P R O A R M E N I A
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la Tu r qu i e . Mais en p r é s enc e de l'en–
t ê t emen t et du manque de clairvoyance
du gouvernement turc, les puissances
eu r opé enne s seront obligées de prendre
d'autres décisions. « Elles ont fait jus–
qu'ici tout ce qu'on pouvait faire dans
l'intérêt du maintien de l'empire otto–
man en Eu r ope ; elles feront de m ê m e
dans l'avenir, libres de toute faute pour
tout ce qu i , en définitive, était peut-
être inévitable. »
Quelques jours plus tard, revenant
sur le m ê m e point, le
Pester
Lloyd
adressait à Y l d i z des conseils plus ex–
plicites. C'était au lendemain de la r é u –
nion de Caxton H a l l . « L a lecture des
discours qu i ont été p r o n o n c é s et des
résolutions qu i y ont été prises doit
être p a r t i c u l i è r eme n t r e c omma n d é e à
la Sublime Porte, afin qu'elle sache ce
qui l'attend si l'introduction des ré–
formes en Ma c édo i ne est enlevée à l ' A u –
triche et à-la Russie, et-si d'autres pren–
nent la parole qu i auront à l'égard de
la Tu r qu i e moins de mé n a g eme n t s
et de mo d é r a t i o n s ». Et ap r è s avoir
rappelé avec quel enthousiasme avaient
été accueillies les d é c l a r a t i on s de M M .
James Bryce et Vi c t o r Bérard touchant
l'action commune de la France, de
l'Angleterre et de l'Italie, le grand
journal de Buda-Pest concluait ainsi :
«
Les personnes dirigeantes à Constan–
tinople doivent comprendre que der–
rière l 'Au t r i che -Hongr i e et la Russie,
un d e ux i ème groupe est prêt qu i ne se
laissera plus entraver dans son action
par des c on s i d é r a t i on s touchant la suze–
raineté du Sultan et le statu quo de
l'empire ».
A i n s i ce qu i , voilà un peu plus d'un
an , lors du meeting de Mi l a n , n'était
qu'une e s pé r anc e presque c h i mé r i q u e
pour les défenseurs des o p p r i mé s d'O–
rient sera peut-être demain une réalité,
grâce au rapprochement franco-anglais
et franco-italien man i f e s t é par des trai–
tés d'arbitrage et plus encore par l'accord
récent.
H n'est pas probable que, les litiges
anciens étant d é s o rma i s écartés, les
puissances occidentales s'en tiennent
a l'inaction dans le Proche-Orient où
deux au moins d'entre elles n'ont pas
d'intérêts directement engagés et peu–
vent ainsi parler plus librement que les
deux empires qu i peuvent bien s'en–
tendre pour tirer de la Tu r qu i e pied ou
aile, mais point pour affranchir les peu–
ples qui souffrent, selon la juste parole
de M - Victor Bérard. D'ailleurs, en ré–
clamant l'exécution du traité de Be r l i n ,
les gouvernements occidentaux ne fe–
raient que suivre l ' impu l s i on de l ' op i –
nion publique, comme ils l'ont suivie,
quelquefois d'assez mauvais g r é , en se
rapprochant les uns des autres.
Sans doute, M . Zinowieff pa r a î t avoir
entrepris, ap r è s ses collègues anglais et
français, une d éma r c h e au Palais en
faveur des A rmé n i e n s de B i t l i s ; mais,
en cette affaire, ce n'est pas des gouver–
nements d'autocratie que peut venir le
salut; et i l est difficile que le sultan
prenne au sérieux m ê m e les menaces
d'un empire qu i collaborait n a gu è r e s
avec l u i . par l'extermination des A r mé –
niens, ainsi que le p r o u v è r e n t les circu–
laires confidentielles des au t o r i t é s du
Caucase; i l est difficile que le sultan
prenne au sérieux m ê m e les menaces
d'un empire qu i pousse à coups de
fouetvers les étables-prisons les paysans
a r mé n i e n s , les jette aux eaux glacées
des fleuves, selon la mé t h o d e i n a u g u r é e
à Blagovetschenk contre les Ch i no i s
sans armes, les envoie en Sibérie ou
les enferme dans les abominables geôles
tsariennes.
L a besogne est moins malaisée pour
les r e p r é s e n t a n t s des puissances occi–
dentales : France, Angleterre, Italie.
Déjà dans des cas particuliers, l'Angle–
terre et la France viennent d'agir s imu l –
t a n éme n t , tant en ce qu i concerne le
Sassoun et la plaine de Mou s h que
pour sauver Va r t k è s d'une inique con –
damnation.
Bien qu'aucune nouvelle récente ne
nous soit venue directement du Sas–
soun, i l suffit de contracter les der–
nières informations reçues pour voir
clair dans le jeu du Sultan. Dès le
mois d'octobre IQO3, les instructions
envoyées du Palais et que nous pub l i ons
plus haut indiquaient sans ambage les
vraies intentions de Sa Majesté : cou r i r
sus à tout ce qu i est A rmé n i e n ; mu l t i –
plier les arrestations et les perquisi–
tions; susciter partout des d é l a t e u r s
qui inventeront des complots imagi–
naires. Mais i l eut voulu en finir avec
les gens de Sassoun et de Mo u s h ,
brusquement, en sorte que l'Europe
a p p r î t trop tard le crime accompli. Les
mouvements de troupes qu i n'ont pas
cessé, le massacre de Ho u n a n , les n om–
breux assassinats isolés c ommi s par
les kurdes ou les propres fonctionnaires
de Sa Majesté ont été connus et signa–
lés à temps; et i l y a dès lors une sorte
de temps d'arrêt et de sursis.
Mais ce n'est qu ' un répit provisoire :
les négoc i a t i on s fallacieuses engagées
avec And r a n i c k et les lettres a r r a c h é e s
au Patriarche et recommandant le loya–
lisme aux A r mé n i e n s des provinces,
au moment où i l vient de prouver que
ceux-ci sont victimes des pires violen–
ces o r d o n n é e s par le Maître m ê m e ne
doivent pas faire i l l u s i on . Le coup
m a n q u é au commencement de février
sera tenté à nouveau quand la saison
deviendra plus propice, et ce n'est pas
le temps pour les puissances occiden–
tales
de
cesser leur surveillance ou de
ne
point entreprendre une action plus
é n e r g i qu e .
E l l e s feront
bien é g a l eme n t de tenir
c omp t e de
l'exaspération et de la dé –
tresse cr
i h s an t e s
des A r mé n i e n s et de
mettre
à p > ! ï i le délai nouveau que
leur
o n t
accordé les craintes du Sultan
et la longue patience des fédaïs.
Pierre Q U I L L A R D .
— « .
La Russification
au
Caucase
L E T T R E n E SAINT-PÉTERSBOURG
L a loi de J u i n n'est par e l l e -même qu'une
faible mesure de la politique q u i poursuit
l ' a n é a n t i s s eme n t des A r m é n i e n s ; les opé–
rations qu i se rattachent à l'application de
cette loi sont beaucoup plus violentes et i n –
comparablement plus oppressives, opéra–
tions q u i nous rappellent les plus tristes
pages des annales tyranniques des siècles
passés. E t beaucoup de ces o p é r a t i o n s q u i
furent exécutées dans des villages retirés,
dans des coins isolés, on n'en a presque
pas parlé jusqui'ci. Toute la charge a pesé
seulement sur la population paysanne, q u i
ma l g r é son v i f désir ne put faire parvenir
sa plainte à ses frères lointains.
Q u i nous a parlé de ce c u r é , q u i , foulé
aux pieds par les chevaux des gendarmes,
le bras fracturé, et la figure en sang, n'a–
vait qu ' une parole dans la bouche : « J e ne
signe point, je ne signe point » ?
O u bien qu i nous a r a c o n t é les souf–
frances de ces malheureux, q u i , c omme
des moutons, marchant devant le knout,
étaient traînés d ' un v i l l a g e ' à l'autre, sans-
avoir c ommi s aucun délit, me n a c é s , i n j u –
riés et r o u é s de coups ? q u i nous a parlé de
ces paysans qu ' on avait me n a c é s de garder
r e n f e rmé s et de les faire mo u r i r ainsi de
faim, et cela, m ê m e dans l'église, s'ils ne
voulaient pas i nd i qu e r la place « du trésor,
Fonds A.R.A.M