soun, le sang coule à flots depuis le
27
avril.
Malgré que Sassoun fut cerné par plus de
3
o.ooo réguliers turcs et kurdes, l'ennemi
n'a pas été sans éprouver de sérieuses per–
tes. Au lieu de lutter.contre les combattants
et nos forces révolutionnaires, l'ennemi,
selon ses habitudes lâches et barbares, s'est
vengé sur les gens sans défense et innocents.
Vieillards, femmes, enfants, tous furent
massacrés sans pitié. Les Kurdes et les Turcs
fouillent dans les crevasses, dans les ravins
des montagnes, cherchent dans tous les
coins et tuent tous les Arméniens sans
défense, qu'ils rencontrent sur leur chemin.
Le
14
mai a commencé, entre Talori et
Guellieh une lutte sanglante qui continue
jusqu'aujourd'hui La bombe gronde conti–
nuellement et répand partout la mort et la
terreur. Les Turcs aussi ont éprouvé des
pertes assez considérables, ce qui les a
obligés de faire appel aux quelques autres
bataillons qu'ils ont demandés de Moush.
Des combattants et des fédaïs, au nombre
de
200,
défendirent la population des réfu–
giés contre l'ennemi, et leur donnèrent du
pain pendant une dizaine de jours. Au
bout de ce temps, voyant qu'il n'y avait
plus de farine, ils construisirent un pont
pour faire passer les réfugiés sur la rivière
de Talori et pour leur permettre ainsi de se
diriger vers Moush.
Pendant que les i5o familles allaient à
Moush, elles se sont trouvées cernées par
des soldats et des Kurdes qui ont massacré
hommes, femmes, enfants, sans distinc–
tion aucune. Les Turcs ont éprouvé aussi
de sérieuses pertes.
De cette foule, composée de i5o familles,
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o blessés ont seuls échappé à la mort et
sont arrivés à Moush. Les blessures sont
faites de coups de haches, de baïonnettes et
de poignards. Parmi les blessés il y a même
des enfants tout-à-fait en bas-âge.
Les deux consuls, présents à Moush, ont
pu constater de visu cette lamentable scène.
La situation des réfugiés de Moush est des
plus tristes; ils sont nu-pieds, affamés, ma–
lades; leur aspect est très lamentable. Il est
défendu aux passants de parler avec les
Arméniens et surtout de les secourir. U n'y
a pas un « aratchnort compatissant » qui ait
pitié de ces pauvres malheureux et qui les
console. Je suis cependant très heureux de
voir que la jeunesse et le peuple de Moush
se soumettent à de dures privations pour
venir en aide à leurs frères de misère et de
malheur. Partout ce sont les pauvres et les
humbles qui sont plus capables de sacrifier
que les riches et les puissants, car tandis que
le riche donne son superflu, le pauvre offre
son morceau de pain.
Après les massacres de Navatorig et de
Pertak, quelques cavaliers turcs, accompa–
gnés de soldats, entrent dans le viilage de
Mgracome. L ' un des notables arméniens,
Pozéian Mgo, va à leur rencontre. On fait
feu, neuf ehevaux tombent et quelques
soldats sont tués. Du village Hasse, à un
quart d'heure de Mgracome, un bataillon de
soldats arrive au secours. Les habitant fuient
vers T l a , mais des Kurdes en grand nombre
coupent leur chemin et font feu.
Pendant ce temps, deux petits garçons
montent sur des chevaux et vont apporter
la nouvelle du sinistre dans les villages
environnants. Aussitôt quelques braves
fédaïs, du village Tzaréglton, vont com–
battre les cheiks kurdes. Ils arrivent ainsi à
sauver la vie des fugitifs. La lutte entre nos
fédaïs et les Kurdes commence à 8 heures
du matin et ne se termine qu'à
2
heures du
soir. Les Kurdes accusent le prêtre armé–
nien du village comme ayant été la cause
des troubles. Ils prétendent qu'il a toujours
eu des relations secrètes et suivies avec les
révolutionnaires arméniens. Après cette
sanglante lutte, on a trouvé dans le village
les corps ensanglantés de Mgho, de Mardo;
de Hazréian, d'Elo, de quatre femmes et
quelques jeunes filles. On ne sait ce qui
arriva aux habitants de ce village après leur
exode. On raconte que ces fugitifs sont
dispersés dans différents villages et qu'ils
vivent d'aumône et de mendicité.
Il y a deux jours, un Kurde, nommé
Chacho de Tehbran pille tout le village
d'Achdichad. Les habitants ont fui. Il a tué
quelques hommes. Le vali a.rassemblé dans
la ville les notables de tous les villages et
les a forcés à signer une adresse de remer–
cîments au gouvernement. Je veux vous
dire quelques brèves paroles au sujet de
nos aratchnorts et des membres du dio–
cèse. Eznig « vartabet » de Bitlis et Knet
«
vartabet » de Moush, d'accord avec de
lâches notables, tels que Krikor Kendérian
de Bitlis, Mardiros Sahaguian et Nazaret
Kechichiantz ont donné satisfaction à toutes
les exigences du vali et signé l'adresse de
remercîments au gouvernement exigée paf
le vali. Comment est-ce que ces honteux
représentants du peuple ont osé signer
une telle adresse de remercîments? Igno–
rent-ils que le cruel vali a ordonné de
couper en morceaux les cadavres des Armé–
niens et de les jeter ensuite dans les rivières ?
N'est-ce pas le même gouvernement qui,
pour amoindrir aux yeux de la Commis–
sion d'enquête l'importance des massacres de
Sassoun, avait démoli le cimetière. A Bou–
lanik, vingt Arméniens viennent d'être
tués, les consuls n'ont pas encore fait un
pas pratique. Ils attendent pour agir l'arri–
vée du consul de Russie et celle des pachas
turcs. Les révolutionnaires sont abrités sur
les montagnes de Sassoun. Nous attendons
l'arrivée de Vahan un de ces jours. Quatre
bataillons de soldats et quatre canons sont
restés sur la montagne.
Nous attendons vos lettres avec impa–
tience.
Caucase.
Le catholicos arménien a fait dans les
derniers jours d'avril un voyage d'Etch-
miatzine à Erivan. On écrit d'Etchmiatzine
que le couvent se trouve dans une situation
financière des plus précaires. Avec les fonds
dont il dispose, i l pourra'encore quelques
mois couvrir ses dépenses. Au mois de
septembre, tous les revenus du couvent
seront suspendus et Etchmiatzine sera forcé
de fermer les portes du gymnase Kévor-
kian. La Commission chargée d'examiner
les valeurs immobilières ne s'est pas encore
réunie, les ministres étant très occupés. Il
n'y a jusqu'à présent aucune modification
dans la situation.
(
D ' a p r è s
Haïrenik).
LA QUINZAINE
Mensonges hamidiens
A u lendemain des interpellations et
questions des Chambres françaises, an –
glaise et italienne, à la veille de la
grande r é u n i o n internationale du
29
juin à Londres qu i couronnera la c am–
pagne de meetings et conciles tenus en
Angleterre, en France et en Italie, i l
était naturel que S. M . I. Ab d u l - Ham i d
t en t â t , une fois de plus, de travestir la
vérité dans un document officiel.
E n
1894,
lorsqu'il fallut commencer
à avouer, Ham i d fit dire dans le
Tarik
que l'enquête sur les é v é n eme n t s du
Sassoun était dirigée contre les b r i –
gands a r mé n i e n s ; l ' émo t i on alors fut
vive à Lond r e s , et l'ambassadeur b r i –
tannique releva durement le langage
i n s p i r é aux journaux turcs par Y l d i z .
Au j ou r d ' hu i , c'est à Paris m ê m e que
les contre-vérités officielles sont pu –
bliées, dans un c o mm u n i q u é de l ' am–
bassade ottomane, où
Mu n i r - P a c h a
justifie les paroles sévères de M . Pa u l
Camb o n , alors ambassadeur à Cons–
tantinople, selon qui le ministre des
affaires é t r angè r e s « était prié de n'ac–
corder aucune c r é anc e aux allégations
de Mu n i r . » U n grand nombre de
journaux français ont pub l i é le c om–
m u n i q u é hami d i en , sans en d é n o n c e r
les audacieux mensonges : un r é c en t
p r oc è s i n t e n t é au
Figaro
a mo n t r é
pour quels motifs de basse publicité ces
journaux ne laissaient pas à leurs r é –
dacteurs la liberté de parler du Sultan
et de ses r e p r é s e n t a n t s en France,
comme ils le feraient d'assassins ordi-
'
naires. Ici où nous n'avons aucune
Fonds A.R.A.M