdes viennent de recom–
mencer les tueries p é r i od i qu e s à travers
l ' Armé n i e , et qu'on veut pouvoir ré–
pondre, si l'on ne réussit pas à cacher
la vérité, que le gouvernement n'a rien
fait que de r é p r i me r une r ébe l l i on .
Pendant ce temps les massacres suc–
c èden t aux massacres, les cadavres s'em–
pilent en tas dans les villes,, dans les
villages, les enfants, les vieillards sont
tailladés à coups de sabre, les femmes
agonisent dans les supplices de la b r u –
talité soldatesque, les hommes gagnent
la montagne pour organiser la ven–
geance, l'incendie couvre tout d'un i m –
mense manteau de flammes : la vo l on t é
du Sultan vient de passer par là.
Qu i croirait que toutes les puissances
de l'Europe signataires du traité de
Berlin se sont engagé e s , par des ré–
formes d û m e n t con t r ô l é e s , à mettre fin
à cet état de choses? Sous l ' h é g émon i e
du grand reître allemand qui ne c o n ç u t
jamais le gouvernement des hommes
que par la violence, les groupements
de civilisation e u r o p é e n n e délibéraient
avec une gravité, dont les peuples ne
sentaient pas même l'ironie, sur
\
a.paix,
le
droit, l'équité.
Et ces formules n ' é –
taient pas de vaine parade, car elles
fournissaient le texte des protocoles par
le moyen desquels on s'arrachait des
lambeaux de peuples chacun à la mesure
de ses moyens. C'est là que Bi sma r ck ,
les griffes encore sanglantes au c œ u r de
l'Alsace-Lorraine, avec un clignement
de l'œil du côté de Rome , nous jeta
l'os de la Tun i s i e .
Quand l'auge fut vide, les grands
fauves repus se laissèrent aller, dans
une somnolence, à de vagues grogne–
ments de pitié pour l'espèce huma i ne
g émi s s a n t dans l'étau des lourdes mâ –
choires. On était maintenant en dispo–
sition de b o n t é . « Faites entrer les vic–
times », g r omme l a le Chancelier de
fer, assoupi. Les A r mé n i e n s parurent
et dirent leur histoire de sang. Le tsar
et le sultan n'en pouvaient croire leurs
oreilles. Les larmes de leurs p l é n i po –
tentiaires seront conservées, par l'his–
toire, au futur mu s é e des horreurs.
Dans l'attendrissement universel, on
promit tout ce qu i fut d ema n d é . Pro–
digalité magnifique de générosité ver–
bale. Une grande idylle a r mé n i e n n e
allait commencer. Les puissances, qu i
s'en portaient garantes, veilleraient à
l'exécution des engagements pris...
On sait la suite. On a vu la photo–
graphie des petits enfants c oup é s en
morceaux entassés au cimetière de
Di a r b é k i r . Dans la seule église d'Orfa
flambaient
trois mille c r é a t u r e s hu –
maines, sans que le prince Lobanoff
vit dans l'holocauste autre chose qu'un
«
incident »,
sans que M . Hanotaux,
notre ministre des affaires é t r a ng è r e s ,
t r ouv â t ma t i è r e à r e p r é s e n t a t i o n s . C'était
l'époque où M . Ad r i e n Hé b r a r d , ébloui
du sultan, encourageait l ' œu v r e de
sang par ses insultes aux journalistes,
aux hommes politiques qu i plaidaient
la cause de l ' h uma n i t é . Au j ou r d ' hu i i l
faut changer de t h ème . M . Hé b r a r d est
lacrymoyant. M . Delcassé, quand i l
reçoit la visite de M M . Denys Co c h i n et
de P r e s s en s é , promet de s'employer à
chercher un r emè d e au ma l . Soit q u ' i l
ne cherche pas comme i l faudrait, soit
que l'entreprise soit au-dessus de ses
forces, h é l a s ! i l ne trouve rien. On i n –
terpelle à -la Chamb r e au mois de juin
dernier sur les massacres du Sassoun.
Notre ministre des affaires é t r angè r e s
promet-il tout au mo i ns de
poser la
question
de la mise en vigueur du traité
de Berlin où la France s'est engagée par
sa signature? No n . Tou t e sa politique
est dans un jeu de subordination à la
Russie qu i ne voit dans les juifs et les
A r mé n i e n s que des populations à dé–
cimer. On n'obtient pas m ê m e la r évo –
cation des grands bourreaux.
Point de r é c r i m i n a t i o n s . Po i n t de
politique agressive. Une simple ques–
tion à l'Europe : «
Voulez-vous
tenir
vos engagements »?
L a Russie dira non,,
et l'Allemagne aussi pour lui plaire.
C'est entendu. A u mo i ns prendrons-
nous acte de ce que ce n'est pas notre
faute si le sang continue de couler à
flots en A r mé n i e . Et puis, qu i sait? L a
question posée, i l demeure une force
dans la conscience huma i ne qui peut-
être exigera les potentats e u x - même s
autre chose qu'une fin de non recevoir.
G E O R G E S C L E M E N C E A U .
(
d ' a p r è s
L'Aurore
du 13 septembre),
.
LA QU I NZA I NE
La Mobilisation du 4"Corps d'Armée
et l'incident de Van
De l'amas des nouvelles contradic–
toires et souvent fausses qu i sont c om –
mu n i q u é e s par les diverses agences,
les agences de .Vi enne en particulier,
sur les é v é n eme n t s actuels dans les
vilayets a r mé n i e n s , on peut dégager
quelques faits acquis : mobilisation
partielle ou totale du 4
e
et peut être du
6
° corps d ' a r mé e ; excitations adressées
d ' Y l d i z à la population musulmane de
Va n et des environs; mouvement isolé
de bandes a r mé n i e n n e s qu i exercent
contre le r é g ime hamidien de justes et
légitimes représailles.
"
Nos ém i n e n t s collaborateurs Fr anc i s
de P r e s s e n s é et Georges Clemenceau
dans le
Temps
et dans
l'Aurore
ont
d o n n é l ' i n t e r p r é t a t i on exacte de ces
alarmantes informations. Je voudrais
simplement essayer d'établir par la c r i –
tique des textes et par des rapproche–
ments avec des situations semblables
la vérité que cachent les d éme n t i s h am i -
diens.
L a
Galette de Francfort
avait an–
n o n c é dè s le 3 i a o û t la mobilisation
du 4
e
corps et dès cette date le bruit
était p r o p a g é de sources diverses qu'une
insurrection géné r a l e des A r mé n i e n s
allait éclater à la fin de septembre. Je
me crois au t o r i s é à déclarer formelle–
ment que cette insurrection générale
n'a jamais existé que dans l ' imag i na –
tion complaisante du sultan et de ses
conseillers.
Par contre, i l p a r a î t certain que l'ac–
tivité des bandes et le mouvement de
Self Défense
n'ont pas cessé et que
poussé par des circonstances locales,
Fonds A.R.A.M