LA QUINZAINE
A v a n t
1&
J V I a s « a « i * e
Il suffit de lire dans leur ordre chro–
nologique les dépê che s de sources
diverses que nous donnons plus haut,
pour comprendre que le temps de
l'équivoque a pris fin et que le Sultan
Ham i d , suivant un plan longuement
et habilement méd i t é , pense que le mo–
ment est venu de p r oc éde r à un nouveau
massacre d ' A rmé n i e n s .
Cela ne pouvait faire doute pour les
observateurs attentifs : mais les choses
ont été conduites avec beaucoup de
subtilité et le patriarchat a rmé n i e n et
les puissances e u r o p é e n n e s semblent,
depuis b i en t ô t trois mois, avoir été les
faciles dupes de la diplomatie d'Y'idiz.
Dès le massacre de Hounan qu i fut
connu à la fin de mars, plus d'un mois
après son accomplissement, i l était fa–
cile de prévoir ce qui se passe aujour–
d ' hu i .
De gré ou de force, le patriarche a
dû consentir à favoriser des pourparlers
entre An t r a n i k , qu i repoussait toutes
les avances, et les au t o r i t é s locales d é –
sireuses de gagner du temps. Les am–
bassades, de leur côté, faisaient à la
Sublime-Porte de vaines r ep r é s en t a –
tions et tandis que l'on négociait indé–
finiment,
les troupes turques conti–
nuaient leur concentration, si bien que,
sans l'avoir vou l u , le patriarchat et les
ambassades collaboraient à l ' œuv r e de
l'astucieux assassin : les négociations
servaient à masquer les préparatifs mi–
litaires et à dissimuler la marche des
troupes sur Guellieh Gu z a n , sur Ta l o r i
et, d'autre part, dans une toute autre
r ég i on , sui Hassan Kalé où les fédaïs
étaient en force.
E n même temps, des dépê che s men–
songères propageaient la légende de
violences exercées par les fédaïs, accu–
sés de massacrer les femmes et les en–
fants dans les villages musu lmans et
d'enlever les filles ku r de s : c'était pré–
c i s éme n t le contraire de la vérité, puis–
que An t r a n i k , lorsqu'il attaqua le
village de Dapik dont les habitants
complotaient sa mort, mit d'abord les
filles et les femmes kurdes à l'abri de
tout mal en les conduisant dans des
familles a r mé n i e n n e s , avant de châ t i e r
les hommes comme ils le mé r i t a i e n t .
Mais i l importait de d é s h o n o r e r les
fédaïs dans l'opinion e u r o p é e n n e avant
de les dé t r u i r e et de massacrer la popu–
lation du Sassoun et de la plaine de
Mou s h .
Puis, brusquement, le plan harnidien
fut d é v o i l é ; alors que le
4
ma i , l ' am–
bassadeur russe provoquait des expli–
cations de la Porte et en recevait comme
de coutume des assurances satisfaisantes
trop a i s éme n t acceptées, le
8,
sept nou–
veaux bataillons étaient envoyé s contre
An t r an i k et le
12,
on apprenait en
m ê m e temps que les villages du Sas–
soun étaient cernés et que les ambas–
sades de France, d'Angleterre et de
Russie prescrivaient à leurs consuls,
dans la région de Mou s h , de veiller à
la protection des A r mé n i e n s .
Lorsqu'en
1894,
dans la même région
du Sassoun, les p r emi è r e s grandes tue–
ries hamidiennes furent exécutées, les
consuls e u r op é e n s , peu ou point aver–
tis, refusèrent d'abord d'y croire, et
l'enquête décidée quatre mois ap r è s les
é v é n eme n t s était c o n d amn é e à ne point
aboutir, é t an t d o n n é e la mauvaise vo–
lonté évidente du gouvernement russe
et du prince Lobanoff.
Cette fois, les gouvernements français,
anglais et russe ont été avisés en temps
utile et, au risque de répéter avec mo –
notonie les même s p r éd i c t i on s sinistres,
voilà plusieurs mois qu'ici nous avons
d é n o n c é ce qu i se p r é p a r a i t . E n n'agis–
sant pas avec énergie dès le d é bu t , les
puissances e u r op é e nn e s se sont rendues
en partie responsables et complices de
la situation p r é s e n t e , plus par inertie
peut-être que par mauvaise volonté ac–
tive.
S'il en faut croire l'article officieux
du
Matin,
reproduit plus haut, leur
attitude deviendrait différente: ap r è s
avoir laissé commettre de nouveaux
crimes, elles seraient décidées à inter–
rompre l ' œu v r e de mort et à emp ê c h e r
une plus abondante effusion de sang.
Il est é v i d emme n t très
important,
comme le remarque l'auteur de la note,
que la Russie se soit associée i mmé –
diatement à l'action anglo-française en
A rmé n i e . Mais i l est bien évident que
si les deux grandes puissances occiden–
tales ne donnaient pas le ton en celte
tragique circonstance, la protection
russe serait s i n g u l i è r eme n t p r é c a i r e et
illusoire pour les A r mé n i e n s : la circu–
laire confidentielle du
27
février der–
nier, é m a n a n t du gouverneur russe du
district de Ghagzouan, ainsi que d'au–
tres circulaires é g a l eme n t confidentiel–
les qu i ont été déjà d o n n é e s ici montre
bien que j u s q u ' à cette date au moins
l'entente tacite pour la destruction des
A r mé n i e n s se maintenait entre les au–
torités russes de Transcaucasie et les
au t o r i t é s hamidiennes des vilayets voi–
sins.
L'article du
Matin
laisse espérer que
l'influence des deux grandes puissances
libérales p r é v a u d r a dans cette phase
nouvelle de la question a r m é n i e n n e ;
et si nous n'avions été tant de fois
d é ç u s , nous accepterions l'heureux au–
gure que d'avance l'accord des trois
grandes puissances sanctionnera les
r é s o l u t i on s qu i seront prises à Londres,
à la fin du mois procha i n . Mais c'est
dès aujourd'hui que les r é s o l u t i on s
identiques à celles qu i fuient prises
en maintes occasions à Paris, à Mi l a n ,
à Rome et à Londres doivent servir de
programme à l'action conc e r t é e des
diplomates.
Elles ne diffèrent pas non plus beau–
coup de ce que pourrait demander
An t r a n i k si son avis était sollicité; et
pour l'édification des minisires euro–
pé en s , i l est bon de leur faire c o n n a î t r e
quel homme est ce « bandit », aujour–
d'hui en péril de mort pour avoir
dé f endu la cause de son peuple par les
seuls moyens qu i l u i étaient laissés.
Voilà b i en t ô t quinze ans — c'est-à-
dire depuis sa v i ng t i ème a n n é e — que
cet ouvrier charpentier de Chabin, K a -
rahissar est dans la lutte. Dès
1890,
i l
faisait partie de l'organisation révolu–
tionnaire et avait des démê l é s avec la
justice du Sultan pour avoir pris parti
en faveur des gens de son quartier op–
p r i mé s par l'administration locale et
par leurs compatriotes musu lmans .
Quand il fut sorli de prison, il vint à
Constantinople, et, par une é t r ange
destinée, i l travailla avec son patron au
palais même d'YIdiz. E n
i 8 g 5 ,
il passa
en Rouman i e et de là au Caucase, et en
1896,
il accompagna une bande qu i
transporta des armes. A Akh l a t , sa
mission accomplie, il rentre au Cau –
case, et, en
1897,
il passe à Salmast,
puis à Van et Ak h l a t en compagnie de
Vazken et d eKo u r k e n . J u s q u ' à la mort
de Ko u r k e n , il reste avec ceiui-ci dans
la bande de Se r op -Aghpu r , dont i l se
sépare alors.
A la mort de Sé r op , la bande réorga–
nisée le choisit comme chef unique et
i l tient la campagne depuis plusieurs
Fonds A.R.A.M