Lettres de Moush et de Van
          
        
        
          LETTRE DE MOUSH
        
        
          28
        
        
          février
        
        
          1904.
        
        
          Notre situation est intolérable et prend de
        
        
          plus en plus une mauvaise tournure. Les Turcs
        
        
          de notre endroit sont très excités contre les
        
        
          Arméniens; les cheiks envoient dépêches sur
        
        
          dépêches à la Sublime Porte et au sultan, pour
        
        
          obtenir l'ordre de massacrer les Arméniens de
        
        
          Sassoun, de Moush et des environs. Et ils
        
        
          menacent même si l'ordre n'est pas accordé,
        
        
          ils s'uniront aux Kurdes et aux soldats pour
        
        
          attaquer Sassoun.
        
        
          Il y a i5 jours, les agents-percepteurs, se
        
        
          livrent à une série d'infamies dans le village
        
        
          arménien de Hounan; les paysans les chassent
        
        
          du village; les agents arrivent en ville et en pré–
        
        
          viennent le gouvernement.
        
        
          Le soir, à
        
        
          10
        
        
          heures à la turque, des soldats,
        
        
          des agents, et la foule turque se dirigèrent vers
        
        
          le susdit village. Les paysans avertis de leur
        
        
          arrivée, occupent des positions pour leur tenir
        
        
          tête. Pendant la lutte, environ 3oo agents et
        
        
          soldats prennent la fuite, et s'en vont au village
        
        
          de Héghiné où ils se cachent jusqu'au matin.
        
        
          Deux soldats sont morts dans la lutte. Le
        
        
          matin, Turcs et Kurdes, accourent de partout
        
        
          vers le susdit village de Hounan qu'ils pillent
        
        
          entièrement
        
        
          (120
        
        
          maisons), sans même laisser
        
        
          un balai. Ils violent les femmes et les jeunes
        
        
          filles, ils enterrent tout vivants dans la neige
        
        
          des enfants encore au berceau, ils en jettent
        
        
          d'autres dans les puits et ils tuent de nombreuses
        
        
          personnes dans des tortures.
        
        
          Depuis cet événement la ville est dans la
        
        
          terreur et l'épouvante ; fe marché est fermé, à
        
        
          peine 3 ou-6 boutiques sont ouvertes dans la
        
        
          journée ; le commerce a cessé complètement et
        
        
          la crise financière est grande. Le gouvernement
        
        
          écrivit officiellement plusieurs fois à « l'aratch-
        
        
          nort » de faire ouvrir les boutiques, mais celui-
        
        
          ci a répondu que le peuple n'a pas de confiance.
        
        
          Les Arméniens de notre endroit, à part
        
        
          quelques notables, sont tous unis ; tous les
        
        
          villages de Sassoun et de la Plaine attendent le
        
        
          moment critique, ils veulent prendre les armes,
        
        
          mais ce qui est regrettable c'est qu'on ne
        
        
          peut s'en procurer ; le* gouvernement a sé–
        
        
          vèrement interdit de vendre des armes aux
        
        
          Arméniens et même les chéiks ne reconnaissent
        
        
          plus comme le fidèle du Prophète celui qui en
        
        
          vend. Des milliers de personnes sont prises à
        
        
          acheter des armes, mais presque toutes étant
        
        
          dénuées de ressources, s'en trouvent privées.
        
        
          Aujourd'hui, il y a six bataillons de soldats
        
        
          ici et on dit que dix autres bataillons arriveront
        
        
          sous peu, sous le commandement de Zéki pacha,
        
        
          commandant du 4e corps d'armée.
        
        
          L' « arachnort » de notre endroit a envoyé
        
        
          une dépêche au Sultan au sujet de l'incident du
        
        
          village de Hounan, en décrivant la situation
        
        
          intolérable de la population ; aucune réponse
        
        
          n'a été obtenue jusqu'ici, et on n'espère plus en
        
        
          obtenir.
        
        
          .
        
        
          L'arme, qui aujourd'hui 'est devenue le seul
        
        
          objet vénéré par le peuple, est cependant hors
        
        
          de prix; toute la population s'écrie: « Il nous
        
        
          faut des armes, des armes ! >
        
        
          LETTPE DE VAN
        
        
          10
        
        
          janvier
        
        
          1904.
        
        
          Le gouvernement, il y a quelques jours, en–
        
        
          voya quelques dizaines de cavaliers dans les
        
        
          provinces, qui firent des perquisitions dans les
        
        
          villages d'Aghthanar, Maregh, Khorbous et
        
        
          Alure. Le gouvernement avait appris qu'une
        
        
          bande armée de révolutionnaires avait passé par
        
        
          les susdites localités. Le vali s'est adresse à
        
        
          1'
        
        
          «
        
        
          aratchnort » lui demandant de lui remettre
        
        
          les révolutionnaires.
        
        
          
            •25
          
        
        
          janvier
        
        
          19
        
        
          ^4.
        
        
          Nous apprenons, par des sources authenti–
        
        
          ques, qu'une somme de
        
        
          20,000
        
        
          livres doit être
        
        
          prélevée sur Van, somme destinée aux dépenses
        
        
          occasionnées par le mouvement macédonien.
        
        
          Et le vali, par son ordre, a permis qu'une
        
        
          bande de bêtes farouches pussent circuler dans
        
        
          les qvartiers de la ville, entrer librement dans
        
        
          les maisons, emporter tout ce qu'ils trouvent
        
        
          en échange des impôts et rouant de coups
        
        
          impitoyablement les malheureux qui ne possè–
        
        
          dent rien.
        
        
          11
        
        
          vaut mieux se taire au sujet de ce
        
        
          qui se passe dans les provinces, car les souf–
        
        
          frances inouïes qu'on y supporte, dépassent
        
        
          toute imagination.
        
        
          3
        
        
          o
        
        
          janvier
        
        
          1904.
        
        
          Sassoun est presque en état de siège ; des
        
        
          bataillons s'y dirigent de Van et d'Erzeroum ; le
        
        
          commandant général est arrivé à Moush ; le
        
        
          corps d'armée à Erzinghan a reçu l'ordre de
        
        
          marcher vers Sassoun.
        
        
          Nous apprenons qu'un bataillon du
        
        
          4
        
        
          e
        
        
          corps
        
        
          d'armée serait également parti de Bagdad pour
        
        
          Sassoun. Par l'ordre du gouvernement, des
        
        
          bandes de brigands circulent dans la plaine de
        
        
          Moush où ils pillent et ils anéantissent tout;
        
        
          en agissant ainsi, ils pensent anéantir la force
        
        
          de Sassoun, mais les révolutionnaires sauront
        
        
          comment agir... A Chadakh le pays est rempli
        
        
          H
        
        
          .
        
        
          e soldats ; on dit qu'on y a envoyé aussi des
        
        
          canons; que pense faire le gouvernement ? On
        
        
          ne le sait. Les impôts doivent être perçus jus–
        
        
          qu'au mois d'avril.
        
        
          21
        
        
          février
        
        
          1902.
        
        
          Nous sommes encore au début de l'année et
        
        
          la terreur et la crainte des massacres est répan–
        
        
          due partout ; partout on chuchote : « A u prin–
        
        
          temps, il y aura des massacres » ; comment ce
        
        
          bruit est né — cela n'est pas certain ; ce qui
        
        
          '
        
        
          est certain, c'est que toute la population armé–
        
        
          nienne en parle dans les villes et les villages.
        
        
          
            Les préparatifs
          
        
        
          
            du gouvernement.
          
        
        
          —
        
        
          De
        
        
          tous, côtés des soldats se dirigent vers Moush,
        
        
          Sassoun qui déjà se trouve quasi en état de
        
        
          siège. Tout contribue à prouver qu'au com–
        
        
          mencement du printemps, Sassoun sera le
        
        
          théâtre de tueries ; déjà les Turcs parlent que le
        
        
          gouvernement attend la fonte des neiges pour
        
        
          marcher sur Sassoun.
        
        
          Déjà dans la plaine de Moush on a commencé
        
        
          d'opprimer et de torturer la population sous
        
        
          prétexte de percevoir les impôts.
        
        
          Que de désastres attendent la malheureuse
        
        
          population arménienne au printemps prochain !
        
        
          —
        
        
          MACÉDOINE
        
        
          L
        
        
          H
        
        
          
            comédie des réformes.
          
        
        
          Les officiers européens chargés de la
        
        
          réorganisation de la gendarmerie viennent
        
        
          de partir pour prendre possession de leur
        
        
          poste, après de longs palabres où l'on dis–
        
        
          cuta pour savoir s'ils porteraient le fez ou
        
        
          le kalpac : le kalpac semble l'avoir em–
        
        
          porté. La chose est de plus de gravité qu'on
        
        
          ne le pourrait croire d'abord : le fez est plus
        
        
          spécialement turc; le kalpac est commun à
        
        
          la cavalerie turque et à d'autres armées
        
        
          européennes : en imposant le fez aux offi–
        
        
          ciers étrangers, Sa Majesté Impériale les
        
        
          faisait siens et les discréditait du même
        
        
          coup.
        
        
          D'autres dissentiments ont éclaté entre
        
        
          l'Autriche èt l'Italie touchant l'attribution
        
        
          des secteurs e: i l est possible qu'Abdul-
        
        
          Hamid s'emploie à les faire renaître et à les
        
        
          envenimer. Il n'est donc pas temps encore
        
        
          de chanter victoire.
        
        
          L'accord turco-bulgare, dont la signature
        
        
          est due à la persévérance de M . Nachtevitch,
        
        
          n'a jusqu'à nouvel ordre qu'une valeur
        
        
          virtuelle : ce peut n'être qu'un papier
        
        
          sans importance, si les clauses n'en sont
        
        
          pas exécutées. Déjà l'amnistie est différée
        
        
          et quand i l s'agira de rapatrier sérieuse–
        
        
          ment les vingt-cinq mille réfugiés, on se
        
        
          heurtera à des difficultés nouvelles. Quant
        
        
          aux mesures éventuelles du gouvernement
        
        
          bulgare contre les Macédoniens, elles ne
        
        
          sauraient être efficaces; i l peut arrêter quel–
        
        
          ques chefs, au risque de soulever contre lui
        
        
          l'opinion publique; mais i l ne peut détruire
        
        
          l'Organisation Intérieure qui réside dans le
        
        
          pays même et qui seule est maîtresse de
        
        
          déchaîner ou de retenir l'insurrection. Ce
        
        
          n'est pas à Sofia ni à Constantinople que
        
        
          ces choses se décideront, mais à Monastir
        
        
          et à Salonique et selon que les réformes
        
        
          avorteront ou non, les paysans macédo–
        
        
          niens se tiendront tranquilles ou prendront
        
        
          les armes.
        
        
          "
        
        
          L
        
        
          
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            Accord turco-bulgare.
          
        
        
          Voici le texte officiel de l'accord conclu,
        
        
          le 9 avril, entre la Turquie et la Bulgarie :
        
        
          Le gouvernement impérial ottoman et la princi–
        
        
          pauté de •Bulgarie se sont entendus sur les ques–
        
        
          tions que voici .
        
        
          1"
        
        
          La principauté de Bulgarie s'engage à empê–
        
        
          cher sur son territoire, ainsi que sur celui de la
        
        
          Roumélie orientale, la création de comités révolu–
        
        
          tionnaires et de bandes armées, de même que tout
        
        
          acte ou complot divers contre l'Empire, et à châ–
        
        
          tier avec la plus grande sévérité les personnes qui,
        
        
          après avoir commis des actes préjudiciables à la
        
        
          paix publique dans les provinces voisines, vien–
        
        
          draient se réfugier en Bulgarie ou en Roumélie
        
        
          orientale ;
        
        
          Fonds A.R.A.M