au jugé. Nous n'oserions, pour notre
part, nous prononcer et nous demeu–
rons très perplexe devant la sinistre
figure du Sullafli aux mains sanglantes.
Faut-il le plaindre ou le flétrir, est-ce
un criminel ou un fou ? Nous souhai–
tons bien vivement pour l'honneur de
l'humanité qu'Abd-ul-Hamid soit i r –
responsable des inutiles cruautés qu'il
a ordonnées, de la politique de ruine
et de mort qu'il a imposée à son pays ;
ce serait pour nous un soulagement
d'être assuré du diagnostic qu'il con–
vient d é p o r t e r sur l u i . Nous sommes
prêts à reconnaître l'injustice dont nous
avons depuis six ans fait preuve à son
égard, et à nous excuser de l'avoir
traité avec une rigueur mal fondée.
Mais parmi les fous, i l en est de dan–
gereux et ceux-là dans les États bien
policés, on les enferme et on les met
hors d'état de nuire. Nous n'en de–
mandons pas davantage.
L .
MARILLIER,
professeur à l'Ecole des Hautes Etudes
de l'Université de Paris.
LA QUINZAINE
Les fils de Mahmoud-Pacha Damad,
petits-fils du sultan Abd-ul-Medjid,
M . Sebaheddin et A. Loutfoullah, du
Caire, où ils reçoivent l'hospitalité du
khédive, adressent un
Appel général
aux Ottomans.
Ils invitent tous ceux qui souffrent
du joug hamidien à « s'unir pour or–
ganiser une force puissante qui se main–
tiendrait indivisible jusqu'au jour de
la grande victoire ». Abd-ul-Hamid a
trop longtemps profité des divisions
et du système d'action isolée des divers
partis réformateurs ou révolution–
naires. C'est contre lui et sa bande que
doit porter l'effort immédiat de tous.
Les conditions de l'entente restent à
débattre : mais les signataires de
l'appel se mettent au service de leurs
compatriotes ottomans sans réserves
ni restrictions et rendent impossible
ainsi tout arrangement entre le sultan,
leur père et eux :
Nous avons mérité sa haine ; eh bien !
nous ne désirons rien tant que de conti–
nuer à nous en rendre dignes !
Nous pouvons fièrement déclarer ne
point appartenir à la catégorie des gens
qui reculent devant le danger, n i les me–
naces ; autrement nous n'aurions certai–
nement pas échangé notre tranquillité et
notre aisance primitive pour la situation
que nous nous sommes créée aujourd'hui.
D'autre part, convaincus comme nous
le sommes, qu'il n ' y a nulle chance d'ob–
tenir le salut de la patrie de l'homme qui
s'acharne contre ses frères, sa sœur, et
même son propre fils, nous avons pris l a
résolution irrévocable de nous adresser
aux nobles sentiments patriotiques de l a
grande nation ottomane, au relèvement et
à la gloire de laquelle nous nous sommes
entièrement voués.
Nous sommes obligés d'avouer que l a
tache par laquelle un souverain de l a
dynastie ottomane a souillé le chapitre
des vingt-cinq de r n i è r e s anné e s de l'his–
toire de notre Empire est tellement h i –
deuse que les membres de cette dynastie
ne seront acquittés par le peuple qu'autant
qu'ils l'auront lavée de leur propre sang.
Notre but essentiel en adressant aujour–
d'hui cet appel général à tous nos chers
compatriotes Turcs, Albanais, Armé n i e n s ,
Macédoniens, Syriens, Kurdes et Israé–
lites, est d'établir l'entente indispensable
pour fusionner les forces de tous les partis
libéraux.
Comme l a réalisation de notre projet
de fusionnement comporte l a r éun i on d'un
congrès, c'est donc au nom de l'intérêt
général que nous prions tous les l i bé r aux
ottomans qui voudront nous favoriser
d'une réponse de nous l a faire parvenir
dans le plus bref délai.
Nous n'avons pas qualité pour i n –
diquer à nos amis a rmén i ens la con–
duite qu'ils doivent suivre ; eux seuls
sont juges des décisions à prendre.
Mais i l serait au moins imprudent de
ne tenir aucun compte d'un document
aussi important et qui présente les si–
gnes d'une très généreuse sincérité;
et avant d'accepter ou de repous–
ser la proposition qui leur est faite,
ils se demanderont sans doute si l'état
de leur nation peut devenir pire qu ' i l
ne l'est, et si tout changement n'est pas
préférable au régime actuel.
Qu'ils lisent et qu'ils méditent les
lettres publiées i c i et dans les journaux
de langue a rmén i enne .
De Van , de Mouch, de Bitlis, d'Er–
zeroum, de Trébizonde, de Diarbékir,
d'Aïntab, d'Alep, d'Adana, de toutes
les villes et de toutes les campagnes
perdues où la race a rmén i enne subit
son long martyre, une parole vient
trop souvent vers nous, plus terrible
que le récit des tortures endurées, des
assassinats, des viols, de la famine et
de la misère irrémédiables : « Nous
sommes las de souffrir ; nous n'atten–
dons plus que la mort ; nous ne dési–
rons plus que le massacre définitif. )>
Certes le peuple a rmén i en a connu
le fond de la souffrance humaine. Pen–
dant des mois et des mois, les peuples
d'Europe ont assisté à son égorgement,
qu'ils pouvaient aisément empêcher.
Puis quand la Bête fut saoule de sang,
quand elle eut besoin d'un peu de
repos, l'extermination continua, selon
une mé t hode différente. Elle n'a point
cessé un seul j our ; et de son repaire
d'Yildiz, l'impérial assassin ordonne
et ordonnera aux heures qu'il peut et
choisit des tueries nouvelles.
Tous ceux en qui les oppr imés avaient
mis leur espoir les trahissent suc–
cessivement : Angleterre, France, Bus-
sie, les républiques, les monarchies,
les autocrates les abandonnent à leur
misérable sort ou se font activement
les complices d'Abd-ul-Hamid.
Abou t depa t i ence , épu i s é sdedou l eu r ,
ils renonceraient à se défendre contre
l'implacable destin et se résigneraient
à disparaître? Il ne faut pas que cela
soit ; et c'est déjà mourir que de souhai–
ter la mort.
Toutes les voies sont bonnes qui
conduisent vers la vie ou y r amènen t .
Malgré l'effroyable saignée de 1894-
1896,1
a race demeure assez nombreuse
et forte pour qu'il faille compter avec
elle, soit que l'empire turc se dissolve,
soit qu'il se réforme profondément.
PIERRE QDILLARD.
LETTRES
D'ADANA,
D ' A Ï N T A B ET
D'ACHOUCH EN
L E T T R E
D ' A D A N A
Ad a n a , G/
19
février
1900.
Le médecin dont nous avons parlé dans
notre précédente lettre est jusqu'à présent en
prison.
Notre situation intolérable, comme nous
avions écrit, continue à être toujours la même.
Notre ville a eu deux visiteurs dignes
d'attirer l'attention, deux hauts fonction–
naires militaires et deux civils, qui ont éga-
Fonds A.R.A.M