Q.
Alors qu'un seul percepteur suffit
pour percevoir l'impôt dans chaque cam–
pagne, i l y a, d'ordinaire, sept à quinze
personnes, la plupart des cavaliers; ils
s'en vont en groupe dans les campagnes
et, comme les fermiers, reçoivent par force
la nourriture de leurs chevaux ainsi que
la leur des pauvres paysans a rmén i en s .
D'ordinaire, ils s'en vont dans les campa–
gnes pendant la nuit, ils assaillent les
maisons, brisent les portes, et ceux qui
n'ont pas de l'argent prêt, femme, homme
vieux ou orphelin, i l les emprisonnent
dans des écuries, ils les maltraitent, ils
les attachent à des colonnes, et ils leur
donnnent des bastonnades. Outre les per–
cepteurs officiels, les employés du gouver–
nement, les soldats, les agents de police
se chargent de la fonction de percepteur,
quand ils sont les créanciers du gouver–
nement et en échange de leurs créances,
ils ont des mandats sur les campagnes. Ils
s'en vont dans les campagnes qu'ils dé–
sirent, et tout est gratuit pour eux.
R.
Les atrocités des Kurdes excercées
contre les Armé n i e n s sont déjà des faits
bien connus ; ces dernières années surtout
elles ont pris une forme organisée, car
toutes les barbaries sont commises sans
aucune responsabilité et sans empêche–
ment. Dans chaque campagne armé–
nienne on a placé des aghas kurdes qui
s'y établirent personnellement, ou ils y
envoient leurs subalternes; i l ne resta
plus aucune campagne a rmén i enne où les
Musulmans ne fussent installés. Leur
première occupation fut de s'emparer des
champs, des maisons des Armén i en s , car
ils ont pour cela toutes les facilités et tous
les moyens. Les aghas des campagnes
arméniennes, leurs auxiliaires et domes–
tiques obtiennent par force tout leur né–
cessaire sans rien payer en échange ; ceux
qui s'y opposent sont tués. Les Armé–
niens labourent les champs des aghas
comme une corvée, coupent les herbes et
font la moisson. Les viols et les enlève–
ments de femmes et de filles arméniennes
étaient déjà des faits connus: ils sont
maintenant bien plus fréquents, car nuit
et jour ils entrent dans toutes les maisons
en brisant les portes et commettent tous
les méfaits sans en être empêchés. Aussi–
tôt que la moisson est mûre, les Kurdes
tombent sur les champs des Armén i en s ,
ils enlèvent et emportent les gerbes de blé
et ils perçoivent par force un impôt ap–
pelé « galmaste » pendant qu'on mesure
les meules. Les privations et les pillages
subis par les paysans a rmén i en s qui sont
près des frontières des campagnes kurdes
sont encore plus graves. Les Kurdes fran–
chissent les frontières a rmén i enne s , pren–
nent les produits des champs des Armé–
niens, détruisent les champs labourés et
ils les anéantissent : bref, c'est un devoir
pour les Kurdes de piller les Armé n i e n s
et de les ané an t i r . Par suite de cet état de
choses, les campagnes situées près du
couvent de Sourpe Garabed, Mczdi,
Baghlon, Keïban sont condamné s à faire
vivre le chef des brigands, Mehnict-Ali,
son neveu, Arabe, et son cousin, Davagh
avec leurs domestiques ; la campagne de
Keïban est soumise à une rançon de cent
livres, et les campagnes de Mczdi et de
Baghlon, chacune environ cinquante l i –
vres. Les Kurdes, outre leurs atrocités
habituelles, formant des bandes à pied ou
à cheval, détruisent les champs et les mon–
tagnes sans aucune crainte, pillent les
caravanes et les passants, enlèvent les
moutons et le bétail; ces bandes de bri–
gands ont pillé les campagnes de ï z i r o n k
et de Avazaghpure, ainsi que les couvents
de Sourpe Aghpérik, Sourpe Madnavank
et Sourpe Madine. L a campagne de Tchi-
tenk à Sassoun fut incendiée avec toutes
ses maisons; les campagnes de Guélié-
gouzan, d'Eghgarte, de Tzorer, de Spa–
ghank furent complètement a n é a n t i s ; les
bestiaux des campagnes d'Aghpri, de K h i -
lirdan, de Genkévédine sont enlevés.
Les campagnes de la plaine de Mouch,
à savoir : Tzighavse, Gonravse, Av r a n ,
Komse, Alidjan, Pertak, Ourakh, Ar v a -
rintch, Ardonk, Varténisse, Hartz, Boss-
takende, Hasskeuy, Norchène, Havado-
rik, sont toutes pillées.
S.
Les Armé n i e n s de la province de Sas–
soun à Mouch sont obligés de payer un
impôt spécial n ommé « khalirlik » aux
aghas kurdes, qui ont divisé cette petite
province entre eux en cercles, et ces
cercles payent le même impôt au chef de
tribu, sous l'influence ou la tyrannie du–
quel ils se trouvent. Comme les impôts
du gouvernement, cet impôt est renouvelé
tous les ans et est perçu sans faute. Les
tribus qui perçoivent cet impôt sont
celles de Khiane, de Khoulk et de Bozik;
en voici le mode de perception : le couvent
des Apôtres, Madine, à Sassoun, donne
vingt moutons, vingt litres d'huile et plus
de douze cents piastres. Une maison con–
sidérée comme aisée, sept à dix moutons,
cinq à six cents piastres, cinq à dix ocques
de laine ; une maison ordinaire, trois à
quatre moutons et cent à deux cents
piastres, de l'huile, de la laine, etc. Poul–
ies mariages, on est obligé de payer un
impôt spécial de « khafirlik », et néan–
moins ces aghas ne manquent pas de ra–
v i r tout et de voler, surtout de concert
avec les employés des immeubles du gou–
vernement dépossèdent, par des moyens
rusés, les Armé n i e n s de leurs immeubles
et se les approprient. Les chefs de tribus
kurdes vendent et achètent entre eux.
Les Armén i en s sont des esclaves et, ce
qui est plus tragique, c'est que, quand un
chef de tribu pille et tue les Armé n i e n s
du cercle d'un autre chef de tribu, celui ci
attaque de son côté les Armé n i e n s du
cercle de l'autre, détruit et massacre, et
ainsi c'est toujours l'Arménien qui est la
victime. Les Armé n i e n s de la campagne
de Tzitcnk à Sassoun n'ont pas voulu
donner leurs terres aux aghas, mais une
bande de brigands envahissant la susdite
campagne, incendia les maisons, détruisit
tout et, assassinant cinq des notables de
la campagne, jeta les cadavres dans le
fleuve et blessa deux autres ; les habitants
se dispersèrent et la campagne fut anéan–
tie. Cette année-ci aussi, la campagne de
Spaghank fut complètement anéantie par
le massacre annonc é .
T.
Les assassinats sont devenus habi–
tuels à présent, et prennent une extension
comme la peste; outre les nombreux as–
sassinats commis pendant les massacres,
dans l'espace d'une année, dans la plaine
de Mouch et dans les campagnes, cent
quatre personnes sont tuées et onze bles–
sées ; elles sont connues par leurs noms et
au besoin on peut en donner la liste.
P A P G H E N ,
vartabed de Mouch.
LETTRES
D'ADANA, DE
D J É Z I R É ,
DE HALEP
ET DE BITLIS
L E T T R E D ' A D A N A
Adana, 4 janvier
1901.
Impots.
—
Le gouvernement, comme vous
le savez, quoique dans la crise économique
habituelle, pour préparer des paiements par–
tiels pour l'indemnité de guerre, prend des
mesures très sévères pour ramasser de l'ar–
gent ; 3o à 35 emprisonnements par jour, — la
vente des meubles par force et à de très vils
prix, — sont des faits ordinaires. 11 y a
quelque temps, des percepteurs choisis par
la nation pour la perception de l'impôt na–
tional sont appelés devant le vali ; après les
avoir réprimandés, on leur fit la menace que
s'ils ne se hâtaient pas on percevrait les im–
pôts avec des mesures plus sévères. Habi–
tuellement à Noël, on accordait une semaine,
ce qui fut refusé cette année. D'après les
renseignements précis que nous avons pris,
les mîmes sévérités sont employées dans les
villes et les villages de l'intérieur.
Emprisonnements.
—
Dans les campagnes,
plusieurs pauvres ouvriers sont arrêtés sous
divers prétextes et envoyés en exil. Ces
jours-ci un Arménien de Mouch, Garabed,
pendant qu'il mangeait dans un restaurant,
fut pris pour un Turc, parce qu'il portait un
turban sur la tête, et fut emprisonné, accusé
pour n'avoir observé le Ramazan Chériff.
Lorsque plusieurs personnes voulurent prou–
ver sa qualité d'Arménien, le commissaire
leur répondit qu'il pouvait rester en prison,
puisque c'était un giaour. Garabed resta en
Fonds A.R.A.M