mandé un délai et se sont adressés au gouver–
nement pour emprunter du blé ; le gouverne–
ment avait ordonné au fermier d'impôt de leur
en donner
100
mesures. A peine les paysans
avaient-ils reçu le blé, que deux nouvelles
bandes- de percepteurs arrivèrent ; la première
réclamait l'argent qu'elle avait prêtée ; l'autre,
les impôts. . . Aujourd'hui par crainte des per–
cepteurs, les paysans ont abandonné leurs foyers
et leurs maisons, nus, affamés et misérables, ils
se sont enfuis dans des villages lointains, où
ils errent lamentablement ; on a arrêté derniè–
rement l'un de ces fugitifs et après l'avoir battu
férocment, on l'a écroué.
Ohannissian Boghoss, notable du même vil–
lage, qui en
i8g5
était très aisé, aujourd'hui
a perdu toute sa richesse et peut à peine vivre,
c'est-à-dire avoir du pain sec et quelques
haillons : « T u t'imagines qu'il n'a point de
revenu — m'écrit mon camarade — il a un re–
venu de 3oo mesures de blé, mais les percepteurs
viennent emporter les meules, et la famille quitte
les champs avec les instruments aratoires sans
pouvoir emporter un grain de blé. Notre vil–
lage a un revenu de
1.600
mesures, dont il lui
reste seulement
120
mesures qui appartiennent
exclusivement à deux familles ».
C'est dans le but d'anéantir la population
chrétienne et de la ruiner économiquement et
de l'obliger ainsi à l'émigration que le gouver–
nement a songé au plan de faire habiter des
Kurdes dans les villages arméniens. Déjà dans
quelques villages de Haïotz Tzor, qui étaient
exclusivement habités par des Arméniens, des
familles Kurdes sont arrivées dernièrement et
s'y sont établies presque par force. C'est ainsi
que dans le village Kirel de Haïotz Tzor, voilà
bientôt trois mois, est venu s'établir un Kurde,
Ravchanbey; celui-ci avait commencé par en–
voyer au -village ses moutons pour les faire
garder; plus tard, lui-même avec sa femme et
quelques domestiques y est arrivé aussi; mais
aujourd'hui toute sa famille y est. Tous les
jours il flatte les paysans par des promesses
pour arriver à faire préparer une pétition et
avoir ainsi des terres de labour. . . Tel est fe
plan suivi dans presque tous les villages armé–
niens de Vaspouraghan et les districts de A l d -
javatz, Perghiri, Haïotz Tzor, Kavach, etc.
Les violences des soldats.
C'est l'époque
du service militaire. Les villes et les villages
sont remplis de conscrits turcs, brigands sau–
vages, venus "de Trébizonde, Erzinghian, Sam-
soun et de provinces lointaines. Dans les villages
règne un arbitraire inouï ; il n'y reste plus ni
moutons, ni œufs, ni poules, ni beurre ; ils
s'introduisent dans les maisons, et ils y com–
mettent toutes sortes d'insolences dans les saints
foyers arméniens. La semaine dernière une di–
zaine de vols eurent lieu en v i l l e . . . Après avoir
volé dans les maisons le linge, les vêtements et
les tapis, ils ont volé en plein jour au marché,
sans se gêner, des morceaux d'étoffes, de vête–
ments, etc.
Dernièrement Alibey, fils du beau-père de
Kàor-Husséine d'Aldjavatz, fut arrêté sur l'accu–
sation de ce dernier. Alibey est accusé comme
révolutionnaire et comme faisant partie du
mouvement des révolutionnaires turcs. L'accu–
sation est fondée sur ce fait qu'Alibey vit en
bons fermes avec ses sujets arméniens ; Emin
pacha de Godjer, frère d'Alibey s'est adresé au
gouvernement et a sauvé son frère.
L'espionnage.
II y a ici une énorme légion
d'espions ; des commissaires et des agents de
police turcs et arméniens se lient d'amitié avec
les uns et les autres ; ils rendent quelquefois de
légers "services" et les Arméniens " reconnais–
sants " sciemment ou non, leur donnent satis–
faction ; ils ignorent que la révolution aussi est
reconnaissante et saura tôt ou tard leur rend 'e
la pareille...
Djan-pé^ar.
Le parti appelé " djan-
pézar" est formé de Kurdes fanatiques; les
membres de ce parti sont des brigands sangui–
naires, des aghas fanatiques et des Kurdes aven–
turiers. Cette bande de bêtes farouches avait
son lieu de rendez-vous dans la plaine de Moush,
mais, de pus en plus, ils s'approchent de notre
endroit. Ils ont déjà commencer à jeter la'dé-
vastation dans le district d'Aldjavatz.
Les beys et les Kaïmakams Kurdes, en ont
fait des instruments dans leurs mains, pour
percevoir les impôts et piller le peuple. Je pense
que ce parti fut formé, parce que le gouver–
nement avait dernièrement dans beaucoup d'en–
droits, désarmé les Hamidiés et la population
kurde, craignant sérieusement les relations qui
s'étaient établies entre Arméniens et Kurdes.
La conséquence fut la formation de ce parti qui
vit en fugitif et ne se soumet point à la loi.
Nouvelle méthode de perception.
Le nou–
vel impôt sur le bétail a excité tous les Kurdes.
Comme on le sait, les Kurdes en grande partie
ne s'occupent que de l'élevage de troupeaux;
aujourd'hui ils sont obligés de payer
10
piastres
pour chaque gros bétail, ce qui leur parait
extraordinaire, puisqu'ils n'ont payé aucun
impôt jusqu'ici.
L E T T R E DE BAYAZID
5
décembre
igo3.
Le désarroi produit par les événements de
Passen a été grand ; le gouvernement a trans–
porté des soldats partout ; il a appelé les Hami–
diés sous les armes et il a répandu la terreur
et doublé les violences parmi toutes les classes
de la population. L'élément arménien se trouve
sous des menaces perpétuelles ; le pillage et les
coups sont devenus un fait habituel. De nom–
breux commerçants arméniens de Bajazid et
d'Alachgherd arrivés d'Erzeroum ont été roués
de coups et s'estimaient bien heureux de n'être
pas assassinés. Le nombre des soldats du cou–
vent de Utchkilissé, qui était de 3o, est doublé
aujourd'hui; ils se sont installés dans les mai–
sons arméniennes.... ils ne laissent pas les
paysans rentrer chez eux, leur ouvrage terminé;
avant le coucher du soleil, ils les réunissent
tous dans les champs et les conduisent au
village où, sous différents prétextes, ils les
rouent de coups, ils leur font payer des amendes,
ou bien ils les obligent de faire la ronde la nuit
avec eux ; ils leur mettent des poids sur les
épaules et les obligent de traverser ainsi les
fleuves et les rivières.
Les soldats du couvent ont arrêté dernière–
ment un Arménien nommé Haro, qui était un
paysan du village de Pothi, voisin du couvent;
ils le conduisent la nuit, sous un prétexte, au
dehors du village, et décident de le tuer ; à la
fin ils le relâchent, après lui avoir pris comme
indemnité deux livres turques, un tapis et un
mouton de belle race; c'est ainsi que le paysan
a eu la vie sauve. Maintenant il s'est adressé au
gouvernement pour porter plainte...
Les Hamidiés se réunissent déjà, et ils seront
envoyés successivement pour garder les fron–
tières.
Fadeh, agha de Hassnan, est arrêté pour avoir
eu des relations aves les Arméniens. Le gouver–
nement persécute également Ali bey, Kaïmakam
hamidié, "de la tribu de Haïdaran, résidant à
Ardjèche; il est également accusé de sympa–
thiser avec les Arméniens...
Le Révérend Père Emmanuel Balian, aratch–
nort de Bajazid, et à la fois abbé du couvent de
Utchkilissé, résidant au couvent même, — sur
l'ordre sévère du gouvernement, en fut éloigné;
aujourd'hui il se trouve à Bayazid.
Zeki pacha, commandant du
4 '
corps d'ar–
mée et chef des émigrés kurdes, sujets persans
à Abagha, a ordonné à ces derniers de s'établir
dans l'intérieur du pays; ils sont environ
800
familles qui, après avoir dévasté les frontiè–
res persanes, sont arrivés dans nos parages, et
qui'sait, si au printemps l'œuvre de dévastation
ne sera pas entreprise aussi ici.
Nouvelles d'Orient
E N
ALBANIE.
L'officieuse
Politische
Korrespondenz
donne quelques détails sur
les é v é n eme n t s de D i a k o v a . L e
i 3
février,
après une rencontre à Babait avec les
Arnautes rebelles, Schemsi Pacha dut se
retirer; i l reprit l'offensive le lendemain et
s'avança j u s q u ' à I un i k , mais dut encore se
retirer, ses troupes ayant épuisé leurs mu –
nitions. Pertes turques, les
i 3 , 14
et
15
fé–
vrier : u n officier,
60
morts,
20
blessés,
20
prisonniers; pertes albanaises : de
i5o
à
400
morts. Les Arnautes auraient été au
nombre de
8.000.
L e
20,
C h a k i r Pacha,
v a l i d ' Us k u b , et Saïd Pacha a r r i v è r e n t à
D i a k o v a avec huit bataillons. Saïd ma r cha
alors sur Ipek. L i n calme apparent aurait
été rétabli au moment des fêtes d u B a ï r am .
Ma i s ce bulletin de victoire est d é m e n t i
par des informations postérieures. Schemsi
Pacha, qu i déplaisait aux Arnautes, a été
destitué et e n v o y é de Mi t r ow i t z a à U s k u b
et les négociations continuent entre les i n –
surgés et les autorités turques touchant la
suppression de l'impôt sur le bétail et
l'exclusion des Tu r c s de l'administration
judiciaire. Les commun i c a t i on s sont inter–
rompues entre Ipek et D i a k o v a , mais
réta–
blies entre Mi t r ow i t z a et D i a k o v a .
L A FLOTTE IMPÉRIALE.
O n lit dans les
journaux turcs :
Suivant les informations de
Ylkdam,
si les
essais du croiseur
Abdul-Medjid,
construit
dans les chantiers Kramps à Philadelphie, don–
nent des résultats satisfaisants, le gouverne-
Fonds A.R.A.M