P R E M I È R E A N N É E .
—
N °
10.
Le numé r o : France,
40
cent. — Etranger :
50
cent.
10
A V R I L
1901
Pro Armeni a
R é d a c t e u r en chef :
P i e r r e
Q U I L L A R D
Adresser
tout ce ïui concerne la direction
à M. Pierre Quillard
IO, rue Nollet, P a r i s
A B O N N E M E N T S :
France
8 »
É t r a n g e r
10 »
paraissant le 10 et le 25 de chaque mois
COMITÉ D E RÉDACT I ON :
G. Clemenceau, Anatole France, Jean Jaurès
S e c r é t a i r e de r é d a c t i o n
i
J e a n
L O N G U E T
Vendredi
de 11 n. à midi, 17, rue Cuj'as
Francis de Pressensé, E. de Roberty
ADMINISTRATION :
Société nouvelle de Librairie
et d'Édition
(
Librairie G. BELLAIS)
17,
rue Cujas, P A R I S
TÉLÉPHONE : 801-04
Pro Armenia
est en vente chez les libraires et dans les principaux kiosques de Paris.
SOMMAIRE
L a maladie d u s u l t a n .
. .
Léon Marillier.
L a Quinzaine
P. Quillard.
Lettres d ' Ad a n a , d ' A ï n t a b
et d'Achouchen . . ' . .
Nouvelles d'Orient :
E n Ma c é d o i n e . — Da n s
l ' Y éme n . — A Y i l d i z . —
Munir-bey à Bruxelles et
à Paris.— Condamnations P. Q.
L a presse des o p p r i m é s . .
Bibliographie de l a ques–
tion a r m é n i e n n e
LA MALADIE DU SULTAN
Je me suis plus d'une fois assez du–
rement exprimé sur le compte de son
Impériale Majesté Abd-ul-Hamid IL Et
voici que je me sens pris de remords
et à la veille peut-être de faire amende
honorable. En lisant le beau livre de
M . G. Dorys, j'avais à chaque page
l'impression que mes amis et moi nous
avions fait fausse route, que toute no–
tre indignation contre le Sultan Rouge,
qui a si savamment corrompu et avili
tous ceux que ses terreurs exaspérées
n'ont point jeté à l'exil ou à la mort,
n'était que rhétorique et que Glads–
tone, au lieu de vouer à l'exécration
de toutes les consciences honnêtes le
Grand Assassin, le doucereux et cares–
sant bourreau des femmes et des en–
fants d'Arménie, aurait dû appeler sur
ce pauvre être apeu r é et tremblant,
que l'angoisse de la mort, qui sans
cesse rôde à pas muets autour de l u i ,
rend si impitoyablement cruel, la pitié
que l'on accorde aux malheureux
qu'une impulsion morbide a fait les
meurtriers de leurs amis ou de leurs
fils.
Le souvenir me revenait de l'his–
toire d'un paralytique général qui fut
condamné à six mois de prison pour
s'en être allé à travers la foule, portant
fièrement à bout de bras la pendule
qu'il venait de voler à un étalage ; aux
questions multiples du président, i l
n'avait su répondre qu'une chose, c'est
qu'il avait pris la pendule pour savoir
toujours l'heure qu'il était. Le « cy–
nisme » de son attitude lui avait valu
toute la sévérité des magistrats ; i l me
semblait que nous étions de la même
école que ces magistrats-là, et, à part
moi, je ne m'en sentais pas autrement
fier. Le reclus d 'Yi l d i z -Ki osk a fait
égorger les Arméniens, parce qu'il
avait peur d'eux, et cela lui a semblé
aussi naturel qu'au pauvre paralytique
général de voler une pendule pour sa–
voir l'heure ; i l a droit à la même pitié,
aux mêmes égards, je dirais presque à
la même commisération respectueuse
que tous les malades qui peuplent nos
asiles. Il est de mauvais goût d'insulter
ceux qui n'ont plus le contrôle de leurs
actes et de requérir contre des troubles
cérébraux.
Lorsqu'un onomatomane oblige sa
famille à lui relire depuis la pre–
mière page tout le Dictionnaire de
l'Académie ou le Bottin pour lui faire
recouvrer la possession d'un nom
propre ou d'un mot évadé de sa mé –
moire et dont l'absence le torture,
lorsqu'un claustrophobe contraint les
siens à vivre par tous les temps portes
et fenêtres ouvertes, lorsqu'un persé–
cuté intente procès sur procès aux vo i –
sins qui lui envoient par les cheminées
de mauvaises odeurs et font retentir à
ses oreilles d'injurieuses paroles et ac–
cuse ses parents de saler sa soupe avec
de l'arsenic, ou qu'un épileptique dé–
coupe mé t hod i quemen t à coups de
bêche les meubles de sa chambre et
parfois les personnes aussi qui ont la
malechance de s'y trouver, nous esti
mons certes qu'ils sont gens d'incom–
mode et déplaisant contact, mais nous
ne jetons nul blâme sur leur conduite
et ne songeons pas plus à leur repro–
cher d'être ce qu'ils sont, qu'à un
dyspeptique de mal digérer, ou à un
diabétique d'avoir du sucre dans ses
urines.
Tous les dégénérés sont sujets à
certaines heures à ces impulsions i r r é –
sistibles auxquelles i l leur faut obéir
bon gré mal gré, à ces angoissantes
obsessions qui leur font accepter d'ac–
complir pour se soustraire aux tortures
qu'elles leur imposent des crimes dont
la pensée seule leur fait horreur; nulle
considération d'humaine pitié ou d'in–
térêt ne saurait les empêcher de faire
ce qu'ils doivent faire, et ils n'hésite–
raient pas à incendier une maison où
habitent cent personnes qu'ils aiment
pour faire périr celui dont le meurtre
hante impitoyablement leur esprit.
Abd-ul-Hamid semble de leur famille
et mille traits de son caractère qui,
Fonds A.R.A.M