prison pendant quelques jours et fut ensuite
exilé à Mouch par le froid et la neige.
Un jeune homme diplômé du collège se
met en route, muni d'une recommandation
du directeur des écoles de notre ville pour
aller en Chypre professer dans l'Orphelinat
national. Pendant qu'il passait par Mcrsine,
on le fouilla et on trouva la recommandation
innocente ; i l fut renvoyé à son point de dé–
part et emprisonné. Le directeur fut soumis
à un interrogatoire sévère. Quelque temps
après, sur l'intervention énergique du vice-
consul français, et après avoir graissé la
patte largement comme cela arrive toujours,
le jeune homme fut mis en liberté.
Un jeune homme de la campagne d'Od-
jakli était parti pour l'Amérique i l y a douze
ans, avait appris la médecine et était natu–
ralisé sujet américain ; cette année i l retourne
dans sa patrie, mais on ne veut pas le rece–
voir, à moins qu'il redevienne sujet ottoman.
A peine avait-il passé quelques jours dans la
campagne, qu'il fut arrêté comme un homme
suspect avec ses frères ; et tous furent amenés
ici à la prison centrale. On put les sauver
avec de grandes difficultés et en donnant une
caution, mais on déclara au docteur qu'il
resterait à Adana sans avoir aucune relation
avec aucun étranger. Maintenant, i l se pro–
mène comme un vagabond sohs une surveil–
lance sévère...
Nouvelles de province.
A l'occasion de
l'anniversaire de la naissance du Sultan,
quelques enfants arméniens qui étaient allés
à Hadjine pour voir. les illuminations, se
prirent de querelle avec des enfants turcs,
certes excités par les grands. On télégraphie
aussitôt qu'il y avait un mouvement révolu–
tionnaire. Des interrogatoires ont eu lieu, et
malgré les témoignages bienveillants du
kaïmakam, une vingtaine d'enfants armé–
niens de douze à vingt ans furent empri–
sonnés. Nous apprenons qu'ils seront amenés
à Sis pour être interrogés.
Depuis dix à quinze jours environ /Joo fa-
mitfes turques sont arrivées de Rouméiie.
Les voitures spéciafes du gouvernement sont
chargées de leur mobilier. Ils furent, pour le
moment, établis sur les terrains les plus fer–
tiles de Cilicie, en propriétaires.
Pour fuirles atrocités intolérables commises
à Diarbékir et à Erzeroum, environ vingt
familles d'émigrés arméniens sont arrivés ici;
une partie de ceux-ci étaient partis pour Is-
kendéroun ; on exile les hommes à Halep, après
leur avoir attaché tes mains, et on envoie ici
les femmes et les enfants. Les pauvres diables
passent leurs jours dans les habitations don–
nées par la nation à peine nourris. Leur état
est digne de pitié.
P. S.
Une lettre arrivée du Patriarcat
annonce que le prêtre Sahak Khabazan re–
viendra pour mettre fin à la question touchant
le catholicos de Sis.
L E T T R E D E D J É Z I R É
Djéziré, 3i janvier
1901.
Surtout depuis une année, ce qui rallume
et excite la haine et le mécontentement du
peuple entier, c'est la triste réalité des agis–
sements sauvages du chef de bataillon ha-
midié de Djéziré, Mousslafa pacha, et de ses
auxiliaires; les renseignements que nous
avons à ce sujet émotiounenl l'âme humaine.
Cet homme barbare, déjà depuis de longues
années, c'est-à-dire depuis que Bédir Khan
Bey et les siens s'éloignèrent de Djéziré, par
des atrocités nombreuses, suce, comme une
sangsue, le sang du peuple du lieu et des
paysans d'alentour. Depuis qu'il fut nommé
commandant de la troupe hamidié, avec la
tolérance de Zéki pacha, maréchal du qua–
trième bataillon, i l invente et exécute toutes
les formes de barbarie.
Comme vous le savez, les relations com–
merciales entre l'Asie Mineure et Bagdad et
Mossoul ont lieu, d'ordinaire, par le moyen
des radeaux sur le Tigre, et, quelquefois,
par l'ancien système, par la caravane.
Depuis Diarbékir jusqu'à Mossoul, tout le
long du rivage, et sur le parcours terrestre,
sur les principaux points,
Mousstafa pacha,
cette bête féroce ayant soif de sang,
a établi
des groupes de pillards kurdes, ses compa–
gnons d'armes, pour piller d'un côté les ra–
deaux qui passent et de l'autre la caravanej
aucun radeau, pas une caravane ne peuvent
lui échapper; i l les pille à son gré et les laisse
libres. Les habitants arméniens de Mossoul
et de Diarbékir font toujours parvenir de
vives protestations à Constanlinople ; per–
sonne ne les écoute et n'y fait attention ;
aussi tout trafic est devenu impossible dans
ces parages, et la misère est à son comble.
Le susdit pacha, buveur de sang, parle
toujours ainsi : «Je suis un homme qui a su
pénétrer l'esprit et le cœur du gouvernement
turc ; j ' a i choisi deux choses pour mettre en
exécution tous mes buts; l'une, c'est l'épée,
l'autre l'argent; quand on me graisse la
patte, je rends l'argent; quand l'argent ne
peut pas mettre en exécution son rôle, c'est
alors que je prends l'épée. «Pour le moment,
puisque le gouvernement turc a faim, i l a
dans ses mains les personnes influentes en
leur graissant la patte. Tous les ans, i l en–
voie à Zéki pacha, à Erzinghian,
40
à
5
o
mu–
lets chargés d'huile, de fromages et d'autres
provisions, une forte somme, des pièces de
monnaie d'or rouges bien sonnantes : vous
pouvez vous imaginer l'état d'un peuple
pauvre et sans armes. Quoique Djéziré ait
son kaïmakam, néanmoins, soit celui-ci, soit
ses subalternes, qui forment le gouvernement
local, sont, corps et âme, sous l'autorité de
Mousstafa pacha, bon gré mal gré.
Auparavant, le revenu annuel de Djéziré
était, environ, de
i5
,
ooo livres; tandis que,
depuis l'organisation des soldats hamidiens,
cette somme n'est que de la moitié, attendu
que c'est le susdit pacha qui avale l'autre
moitié, en occasionnant ainsi une perte de
7
,000
livres au préjudice du trésor du gou–
vernement.
Djéziré et les environs vivent comme des
esclaves sous l'autorité du susdit pacha ; ils
gardent des moutons et des chèvres en grand
nombre ; ils ont aussi d'autres commerces,
comme celui de blé, d'orge, d'huile, de fro–
mage et surtout de laine et de poil de chèvre.
Tous les moyens sont déjà médités à propos
de la dîme et des impôts sur ces produits;
de concert avec les membres du gouverne–
ment local, sans ouvrir un compte précis, il
inscrit un impôt quelconque qui égale à peine
la moitié de la somme véritable, i l s'appro–
prie le restant et i l fait une part à Zéki pa–
cha et à d'autres, pour donner plus libre
cours à ses barbaries, et le coup de grâce
au pays.
Les parents du susdit pacha, encouragés
par sa conduite, sucent, par un autre mode,
le sang, surtout des habitants chrétiens du
village de Djéziré; déjà, dans la journée, ils
emportent des boutiques manifestement et
sans crainte, tout leur nécessaire pour la
maison, l'habillement et la nourriture; ces
derniers temps, Tahir Agha, qui est un
parent allié de Mousstafa pacha, fait des
oppressions insupportables sur les pauvres
habitants de Djéziré; non content de ses faits
dans la journée, il envoie les siens pendant
la nuit dans la maison de l'un et de l'autre,
et fait réclamer des sommes d'argent sous
des menaces de mort ; celui qui paye a la vie
sauve, et celui qui s'oppose (bien qu'il n'y en
ait pas) est perdu; ces agissements se mul–
tiplient de jour en jour; la destruction est
proche. Ni le gouvernement, ni Dieu lui-
même ne peuvent prendre les devants de ces
sévérités atroces, si les Européens n'inter–
viennent, sinon, dans un avenir prochain, les
peuples paisibles de la Turquie disparaî–
tront ; les Jeunes - Turcs ne sont que de
simples bavards et qui ne savent que de
noircir du papier; si, véritablement, ils res–
sentent une douleur sur le malheur de leur
gouvernement ; si, réellement, ils aiment la
liberté, ils peuvent faire beaucoup de choses
utiles, mais nous déclarons avec regret qu'ils
ne veulent pas même sacrifier une goutte de
sang.
L E T T R E D E
H A L E P
Halep, 4 février
1901.
Enis pacha fit une tournée àKiliss, à Aïntab,
à Iskénderoun, et maintenant i l se trouve à
Halep; l'état des choses est trop triste; de–
puis que Enis est nommé vali d'une ville
comme Halep, les Arméniens ne peuvent
parler tranquillement l'un à côté de l'autre
sans être sujets à des soupçons ; plus de
trente prisonniers politiques se trouvent
dans les prisons; ce sont, quelques-uns, des
voyageurs venus de tous les côtés, et arrêtés
aussitôt entrés dans le vilayet de Halep. Les
fonctionnaires et le peuple turcs se conduisent
très lâchement avec les chrétiens en général
et avec les Arméniens particulièrement, se
permettant d'employer les mots les plus
ignobles à leur égard. Les crimes se sont mul–
tipliés sous Enis; des assassinats sont com–
mis, et le plus grand nombre des assassins
restent impunis. Il y a déjà à peine quelques
mois qu'une bande de Kurdes assaillit le
courrier de la poste et vola une somme de
2,000
médjidiés, ne pouvant toucher aux sacs
des pièces de monnaie d'or. Les Kurdes,
croyant que c'était dans la première voiture
que se trouvaient les pièces de monnaie d'or,
l'avaient assaillie de préférence, alors que la
voiture contenant les pièces de monnaie d'or
était restée en arrière. Les voleurs arrêtés,
par hasard on constata sans peine que les
Fonds A.R.A.M