f r a n ç a i s à partager ses vues a u sujet d'une sorte de
d é m e m b r e m e n t des territoires appartenant au S u l –
tan. J'ai tout lieu de croire que des p r o p o s i t i o n s
analogues furent transmises par voie d i p l o m a t i –
que à p l u s i e u r s pays voisins. Je m'empresse d'a–
jouter que trop d ' i n t é r ê t s o p p o s é s é t a i e n t en p r é –
sence p o u r que le d i p l o m a t e dont i l s'agit insistât
l o n g u eme n t . »
—
Et dans ce partage, la France se voyait attri–
b u é e ?...
—
A d m e t t e z que ce p o i n t ne puisse faire l'objet
d'une indication p r é c i s e . Je ne v o u d r a i s p o i n t en–
c o u r i r une m é s a v e n t u r e pareille à celle q u i é c h u t
à notre ambassadeur à B e r l i n avant la guerre de
1870.
Il poussa l ' i m p r u d e n c e j u s q u ' à m a r q u e r sur
unecarte de Belgique, les divers territoires à r é p a r –
tir, en cas d e . . . d i s t r i b u t i o n et vous savez l'usage
que B i s m a r c k fit de cette esquisse g é o g r a p h i q u e .
Ceux qui se réservent
«
L e s confidences de l'ambassadeur, si d é s i r e u x
d ' h é r i t e r de « l ' h o mm e malade », é t a i e n t cependant
des plus s é r i e u s e s ; mais le projet m i s en avant en
1896
ne p o u r r a i t r e n c o n t r e r a u j o u r d ' h u i que des
a d h é r e n t s . . . p l a t o n i q u e s .
«
A u j o u r d ' h u i i l me p a r a î t i m p o s s i b l e de p r o c é –
der à u n partage de l'empire o t t o m a n . L a R u s s i e
est trop o c c u p é e à d é f e n d r e son prestige en E x t r ê –
me-Orient. L ' A l l e m a g n e songe à faire la c o n q u ê t e
c o mm e r c i a l e de l'Asie M i n e u r e en construisant le
c h e m i n de fer de B a g d a d . L ' A n g l e t e r r e attend que
les é v é n e m e n t s servent ses d é s i r s : enfin l ' A u t r i c h e
et l'Italie ont des v i s é e s p a r t i c u l i è r e s q u i se l i m i –
tent à l ' A d r i a t i q u e .
«
E n de telles c o n d i t i o n s , i l ne faut pas e n v i s a –
ger la p o s s i b i l i t é d'une entente internationale dont
la T u r q u i e paierait les frais. »
—
M a i s ce c o n c o u r s des puissances ne peut-il se
p r o d u i r e p o u r l a d é f e n s e des A r m é n i e n s ?
—
Il est à souhaiter q u e l'on agisse p r omp t e -
ment et que l ' o n d e m a n d e à la Porte, que l'on exi–
ge d u S u l t a n , l'application rigoureuse des r é f o r m e s
inscrites au t r a i t é de B e r l i n .
L
'
intervention
—
U n e s o l u t i o n p a r t i c u l i è r e vous semble-t-elle
p l u s s p é c i a l e m e n t i n d i q u é e ? L ' a u t o n o m i e d u pays
a r m é n i e n o u sa mise en t u t e l l e ? . . .
—
L ' i n d é p e n d a n c e absolue de cette malheureuse
p o p u l a t i o n se heurterait — actuellement — à des
difficultés
presque i n s u r m o n t a b l e s par le fait
m ê m e des différences de races et surtout de l'an–
tagonisme i r r é d u c t i b l e des r e l i g i o n s en lutte. Peut-
ê t r e p o u r r a i t - o n placer l ' A r m é n i e sous la protec–
tion i m m é d i a t e de l ' E m p i r e r u s s e ?
«
Je ne p r é t e n d s p o i n t que ce soit là une s o l u t i o n
a b s o l u m e n t d é s i r a b l e , ma i s tout au m o i n s , s'il en
est ainsi, nous v e r r i o n s cesser les massacres c o m –
m i s par les K u r d e s et les troupes turques, massa–
cres que les g o u v e r n e u r s ottomans encouragent
l o r s q u ' i l s ne v o n t pas j u s q u ' à les p r o v o q u e r .
«
Je suis partisan d'une action collective des
grandes puissances e u r o p é e n n e s p o u r mettre fin à
ces a t r o c i t é s . E t j ' a i la c o n v i c t i o n que, devant une
mise en demeure é n e r g i q u e de p l u s i e u r s Etats, le
S u l t a n — m a l g r é la protectation occulte d u K a i s e r
q u i l'a r e n d u s i arrogant, a u c o u r s des r é c e n t s
é v é n e m e n t s b a l k a n i q u e s — serait contraint de c é –
der et de mettre u n terme a u x exactions de sa sol–
datesque. »
L e s
d e r n i è r e s phrases v i b r è r e n t ,
é n e r g i q u e s ,
dans le silence du soir. E t j ' a p e r ç u s une flamme
p l u s ardente a u x y e u x d u m a î t r e , q u i venait de
faire entendre, encore une fois, une n o b l e protes–
tation de justice et de pitié p o u r la malheureuse
A r m é n i e .
R . FIGEAC.
LETTRE DU CAUCASE
S a i n t - P é t e r s b o u r g ,
4
m a i
1904.
Il y a
18
ans, en
1887,
quand la popula–
tion chrétienne du Caucase fut soumise au
service militaire, le gouvernement russe,
dans le but d'endormir le peuple, déclara,
que les soldats indigènes, arméniens ou
géorgiens, ne seraient pas envoyés dans les
provinces du fond de la Russie, mais que
ces derniers formant des régiments isolés,
seraient établis dans le sol natal, dans les
vallées riantes du Gazpegh et d'Ararat.
C'était la promesse supérieure. Il fallait la
remplir. Et on l'a remplie. Mais quelle en
fut la durée et dans quelle mesure fut-elle
stable. Telle est la question. Elle fut aussi
durable et aussi stable que d'autres nom–
breuses promesses supérieures, faites du
haut du trône.
A peine quelques années s'étaient-elles
écoulées que la promesse supérieure fut
violée. Et qu'y a-t-il là de honteux ou de
lâche? « Le tsar a juré, lé tzar viole son ser–
ment, » telles sont les paroles cyniques que
prononça le grand prince Michel devant la
délégation finlandaise composée de cinq
personnes qui était venue de Helssingfors
à la ville fondée par Pierre le Grand, pour
protester au nom de la constitution finlan–
daise, contre l'auguste violation de serment
de Nicolas II.
Le tzar a promis, le tzar reprend sa parole,
ont répondu, paraît-il, les autres grands
princes, comme réponse aux protestations
qui se faisaient entendre des frontières du
Caucase, quand le gouvernement foulant
aux pieds la décision par lui prise dans le
passé, commença peu à peu à conduire
hors du Caucase, les soldats indigènes, sur–
tout les Arméniens, et à les diriger vers ces
provinces lontaines, qui, quoique faisant
partie du même pays, non seulement ne
peuvent plaire, néanmoins, aux gens du
Midi à cause du climat et des conditions de
vie, mais sont également pernicieuses soit
au point de vue hygiénique soit au point
de vue du mode d'existence.
Quelle en était la cause? Etait-ce parce
que le soldat du Caucase n'avait pas de
devoir gouvernemental à remplir dans son
pays, ou bien parce que sa présence et ses
armes étaient indispensables pour assurer
la tranquillité des provinces intérieures; ou
bien encore parce que dans le pays natal le
soldat indigène donna des signes de mé–
fiance, signe démontrant que ce dernier
n'est pas fidèle au trône et qu'on ne peut se
fier à lui dans les moments difficiles.
Non ! aucune de ces causes.
Tout au contraire; même dans les ins–
tants les plus tragiques, dans ces moments
difficiles de larmes, quand on ordonnait
au soldat arménien de faire feu sur son
frère, son parent, son concitoyen, quand
on l'envoyait pour faire fermer les écoles
arméniennes par la force des armes, par–
tout et toujours, les soldats arméniens ont
montré qu'ils sont tellement fidèles et telle–
ment attachés à la discipline militaire qu'ils
ne songent pas même de loin à se révolter
et à se mettre sur le chemin de désobéis–
sance.
Ces preuves étaient brillantes. Mais qui,
dans ce malheureux pays tient compte des
preuves. Il y avait longtemps, paraît-il, et
dans des circonstances tout à fait différentes,
qu'il était décidé, que garder les soldats
indigènes dans leur pays natal
n'inspire
pas confiance, au point de vue des intérêts
du gouvernement;
et ainsi se basant sur cette
décision passée, on viola la promesse faite
et les soldats indigènes furent envoyés dans
d'autres provinces...
Le soupçon triompha encore une fois;
et cela dans les années, où n'existait presque
pas « le mouvement arménien », quand
autour d'Ararat, aucune preuve n'était en–
core acquise, qui pût justifier au moins
pour la forme qu'il était indispensable de
recourir « aux mesures sérieuses gouverne–
mentales. »
Mais voilà que le ciel s'obscurcit; sur
l'horizon apparurent des nuages politiques,
dans divers endroits, la foudre révolution–
naire éclata, au loin, tout au loin, se firent
entendre des coups de feu, la bombe même
éclata, et la tyrannie épouvantée considéra
comme arrivée l'heure décisive de prendre
en main « des mesures très sérieuses ». Des
conseils furent tenus, les officiers furent
appelés à des entretiens secrets ; Leurs Ex–
cellences ont préparé des communications
écrites, en un mot, c'était la tempête.
Et maintenant, même le soldat, cette
masse très ignorante et en même temps
très fidèle, sur laquelle sont établis les pieds
du trône, cette masse qui dans sa poitrine
solide et surtout dans sa tête dure, garde si
haut le grand sens de l'oppression — la
monarchie — cette masse est devenue dan–
gereuse, « soumise à une propagande mal–
veillante », et par conséquent digne d'une
conduite méfiante et d'une surveillance
sévère.
Pauvres soldats arméniens !
Peu d'entre vous ont eu la chance d'é–
chapper à l'exil, peu d'entre vous en cours
de leur pénible service de cinq ans ont pu
jouir du pays natal. Et aujourd'hui ou dé–
sormais ces « fortunés » en petit nombre et
leurs successeurs doivent s'éloigner, aller
dans d'autres pays, dans d'autres provinces,
où ces derniers, loin de « la mauvaise in–
fluence » de la propagande arménienne,
restent des serviteurs fidèles au trône, des
instruments aveugles dans les mains des
officiers... On vous a exilés, alors qu'il
n'existait aucun soupçon, quand n'existait
Fonds A.R.A.M