percepteurs sont envoyés successivement
dans la même campagne, dont chacun à
son gré perçoit les sommes qu'il désire.
Pour piller le laboureur, le « séleffe » est
employé sous forme de trafic. Par exem–
ple, on convient avec le laboureur qu'en
lui donnant
20
piastres, i l rendra un kilé
de blé pendant la moisson, mais à cette
époque le kilé de blé vaut
60
à
120
pias–
tres. Les percepteurs sont eux-mêmes des
«
sélefdjis » ou au besoin ils amènen t des
«
sélefdjis » avec eux dans les campagnes,
tous Turcs, et si les paysans n'ont pas de
dettes, on les force sous différents pré–
textes de faire le « séleffe »; on vend leurs
animaux, les céréales et leurs bœufs et le
peuple ne peut par conséquent labourer
ses champs. Les percepteurs perçoivent
l'impôt des années à venir, ils réclament
la part de ceux qui ont émigré de ceux qui
restent ; ils prennent en échange de l'im–
pôt leur nourriture, détruisent leurs mai–
sonnettes et les vendent; ils prennent aux
paysans la nourriture de leurs chevaux ;
ils injurient la nation et la religion, ils
brisent les meubles de parti pris ; les pay–
sans qui protestent contre ces injustices
sont considérés comme insoumis et révo–
lutionnaires.
L.
Les Armén i en s sont persécutés
devant les tribunaux et c'est toujours
l'islam qui a raison, de sorte que les Armé –
niens n'ont plus de recours aux tribunaux,
car l'arrêt est toujours prononcé contre
eux. C'est par ces arrêts injustes que :
i° Le juge de Mouch écoutant les faux
témoignages donne à quelques Kurdes
la ferme Gélakhol, appartenant au cou–
vent de Sourpe Hovhan depuis quarante
ans par des titres et des documents
légaux.
2
0
Le même juge donne au chef de tribu
ku r de , le nommé Kiore Sils de K i a n ,
l'un des chefs des massacres de Sassoun
en
1895,
l'immeuble appartenant aux
paysans de Chadaki Sémal, depuis cin–
quante ou soixante ans.
3
° Le même juge donne au Turc Ibrahim
de Mouch le pâturage qui appartenait
depuis une centaine d'années au couvent
de Sourpe Arakélotz situé dans la cam–
pagne de Mogank à Mouch.
4
° Le prêtre Ghazar du couvent de
Sourpe Aghperk fut tué par les Kurdes de
Sassoun et de B i l i k ; on fit des protesta–
tions, mais le gouvernement disant que
c'étaient les Fé t ah i s qui l'avaient fait,
laisse les malfaiteurs impunis.
5
°
Le Ka ïma k am du régiment Hami d i é ,
Djibranli Ibrahim, avec sa bande, enlève
sept cent cinquante moutons dans la cam–
pagne d'Ourouk; l'ex-vali de Bitlis en
fait reprendre quatre cents, mais le juge
les enlève aux paysans en disant que les
moutons volés n'étaient pas ceux-là et i l
les rend aux brigands, en condamnant à
de lourds frais de procès les véritables
propriétaires des moutons.
6
°
Le fameux chef des brigands, Mehmet
A l i tue le diacre Mousès du couvent de
Sourpe Garabed de Mouch ; les prêtres
de la congrégation protestent, mais au
lieu d'arrêter le criminel, le gouverne–
ment fait venir en ville les prêtres qui
avaient protesté, parmi lesquels un reli–
gieux de quatre-vingt-quatre ans, comme
des gens suspects : ils sont soumis à l'in–
terrogatoire à la place du criminel.
M.
Ce sont les Turcs qui sont les fer–
miers des impôts de la dîme des pro–
duits ; les Armén i en s craignant l a rancune
des fermiers turcs, ne peuvent pas parti–
ciper à l'enchère de l'affermage. S i les pay–
sans a rmén i en s peuvent affermer en com–
mun, au moment de l'enchère, les Turcs
enchérissent tant, que si l'enchère reste
sur les Armén i en s , l a valeur de toute l a
moisson ne suffit pas pour payer cette
somme. Ce sont seulement les paysans
qui nourrissent gratuitement les fermiers
et ils les logent avec leurs camarades,
leurs domestiques et leurs chevaux. Les
fermiers turcs réclament et obtiennent des
impôts qui dépassent la mesure fixée par
la l o i . Outre l'impôt de la dîme, ils reçoi–
vent des céréales sous le nom de « Gal-
maste »; ils laissent les produits longtemps
sans les mesurer, pour que les proprié-
traires de la moisson s'arrangent avec les
fermiers. Ils effacent les signes faits sur
les tas de céréales, en les laissant long–
temps en plein air, les signes s'effacent
d'eux-mêmes, et profitant de cela, ils per–
çoivent de nouveaux impôts, comme si les
tas n'avaient pas été mesurés et l a dîme
perçue. Ils réclament de lourds impôts
des fruits et des légumes des jardins et
des vignes ; aussi les paysans ont-ils cessé
toute culture. Quoique l a dîme de l'herbe
fût payée en nature, ils réclament néan–
moins de l'argent, et en falsifiant les
listes, ils reçoivent ainsi
80, 90, 120
pias–
tres d'une gerbe qui ne vaut que 3o ou
4
opiastres. Pour transporter gratuitement
dans les greniers les céréales qui consti–
tuent la dîme, la l o i a fixé une distance
au delà de laquelle le paysan n'est pas
tenu de les transporter gratuitement ; les
fermiers, au contraire, les font transporter
par force gratuitement à une distance de
huit à neuf heures. I l serait très utile soit
au trésor impérial soit au peuple agricole,
que l'on ajoutât cet impôt à celui de l a
terre et qu'on le perçût de même.
N.
Pour la sûreté générale, des gardes
champêtres à cheval de quinze à trente et
des agents sont envoyés dans l a plaine de
Mouch et dans les campagnes de Sassoun,
et le peuple a rmé n i e n est obligé de leur
procurer leur nourriture ainsi que celle
de leurs chevaux. Ils sont, parfois, char–
gés de l a perception de l'impôt et ils com–
mettent ainsi toutes les violences. Ils
prennent, uniquement pour l a forme, des
reçus des chefs de villages a rmé n i e n s
comme quoi ils ont payé leur nourriture
ainsi que celle de leurs chevaux, mais
l'argent n'est jamais payé. E n outre les
gardes champêtres ramassent de l'argent
pour le compte du fisc, mais ils ne
donnent pas de reçu ou ils donnent un tel
reçu que l'employé comptable du gouver–
nement ne l'accepte pas et que le peuple
reste encore débiteur de l a somme payé e .
O.
Les pauvres paysans ont aussi à
souffrir de la Régie. Ce sont les Musul–
mans qui sont maintenant les employés;
ils portent et laissent dans les campagnes
une grande quantité de paquets de tabac
et en échange ils reçoivent de l'argent.
Qu'on fume ou non, tout le monde doit
acheter et payer le prix; cette violence
est faite seulement aux campagnes armé–
niennes et ainsi toutes les semaines cha–
que campagne paye
00
à
i5o
piastres et
même plus.
P.
Le mot ou le prétexte de révolution
porte un grand coup contre le peuple qu i
est ané an t i et livré à des angoisses par
des persécutions que font non seulement
les employés du gouvernement, mais aussi
tous les Kurdes et les Turcs; ils réussis–
sent à faire tourner à leur profit le mot de
révolution. Tout Armé n i e n , qui occupe
une position, est soumis à la fausse accu–
sation de révolutionnaire; i l est maltraité
pillé, tué ou emp r i s onné , et à peine mis
en liberté ap r è s des anné e s dans un état
misérable, pour donner place à un autre;
ainsi les prisons sont toujours remplies
d ' Armén i en s . L ' Armé n i e n n'a pas le droit
de protester qu'il n'est pas révolution–
naire; on ne l u i donne pas de passeport
pour aller d'un endroit à un autre et par
conséquent tout le monde est pour ainsi
dire emp r i s onné ; le port d'armes est for–
mellement défendu ; tous les Musulmans
sont au contraire autorisés. On met des
Kurdes pillards dans les campagnes ar–
mén i enne s sous prétexte d'empêcher l'ac–
cès des révolutionnaires; dans le but de
faire une source de gain pour eux du
peuple arménien, on montre la province
de Mouch comme toujours remplie de ré–
volutionnaires, alors que l'Arménien dé–
sespéré et qui arrive à peine à gagner sa
vie, n'y songe même pas. Dans cette der–
n i è r e année, les campagnes a rmé n i e nn e s
suivantes furent soumises à des attaques,
des pillages et des assassinats, sous pré–
texte d'arrêter les révolutionnaires :
Tzironk, Pertak, Araz, Terkivank, Sou-
louk, Khililkhatch, Guéliégouzan, Elgarte,
Tzorer et Spaghank qu i fut entièrement
ruiné et détruit.
Fonds A.R.A.M