P R O
A R M E N Î À
545
le gardien irréductible des libertés humaines. Ndus
sommes parfois naïfs à
IIOHS
alarmer du péril jaune.
Il n'est de péril sérieux que le péril turc. L u i seul,
si l'Europe n'y prend garde, peut la mettre à feu et
à sang. Fidèle à sa loi, l'empire ottoman, avant de
disparaître, voudra du moins s'offrir cette fête su–
prême. Il ne faut pas l'y aider parles essais partiels
que l'Europe tolère. Il est d'une fausse politique et
d'une insigne duperie de laisser faire. Ce sont là de
folles sagesses et des prudences imprudentes. L'ac–
tion internationale doit s'exercer par une force
résolue, imposer sa volonté. Surtout, ne nous y
trompons pas : n'invoquons pas ici les principes
bien connus du libéralisme; il n'y a pas à se mon–
trer libéral vis-à-vis de bêtes féroces. Le Sultan ne
cédera que contraint, et cette contrainte, nous pou–
vons, nous devons la lui imposer par l'application
du traité que la Turquie a passé avec l'Europe.
Excusez la longueur de cette lettre, que je serai
lier de voir figurer dans nos procès-verbaux. Excu–
sez-moi surtout de vous avoir dit, en termes si
faibles, l'indicible indignation qui soulève aujour–
d'hui toute conscience. Abd-ul-Hamid et tous les
Sultans ont successivement massacré tous ceux qui
n'étaient pas de leur religion et de leur race, les
Grecs comme les Arméniens. II est temps que cela
cesse — en attendant le jour où, chassé par l'ordre
des nations unies, le barbare s'en ira, emportant
avec lui la souillure qu'il implique à l'Europe,
redevenue enfin elle-même.
Agréez, cher monsieur, l'assurance de ma consi–
dération très distinguée, de mes tout dévoués sen–
timents et de mes respectueuses salutations à
M. James Bryce, notre illustre président,
Jean
PSICHARI,
Directeur d'études à l'Ecole des Hautes
Etudes, professeur à l'Ecole des Lan–
gues orientales
virantes.
M. Giovanni No é .
A Monsieur le docteur J. Loris Melitzow,
Paris.
Profondément indigné de la conduite de la diplo–
matie envers le gouvernement turc, dont elle de–
vient la complice nécessaire par sa coupable indif–
férence et souhaitant que le peuple — la seule et
véritable force sur laquelle puissent compter les
malheureux Arméniens et Macédoniens opprimes,
massacrés par le soldat du Sultan rouge avec la
tolérance des autorités russes des pays limitro–
phes — j'adhère avec enthousiasme à la grande
manifestation internationale que Londres prépare
pour le 29 juin et avec moi y adhère toute la dé–
mocratie de Messine dont je m'honore d'être le
député.
Il faut que les massacres aient un terme et ils
l'auront si l'Europe civilisée sait faire entendre sa
voixl
Messine fera entendre dimanche prochain dans
un grand meeting sa voix généreuse qui toujours a
protesté contre toutes les barbaries, toutes les op–
pressions.
Salutations et solidarité.
GIOVAN.M NOÉ,
Consigliere Provinciale e deputalo del
1"
Collegio di Mcssina.
M. J. Bryce.
M . J. Bryce prend ensuite la parole :
Mesdames et Messieurs,
^ Mon premier devoir est d'exprimer, au nom de
'
Association Anglo-Arménienne, le plaisir que
nous éprouvons à voir nos amis, M . de Pres–
s é ,
etc.
Vous venez, messieurs, de France et d'Italie,
v
°us venez au titre d'une cause sacrée, vous venez
représenter la passion de justice et d'humanité
qui anime deux grands peuples d'Occident, et
vous venez examiner avec nous, ici, en Angleterre,
ce que nous pouvons faire en commun pour sup–
porter la charge — et cette charge.est lourde —
du devoir qui nous lie aux peuples de l'Orie
-
n.
Désireux de laisser le plus de temps possible aux
délégués étrangers qui vont nous parler, je me
contenterai, dans ces quelques mots d'introduc–
tion, de vous indiquer brièvement la nature de
l'important mouvement qui s'impose à notre dis–
cussion, et je ne retarderai guère le moment où
vous entendrez un éloquent homme d'Etat fran–
çais, qui a voué ses peines et ses efforts à la cause
de l'humanité qui souffre en Orient. Et laissez-
moi dire quelle profonde reconnaissance nous
éprouvons en Angleterre pour ces hommes diserts
et distingués qui, dans la presse comme dans les
Parlements de France et d'Italie, se sont voués à
cette sainte cause.
Il y a dix-huit cents ans, les contrées qui for–
ment actuellement l'empire turc étaient, sous la
main de l'empereur Trajan, une des plus peuplées,
des plus riches et des plus prospères parties du
monde civilisé. Des lléaux s'abattirent sur cet em–
pire, qui faînaient avec eux la ruine, les massacres
et les ténèbres, et qui devaient sévir plusieurs
siècles. De ces désastres, toutes les parties de cet
empire, sauf une, se sont relevées. Dans toutes
les autres régions de l'empire, que ce soit dans
l'Europe occidentale, septentrionale ou méridio–
nale, on a vu en ces derniers siècles s'établir la
paix et l'ordre, régner la sécurité des vies et des
biens, fleurir les arts de la paix. Dans une seule
contrée les massacres et la barbarie se sont pro–
rogés jusqu'à nos jours. Cette unique région, aussi
retardataire aujourd'hui qu'elle l'était il y a cent ans,
ne donne aucun signe de progrès sinon dans le per–
fectionnement de ses moyens de destruction. Vous
voyez un peuple en esclavage, et ce pays, mes–
dames et messieurs, c'est l'empire du sultan. D'un
bout à l'autre de l'empire turc, qu'avons-nous vu
pendant notre vie ? L'oppression, l'extorsion, le
pillage, le meurtre, sécurité nulle pour la vie et
la propriété, sécurité nulle pour l'honneur des
femmes ou pour l'intégrité de la famille, aucune
justice, de temps à autres de grands massacres, et
un gouvernement — ou une absence de'gouverne–
ment — qui n'était qu'un système de brigandage
organisé. Est-ce bien la condition du peuple qui
habite l'empire turc ?
Je ne veux pas nier que la situation entre deux
grandes races opposées en ait été un des facteurs
premiers ; je ne puis nier que l'hostilité entre
chrétiens et musulmans, entretenue par la cons–
tante politique du sultan, ait été l'origine des
premières difficultés, mais après tout une grande
part de responsabilité incombe aux chefs des
puissances européennes. Les insurrections locales
ont pris Fessor qu'on leur a laissé prendre, et le
développement naturel des peuples voisins, plus
civilisés, a été paralysé par l'attitude des grandes
puissances d'Europe. Celles-ci eurent pour politi–
que de laisser subsister l'empire turc, et par l'in–
fluence qu'elles ont eue sur les événements du
dix-neuvième siècle, elles ont assumé une lourde
responsabilité dans les souffrances humaines que
cause cette survivance.
Quelquefois, il est vrai, les puissances euro–
péennes ont permis aux races opprimées de con–
quérir leur indépendance, les y ont aidées, et ainsi
plusieurs peuples ont été émancipés, la Grèce, la
Serbie, la Bosnie, la Bulgarie, le Liban, la Crète,
qui, aussitôt, se sont développées, non seulement
par la prospérité matérielle, mais par l'ordre, la
paix et tous les arts de la vie civilisée. Mais pen–
dant que d'autres étaient libérés, deux pays res–
taient encore esclaves et souffraient encore les
plus funestes traitements que pouvaient leur
infliger les Turcs. Ils luttaient de temps en temps,
par le seul mode de lutte qui fut à leur disposi–
tion, l'insurrection, mais toujours ils luttaient en
vain. Naturellement, les puissances essayèrent de
""
libérer leur conscience en demandant des réfor–
mes. Ces réformes, invariablement, étaient pro–
mises telles qu'elles étaient demandées, et le seul
résultat obtenu par les populations étaient qu'elles
souffraient autant au moins qu'auparavant. Des
réformes furent promises par le traité de Berlin
en 1878, et leur exécution a été réclamée souvent
^depuis, principalement par la Grande-Bretagne,
mais d'ordinaire avec l'appui de la France et de
l'Italie, mais jamais aucune puissance n'a essayé
'
d'imposer ces réformes par la force. L a seule poli–
tique actuelle du Sultan a été une politique
d'extermination : il s'elforce de supprimer les
plaintes en supprimant les peuples qui se plai–
gnent. Le gouvernement du Sultan massacre, et il
dit qu'il fait régner l'ordre : la vérité, et cette vé.
rite éclate aux yeux de tous les observateurs, est
que le gouvernemjnt du Saltan est incorrigible.
Notez, mesdames et messieurs, que plus le gou–
vernement du Sultan empire, plus les occasions de
massacres qu'il découvre reviennent fréquentes.
L'été dernier on massacrait en Macédoine, cet et:
en Arménie. Les choses en sont venues là sans
qu'on y ait apporté aucun remède. Des deux re–
mèdes possibles, l'un est un changement si complet
dans le gouvernement de l'Empire turc, qu'il met–
trait fin au pouvoir despotique du Sultan. L'autre
remède, d'application plus facile, serait de sous–
traire les provinces qui souffrent le plus au pouvoir
direct du Sultan. Et personne ne connait mieux
que les puissances européennes que ce sont là les
deux seuls remèdes. Ces puissances savent qu'un
atermoiement ne peut en aucune façon diminuer
les difficultés de la situation, qui sont aussi graves
aujourd'hui, à part qu'elles embrassent un do–
maine plus restreint, qu'elles l'étaient la veille
de la bataille de Navarin. Mais les puissances con–
tinuent à temporiser et à se dérober et à refuser
de prendre le seul parti qui puisse remédier à la
situation. Vous connaissez parfaitement les causes
de cette inaction. Je veux mentionner seulement
deux de ces causes :
L'une est la crainte alléguée qu'une action vigou–
reuse ne déchaîne une guerre européenne. Bien,
mesdames et messieurs, mais ce danger, si danger
il y a, ne diminuera aucunement par les retarde-
ments, et le danger, si danger il y a, est un danger
dû à la susceptibilité et à la jalousie des puis–
sances elles-mêmes; et ce n'est nullement un dan–
ger résultant d'une guerre possible de la part du
sultan : l'expérience a prouvé depuis longtemps et
abondamment que si deux ou trois puissances, non
contrecarrées par les autres, parlaient au sultan un
langage suffisamment énergique, elles en auraient
raison. L'autre cause est que les puissances ont
continué de dire que le gouvernement est un man–
dataire, si je puis dire, qui donne son expression
à la force populaire, et incapable d'agir avec une
énergie suffisante dans toutes les occasions où le
sentiment public ne s'est pas déclaré avec assez de
netteté. Bien, je reconnais que c'est exact : les
gouvernements des Etats ne peuvent proséder à
un acte sans l'impulsion populaire. Donnons-leur
donc cette impulsion.
Nous sommes réunis ici, représentant trois peu–
ples, et je puis le dire à ceux qui ont ces choses à
cœur, trois peuples libres, nous sommes réunis
pour tenter d'éveiller le sentiment de ces trois
peuples plus puissamment qu'il ne s'éveille encore.
Ces trois peuples ont donc le droit de dire que
leurs gouvernements devaient être poussés en
avant, et c'est le sentiment qui nous réunit i c i .
Nous voulons émouvoir et faire lever ces nations,
les trois grands peuples de l'Occident. Faisons-leur
appel pour mettre lin à ce scandale de la civilisa–
tion, pour effacer cette tache à la bonne renommée
de l'Europe. Nous avons conscience, ]e le crois,
Fonds A.R.A.M