Guellieh-Guzan, où s'était réfugiée la popula–
tion arménienne de quarante-cinq villages
incendiés : les insurgés, conduits par An –
tranik se retirèrent, en se battant, vers les
sommets de Talori. Des milliers de fem–
mes, d'enfants et des vieillards ne pou–
vant les suivre, ont été impitoyablement
massacrés. Talori est actuellement bom–
bardé parles troupes ottomanes. Les insur–
gés, isolés du reste du monde, résistent.
Toute la vallée de Mouch est terrorisée,
malgré la présence des consuls. Les hauts
fonctionnaires russes, qui se trouvent près
de l à frontière, semblent vouloir exciter les
Turcs et les Kurdes contre les Arméniens.
C o n s t a n t i n o p l e ,
2
j u i n .
Les rapports des consuls de France, de
Russie et d'Angleterre sur les événements
du Sassoun informent que les troubles ré–
cents auraient fait cinq mille victimes parmi
les Arméniens.
Lettres des chefs sassouniotes.
I
Partzavantagh,
17
avril
1904.
via
M o u s h ,
24
a v r i l
1904.
Dans mes précédentes lettres, je vous
avais déjà écrit au sujet des combats des
3
i mars et
11
avril, ainsi qu'au sujet de la
lutte du i3 avril. Aujourd'hui, selon ma
promesse, je vous donne de plus amples
détails sur le dernier combat du i 3 . Le
11
avril prenaient part à la lutte des Kurdes,
des cavaliers et des soldats. Le
12
avril le
vali de Bitlis ayant avec lui 5 canons et des
soldats en grand nombre, ainsi que les
«
aratchnortes » et les notables de Moush et
de Bitlis arrive à Ladjighantzik.
Déjà, i l y avait quelques jours, on avait
avisé que le gouvernement entrerait d'abord
en négociations, mais que les hommes du
vali pourraient prendre au dépourvu les
révolutionnaires et le peuple de Sassoun ;
en effet, les canons, et les hommes que le
vali avaient amenés avec lui par force, con–
firmaient cette idée. Le
12
avril, vers
10,
11
heures du soir, Arakel vartabed, abbé de
Sourp Ohannès, arrive à Sémal comme
délégué de la part du vali ; i l était porteur
d'une circulaire du Patriarche et d'une
lettre de « l'aratchnort » de Moush, datée
du
10
avril, signée par les « aratchnortes »
de Moush et Bitlis, Arakel vartabed, et les
membres du Conseil du diocèse de Moush.
Le contenu de cet écrit était que les révo–
lutionnaires devaient se soumettre et rentrer
chez eux sains et saufs, et que la popula–
tion devait, de son côté, rester fidèle au
gouvernement à tous les points de vue; et
attendre ses faveurs; que dans le cas con–
traire, le gouvernement aurait recours à des
mesures sévères.
Se trouvaient à Sémal avec leurs bandes,
Hiraïr et Antranik, et quelques autres
chefs de Chénik, d'Alian, Guéllieh-Guzan et
Aghpi ; ceux-ci répondent au délégué qu'ils
ne peuvent répondre de suite, puisque leur
camarade Vahan se trouve à Tavirni, et
que d'autres chefs sont absents ; qu'ils doi–
vent tous se réunir dans un endroit la nuit
ou le jour suivant et tenir un Conseil pour
décider une réponse. Le délégué reste.
Hiraïr, Antranik et les autres chefs se
réunissent et décident de tenir un conseilà
Kégachen, le jour suivant dans la matinée,
mais comme la réponse quant à leur sou–
mission devait être négative, ils décident,
après avoir donné la. réponse, de réunir les
forces et la population des villages d'Alian,
Sémal, Kégachen, Chouchnamerk, Dapigh,
Iritzank et d'autres villages à Guéli, et
d'attendre tous l'arrivée de l'ennemi. Tous
ces villages furent incendiés.
Antranik part de nuit à Dapigh. Vahan
est informé la nuit d'arriver en hâte à Ké–
gachen. Vahan, dans la matinée du i3, ar–
rive à Kégachen et, n'y trouvant personne,
informe aussitôt à Sémal et Dapigh d'arri–
ver immédiatement ; et tandis qu'il atten–
dait l'arrivée de ses camarades, il entend
des coups de fusil et des cris de secours.
Vahan envoie aussitôt au secours les
5
soldats qui étaient avec lui et quelques
autres hommes du peuple, et lui-même
monte sur les hauteurs de Choumamerk, et
d'un autre côté, i l avise Antranik d'arriver
au secours de Sémal. Le village de Kégha-
chen est également endommagé. Dans la
matinée, Hiraïr, après avoir fait à Sémal
les arrangements nécessaires, il s'apprê–
tait à partir à Kéghachen, quand i l s'aper–
çoit que des régiments turcs s'avançant v i a
Merghémozan ; il pense d'abord que c'est
peut-être là une manifestation, mais i l
s'agissait d'un mouvement réel, et les
troupes marchaient vers Sémal en traver–
sant Chénik.
Les villages de Sémal et de Tachdok sont
immédiatement incendiés ; révolutionnaires
et peuple se divisent en deux camps ; une
partie sous le commandement de Sébouh et
de Mourad occupe Plirikh et une autre
partie sous la conduite de Hiraïr monte sur
les rochers du village et s'apprête à la résis–
tance. Le vali fait tirer cinq coups de canon
sur Sémal, les soldats divisés en deux co–
lonnes envahissent Sémal. Bien que les
positions occupées par nos camarades soient
peu favorables et leur nombre beaucoup
moindre, en proportion de la masse et des
régiments de l'ennemi, néanmoins, pour
permettre à la population de Sémal de
passer saine et sauve à Guéli, nos fédaïs
tentent d'arrêter la marche des soldats.
Des coups de fusils sont tirés des deux
côtés, des coups de canons retentissent éga–
lement; nos camarades ne pouvant d'un
côté résister plus longtemps, et d'un autre
côté les femmes et les enfants à Sémal
étant mis suffisamment en sécurité, cèdent
le pas et se dirigent sur les montagnes pour,
y occuper des positions et continuer la lutte..
Les nombreux Kurdes et les soldats
(10
à
à
12.000)
arrivent à écarter les fédaïs les.
uns des autres; neige sur les montagnes,
positions peu favorables; mais nos braves
sans perdre un moment continuent la
lutte avec sang-froid. Hiraïr, notre pré–
cieux camarade, après avoir reçu une balle
à la tête, tombe, à Tchaï (entre Guélieh-
Guzan et Sémal); de même Tijoghk, natif
du village de Ghizilaghatch.
Le soldat Mado, du village d'Akhatzkha,
tombe également peu après blessé au pied;
une partie des combattants prenant le che-
main de Tchaï se dirige vers Guéli; les
soldats marchent après eux. Jusqu'ici la
lutte nous avait été défavorable, mais quand
Antranik avec sa bande et des combattants;
d'autres endroits arrivent au secours de nos;
camarades, les combattants reprennent cou–
rage, rebroussent chemin et attaquent vio–
lemment les soldats et les Kurdes, qui com–
mencent à fuir; une partie des Soldats
reste dans la vallée, où ils sont impitoya–
blement massacrés et dispersés ; ils sont
poursuivis jusqu'à Tchaï et de là vers Ché–
nik et Sémal. Le soir, à
12
heures, le com–
bat prend fin.
Nous avons eu comme victimes : Hiraïr,
le soldat Mado et sept à huit personnes du
peuple, et quelques blessés. L'ennemi a
subi une plus grosse perte : rien que sur le
champ de bataille i l a laissé plus de trente
cadavres ; i l en a emporté beaucoup d'autres.
Le gouvernement avait distribué des fusils
Mauser. Nous n'avons perdu qu'une ou
deux armes; tandis que nous prîmes à
l'ennemi dix-huit fusils Mauser avec leurs
cartouches.
Le
14
avril l'ennemi fit venir de nou–
veaux soldats de Moush. Le i5 avril plus
de
200
Kurdes envahirent le village de
Mergher, près de Guellieh-Guzan, mais ils
furent aussitôt dispersés. Fut incendié le
village d'Ichkhintzor et évacué; des soldats
sont arrivés de Diarbékir et y campèrent;
ils menacent de marcher sur Talori. Le
16
avril, le temps étant pluvieux, la journée
passa calme. Le
17
avril également passa
calme; mais de nouveaux régiments arrivè–
rent de Moush; le nombre des soldats aug–
mente; une nouvelle invasion est immi–
nente.
Ici prennent fin les renseignements de R...
Les
20, 21
et
22
du mois, successivement,
les bataillons arrivés de Diarbékir, des tri–
bus venues des frontières, de Kharperth et
tous les musulmans se réunirent sur la
montagne, comme si ce qui était arrivé
jusqu'ici ne suffisait point.
En un mot, l'ennemi en nombre de 3o à
40.000
prépare un assaut ; d'autre part,
des coups de canon retentissent par cen-
Fonds A.R.A.M