Les États-Unis et les Arméniens.
C o n s t a n t i n o p l e ,
via
Sofia,
3
o
juillet,
8
h .
40.
Hi e r , dans une audience accordée
par le sultan, le ministre des É t a t s -
Un i s a insisté sur le r è g l eme n t des
questions des écoles et des A r mé n i e n s
protégés par l ' Amé r i q u e en As i e -Mi –
neure.
(
Le Temps.)
LA QU I NZA I NE
IPRÈS UN QUART DE SIÈCLE
Il y a plus d'un quart de siècle,
Mg r d i t c h Kh r i m i a n parcourait l ' E u –
rope à la tête de la mi s s i on c h a r g é e de
p r é s en t e r au Cong r è s de Berlin les do–
léances du peuple a rmé n i e n de T u r –
quie. N u l ne le pouvait faire en plus
pleine connaissance de cause n i avec
Une plus ardente é l oqu e n c e . Il avait
vu sur place dans les provinces d'Asie
les souffrances quotidiennes de ses
compatriotes « courbant alors l'échine
sous la cravache de l'oppresseur »,
comme le rappelait douloureusement à
Londres M . Minas T c h é r a z ; poète, i l
s'était fait journaliste pour leur inspirer
le désir d'une vie nouvelle, meilleure,
plus digne d'hommes conscients; i l
apportait son t émo i g n a g e pe r sonne l à
l'appui des atrocités é n umé r é e s dans le
mémo i r e du patriarche Nersès.
C'étaient alors déjà les même s griefs
qu'aujourd'hui : nulle égalité réelle
devant la l o i , nulle liberté réelle de
conscience, nulle sécurité pour les per–
sonnes et les biens. C'étaient les même s
griefs et presque les même s requêtes :
le mémo i r e du patriarche Nersès ne
demandait pas pour les A rmé n i e n s
l'établissement d'un état i n d é p e n d a n t
sous certaines conditions de vassalité,
comme la p r i n c i p a u t é bulgare, « mais
une organisation c h r é t i e n n e autonome,
e n t ou r é e des même s garanties que
celles du L i b a n . »
L'accueil fait à la mission de Mg r d i t ch
Kh r i m i a n avait été courtois; mais les
diplomates e u x -même s ignoraient ou
feignaient d'ignorer ce qu ' é t a i t exacte–
ment le peuple a r mé n i e n , quoique les
Russes et les Anglais sussent très bien
quelle était l'importance s t r a t ég i que des
hautes vallées et du plateau d ' A rmé n i e
et que la France fut déjà intervenue
en
1862.
en faveur des Ze ï t oun i o t e s .
Cependant, l'article
61
du traité de
Berlin donnait satisfaction aux justes et
modestes demandes des délégués offi–
cieux de la nation a r mé n i e n n e et à son
retour d'Europe, Mg r d i t ch Kh r i m i a n
put espérer qu ' un âge de prospérité et
de liberté ma t é r i e l l e s , intellectuelles et
morales allait s'ouvrir pour ceux à qu i
il avait vou é sa vie et son rêve fut par–
tagé par tous les A r mé n i e n s capables
de penser.
Dans les écoles de Constantinople et
d'Asie toute une géné r a t i on se forma,
éprise d'idées e u r o p é e n n e s , très atta–
chée à la culture française en particu–
lier; et en Europe m ê m e , des é t ud i a n t s
et des c omme r ç a n t s , ainsi que les He l –
lènes au temps de hé t a i r i e s s'initiaient
dans les un i ve r s i t é s d'Angleterre, de
France, d'Italie et d'Allemagne aux
mé t h o d e s scientifiques et à la vie plus
libre de l'Occident.
Le rêve fut court. Mg r d i t ch K h r i –
mi a n , devenu patriarche de Constanti–
nople, paya de l'exil à J é r u s a l em,
comme plus tard Ma d t h é o s I smi r l i an ,
son indomptable énergie à défendre
les droits de son peuple et lorsqu'il
eut été triomphalement élu catholicos
d ' E t chmi adz i n , i l fut le t émo i n impu i s –
sant et attristé des premiers massacres
du Sassoun et des grandes tueries de
i 8 g 5 - i 8 g 6 ;
i l avait eu foi en l'Europe
et l'Europe laissait s'accomplir l'égor-
gement. Depuis, i l a vu les réfugiés de
Transcaucasie t r a qu é s par les ordres
du prince Galitzine, les biens de la
nation spoliés par le gouvernement
russe et de nouveau au Sassoun le p i l –
lage, l'incendie et le massacre organi–
sés e t . d é c h a î n é s par le Su l t an .
Cependant, au seuil de la tombe,
Mg r d i t c h Kh r i m i a n garde un s u p r ême
espoir et sa foi en l'Europe n'est pas
e n t i è r eme n t dé t r u i t e par l'expérience
d'un quart de siècle. Au j ou r d ' hu i , les
peuples d'Occident sont mi eux avertis
et mieux i n f o rmé s : en Angleterre, en
France, en Italie et aussi en A l l ema –
gne et en Autriche, ma l g r é d'inconce–
vables méfiances officielles qu i peu–
vent être dissipées, on sait ce que sont
les A r mé n i e n s , ce qu'ils ont fait dans
le passé pour ouv r i r les portes de l'Orient
aux idées et au commerce e u r o p é e n , ce
qu'ils ont souffert depuis des siècles
pour cette seule cause; on sait qu'ils
vont être e n t i è r eme n t e x t e rmi n é s si les
gouvernements signataires du traité de
Berlin n'interviennent pas au plus vite.
Et de sa lointaine retraite d ' E t chmi ad –
zin, captif de l'âge et de sa haute charge,
Mg r d i t ch Kh r i m i a n envoie en Europe,
avec une mission semblable à celle
qu'il reçut l u i -même autrefois M M . Sa-
radjian et Ayv a d i a n , a r c h e v ê qu e s ar–
mé n i e n s des Indes, de Perse et d ' Amé –
rique.
Déjà les envoyés du catholicos ont
été reçus à Paris par le Ministre des
affaires é t r angè r e s et le P r é s i d e n t de la
Ré p u b l i q u e qui les a a s s u r é s de sa plus
vive sympathie.
Sans doute les intentions du Mi n i s –
tre des affaires é t r angè r e s sont excel–
lentes et la bonne vo l on t é du P r é s i den t
ne pourra que seconder la sienne. Mais
à l'heure p r é s en t e , les meilleures i n –
tentions, les paroles les plus affables ne
peuvent suffire et m ê m e les pourpar–
lers engagés pour obtenir du Sultan
les réformes tant de fois promises ne
sauraient suffire : i l faut-, par des actes
efficaces, 'mettre i mmé d i a t eme n t un
terme aux tueries qu i se continuent et
assurer l'envoi de secours aux survi–
vants du Sassoun et aux paysans en
détresse de la plaine de Mo u s h .
Pour les secours, le Ministre des
affaires é t r angè r e s de France a été prié
par M . de Pressensé de vouloir bien
faire distribuer une somme de
5.166
fr.
20
aux A r mé n i e n s malades ou blessés par
l ' i n t e rméd i a i r e du vice-consul de France
à Va n . Nous croyons savoir qu'une
autre somme de 3o.ooo francs sera mise
sous peu à sa disposition pour être
d i s t r i bué e dans les même s conditions.
C'est là une affaire d ' h uma n i t é é l éme n –
taire et i l est à p r évo i r que le ministre
actuel ne voudra pas faire moins que
son
prédécesseur, M . Gabriel H a n o –
taux, de mauvaise mémo i r e .
L a responsabilité des gouvernements
de France, d'Angleterre et de Russie
est d'autre part engagée au Sassoun et
dans la plaine de Mo u s h . Les consuls
de ces trois puissances ne sont pas
venus si tard sur les lieux qu'ils n'aient
pu de leurs propres yeux constater les
atrocités commises à T e r g u é v a n k et
ailleurs; ils ont pu se rendre compte
par e u x -même s de la façon dont était
a pp l i qu é l'iradé de « pacification ».
Aussitôt que les Sassouniotes eurent
refusé de tomber dans le piège tendu
et de s'installer dans la plainede Mo u s h ,
ils ont été cha s s é s , sans pain et sans
aide, vers la montagne : les soldats et
les Kurdes a c h è v e r o n t ceux que la
Fonds A.R.A.M