heureux, affamés, décimés par le feu des
obus et des explosifs, ont été pris et massa–
crés.
D'aprèsfune nouvelle, malheureusement
encore non confirmée, cent personnes au–
raient réussi à échapper au carnage.
La troisième caravane des réfugiés fut
poursuivie jusque vers les montagnes de
Khtan et bombardée par les Turcs. C'est là
que le nombre des victimes a été le plus
considérable. Quelques Arméniens, affolés,
se livrent aux Kurdes et sont massacrés sur
le champ. Les femmes sont violées.
Depuis le
24
avril, des femmes et des en–
fants échappés aux massacres, arrivent à
Moush par petits groupes. Après avoir,
pendant quelque temps, promené dans les
rues leur faim et leur misère, ils ont'été
transférés et enfermés dans des maisons
humides et sans lumière où ils sont gardés
sous la surveillance des policiers. Le spec–
tacle de ces femmes et enfants, minés par
la terreur, la faim et la fatigue, est des plus
écœurants. Le nombre des femmes et en–
fants arrivés à Moush jusqu'à ce jour at–
teint le chiffre de
1
.5
oo.
Le massacre de Talori a été le plus terri–
ble. Les habitants de plus de douze villages
arméniens s'étaient réfugiés à Talori qui
déjà depuis le commencement du mois
d'avril était cernée par huit bataillons de
réguliers turcs et de plusieurs achirets
kurdes. Ces forces écrasantes étaient dou–
blées par l'arrivée à Talori d'autant de ba–
taillons et d'achirets après les massacres de
Tzépine et de Krechek. Habitants et réfu–
giés de Talori se sont vaillamment défen–
dus contre les obus et le feu continu de
l'ennemi. Les Turcs ont occupé Talori le
'6
mai. Le massacre, commencé aussitôt,
fut terrible. 3.000 Arméniens environ, sans
distinction de sexe, ni d'âge, furent massa–
crés impitoyablement. 11 est difficile de
donner le nombre des femmes et enfants
assassinés par les Kurdes et les Turcs pen–
dant leur fuite affolée de Guellieh.
Dans les districts de Guellieh et de Ta –
lori, i l y avait une population de 20.000 Ar –
méniens, composée des habitants de
35-40
villages arméniens. De ces 20.000 ha–
bitants, on ne voit plus que quelques jeunes
enfants et les
1
.5
oo vieilles femmes etenfants
qui sont arrivés à Moush. Que sont-ils de–
venus ces plusieurs milliers d'habitants?
Un grand nombre d'entre eux ont été
massacrés par les Turcs, d'autres, affamés
et nu-pieds errent dans les montagnes ou
sont cachés dans leurs crevasses. Plusieurs
femmes et jeunes filles ont été enlevées et
se trouvent dans des villages kurdes. Par–
tout des cadavres, des débris humains, les
cours d'eau en sont débordés et rouges.
Maintenant, le tout est arrivé à Moush,
où le feu et l'épée de l'ennemi dévastent la
plaine. Les troupes turques ont mis le feu
au village de Pertak et massacré les habi–
tants. Le 5 mai, des soldats turcs, des Kur–
des et des policiers ont anéanti le village de
Mkragon et massacré un grand nombre de
ses habitants. Dermert, Aligpon, Avez-
Agpiur, villages arméniens, ont subi le
même sort. La terreur et le désespoir sont
indescriptibles. Que de désastres, que de
sanglants demains nous attendent-ils
encore... Le gouvernement turc poursuit la
réalisation de son projet qui est celui
d'exterminer Sassoun et Daron. Si une po–
litique favorable ne mettait pas fin à ces
carnages, Daron aussi sera exterminé sous
peu.
Le gouvernement turc a décidé de faire
réparer les villages dévastés du Sassoun par
les Kurdes et de les faire habiter par des
musulmans. Vahan, Sahrat et Antranik
sont descendus avec leurs hommes dans la
plaine de Moush, pour défendre la popula–
tion. Les consuls d'Angleterre, de France
sont arrivés ; on attend celui de Russie. Un
bruit est répandu depuis quelques jours,
d'après lequel une troupe de cavalerie com–
posée de cinq cents Arméniens serait arrivée
à Bayarit. Cette nouvelle est-elle vraie?Que
se passe-t-il de votre côté? Je ne sais pas si
la semaine prochaine je pourrai vous écrire
car nous sommes tous en danger. Le gou–
vernement s'épuise en efforts pour mettre
la main sur les chefs révolutionnaires.
Continuez à nous écrire; vos lettres nous
donnent beaucoup de consolation.
'
H
M o u s h , le 15/28 ma i 1904.
Je vous avais parlé, dans ma précédente
lettre des massacres de Sassoun et de Da–
ron.
Les renseignements que nous venons de
recevoir rendent encore plus terrible le
tableau des carnages qui ont ensanglanté
ces deux districts.
Voici les noms des 45 villages arméniens
de Sassoun qui ont été complètement
anéantis : Guellieh-Guzan, Dahol, Mekitar,
Hessïnig, Garipchah, Merguer, Hochok,
Guerhessar, Aliank, Numoï, Gom. Le
nombre des Arméniens habitant ces villa–
ges montait à plus de 1800. Les villages de
Sémal et de Chénik avaient plus de 2t3o
habitants; Agpi, Kegachen, Chouchna-
merg, 1415 habitants; Kop, Dabek, Erit-
zank, Guermar, comptent ensemble
n y b
habitants; Nitenk, Hotzotzrank, Hsan,
Guéliemsour, 875 habitants ; Neguin,
Tchgntzon, Sart, Engouzig, Andgong,
Guellieh-Guenman, 1860 habitants ; Talori,
Ekoudan, Pourgh, Hagmank, io3o habi–
tants. Trahink, Helhovit, Nlarink, Atghou
et Mirré, 85o habitants. Hsonout, Korshou,
Spagang, Ergart, 65o habitants. Le total
des habitants des villages sus-énumérés
atteint i2Ô5o. De ces i2Ô5o habitants i l n'en
reste plus que 2800 vieillards, femmes et
enfants qui, échappés aux terribles griffes
de l'ennemi, se trouvent actuellement à
Moush. Si l'on réduit d'une manière ap–
proximative le nombre de ceux qui ont
trouvé un refuge sûr dans les crevasses des
montagnes ou dans d'autres endroits plus
ou moins cléments on arrive à un chiffre
encore énorme d'environ 8.000 victimes.
Comme vous le savez déjà par mes pré–
cédentes lettres, après la prise de Guellieh-
Guzan, ce sont les districts de Talori, de
Krechek et de Tgépine qui ont eu le plus
de victimes. Les Arméniens réfugiés dans
ces endroits furent cernés par les soldats
turcs et les achirets kurdes et attaqués par
l'ennemi à plusieurs reprises. Dans ces trois
districts les Arméniens ont opposé à l'en–
nemi une résistance héroïque, et après
avoir lutté contre les forces colossales de
l'ennemi ils ont été écrasés par elles.
Le Chéik-Ahmet Zélani, le digne fils du
sanguinaire Chéik-Mehmet Zélani, auteur
principal des atrocités commises pendant
les massacres de Sassoun en 1894, ayant
sous son commandement 5.000 Kurdes, a
tait brandir pendant huit jours l'épée de
l'islam et inspirer à ses fidèles adeptes la
brutale soif du sang des chrétiens.
Après avoir répandu partout le meurtre
et la terreur il vient de rentrer à Moush
avec le représentant du vali pour parler des
conditions d'appropriation des 45 villages
arméniens de Sassoun et signer à ce sujet
un contrat. Les Kurdes ont déjà commencé
à s'installer dans les ruines de nos villages
dévastés.
A Talori, les réguliers turcs et les Kurdes
ont été repoussés par les Arméniens qui, à
plusieurs reprises ont opposé aux forces supé–
rieures de l'ennemi une résistance héroïque.
Talori a été finalement écrasé et pris d'as–
saut par l'ennemi. Les Turcs pour écraser
Talori se sont servi d'un grand nombre de
bombes et d'explosifs. Ils ont bombardé
les habitants et réfugiés de Talori pendant
huit jours.
N'ayant pas osé attaquer les combattants
ils ont tué et massacré impitoyablement les
gens sans armes et sans défense, les vieil–
lards, les femmes et les enfants. Ils ont
violé les femmes, coupé leurs seins et
enlevé les vierges. Les cadavres, après avoir
été mutilés furent jetés dans les rivières.
Douze jeunes femmes, pour échapper à
l'outrage du viol, se précipitèrent dans la
rivière du haut de la montagne.
A Agpi, près d'un pont, le massacre fut
si terrible et si acharné que la rivière,
encombrée par des amas de cadavres, fut
arrêtée dans sa course. Pour chasser les tas
énormes de cadavres mutilés et pour réta–
blir ainsi le cours de l'eau, les soldats turcs
ont tiré des coups de canon.
Comme je vous avais déjà écrit, à Sas-
Fonds A.R.A.M