cultive de même par force les champs du
village.
Voilà tout ce que je veux vous dire au
sujet des atrocités kurdes, pour vous en
donnerai! moins une idée.
4
o
C OMM E N T L E GOUVERNEMENT SE FAIT
DONNER DES «
BAKC i i i c u E S ».
Le système des
«
bakchiches
»
est tellement généralisé que
s'il se trouve un fonctionnaire qui ne touche
pas de bakchiche, i l est r e g a r d é comme un
homme très extraordinaire.
Les plus grands assassins, les criminels
célèbres, les brigands bien connus ne crai–
gnent nullement; la l o i . Les lois gouverne–
mentales sont absolument impuissantes de–
vant le « bakchiche ». Les valis, les mu t é s –
sarif!', les k a ï ma k a n s , les « kiatibs », les
gardes de prison, tout lé monde vit de
«
bakchiche ».
En d é c emb r e dernier, le mutéssariff de
Moush appela chez lui le criminel chef de
brigands, Séïde de Djibran, qui depuis
longtemps était en fuite, et l u i proposa de
lui remettre 200livres ; i l toucha cette somme
rondelette et ordonna à Séïde d'aller vivre
tranquillement chez l u i , libre et sans s'in–
quiéter de rien.
Pour vous expliquer combien ce système
de « bakchiche » est général, je vais vous
raconter l'incident suivant :
U n jour, on arrête un Kurde célèbre et on
le met en prison ; peu a p r è s son emprison–
nement, i l avait faim ; i l supplie le gardien
de l u i acheter tin peu de pain et réussit à
peine à se faire acheter pour 10 paras (5cen-
times) de pain. Quelque temps après i l sent
le besoin d'aller aux cabinets; après un long
marchandage, i l réussit, après avoir d o n n é
un « bakchiche » de 5 piastres (1 franc) à
aller aux cabinets. A son retour, i l s'arrête sur
le seuil de sa cellule, i l se découvre et dit :
«
Mon Dieu, manger pour 10 paras de pain
et payer 5 piastres pour un besoin naturel ;
peut-on imaginer un gouvernement plus ini–
que ? Pourquoi, mon D i e u ! ne châties-tu
pas un tel gouvernement, pourquoi? »
5
o L E S SOLDATS DANS L E S VILLAGES A R M É –
NIENS.
Tout le monde sait et connaît que
les A rmé n i e n s payent l'impôt militaire,
depuis l'enfant au berceau jusqu'au vieillard
de cent ans; le jeune homme vigoureux et
le jeune homme débile, le riche et le pauvre
tout le monde paye cet imp ô t . Mais le gou–
vernement ne se contentant pas de cela,
voilà depuis plusieurs a n n é e s qu'il distribue
les soldats dans les villages a rmé n i e n s qui
causent des préjudices matériels et moraux
de tout genre aux pauvres paysans. En l'an
1902
passé, que de jeunes filles ont été enle–
vées et violées! que de personnes ont été
rouées de coups;.rien que dans le village de
Govpe de Boulanikh, dans l'espace de deux
mois, ces bêtes féroces ont brisé les portes
de quinze maisons pour assouvir leurs pas–
sions brutales.
Vo i c i quelques exemples pour vous don-
.
ner nne idée du préjudice matériel ainsi
causé.
À Souloukh, arrive une troupe de soldats,
le 20 avril 1902, sous le commandement'de
Mousstapha ; ils y s é j o u r n e n t pendant 55
jours; ils prennent du village par force et
gratuitement, 250 ocques de lait, 1.800 œufs,
25
poulets, 12 moutons, 144 ocques de blé
broyé, 240 ocques de farine, 28 ocques d'huile;
ils font venir d'autres provisions des villages
d'alentour.
Après leur départ, arrive une autre troupe
sous la conduite de Sabri effendi; ils pren–
nent gratis et par force, 72 ocques d'huile,
300
ocques de lait, 360 ocques de blé broyé,
480
ocques de farine, 720 ocques de blé, 15
moutons, 2.000 œufs.
Le 25 juillet arriva une troupe de cavaliers
sous la conduite de Mousshafha, ils pren–
nent gratis et par force 450 gerbes de l u –
zerne, 150 poules, 19 moutons, 1.920 ocques
d'orge, 720 ocques de blé, 980 ocques de
farine, 1.500 œufs, 300 ocques de lait, 400
melons d'eau, 400 ocques de raisin.
A Tzirouk, depuis le printemps j u s q u ' à
l'automne, les soldats d eme u r è r e n t dans ce
village et prirent, par force, pour 9.000 pias–
tres de combustible, 200 kilos de blé, 150
kilos d'orge, 40 moutons, 30 kilos d'huile,
1.200
poules ; ils ont fait travailler gratuite–
ment les hommes du village avec leurs ani–
maux pour le transport de leurs provisions ;
à leur d é p a r t ils ont pillé dix maisons.
Ils ont pris du village de Havran pour
4.000
piastres de combustible, 50 kilos de
blé, 25 kilos d'orge, 15 moutons, 20 litres
d'huile.
Ils ont pris tout cela, par force, des v i l l a –
ges a rmé n i e n s , sans nullement s'approcher
des villages kurdes.
6 » .
L E S IMMIGRÉS MUSULMANS. ,=«- Les C i r -
cassiens émi g r é s de Russie sont venus ajou–
ter un autre mal aux souffrances de nos po–
pulations si éprouvées. Depuis la guerre
greco-turque, un i mp ô t nouveau est perçu
sous le nom de « i mp ô t en faveur des ém i –
grés ». Les i mm i g r é s arrivés sont dispersés
dans les villages a rmé n i e n s qui doivent les
loger, nourrir et chauffer. Aussitôt qu'ils
ont pris l'habitude de l'endroit où ils se
trouvent, leur p r em i è r e affaire est de percer
les murs des maisons et des étables des
A rmé n i e n s et de voler tout ce qu'ils peu–
vent.
Depuis les massacres de 1895, le gouver–
nement créa un autre i mp ô t sous le nom de
«
i m p ô t pour l ' i n s t r u c t i o n » , qui est régu–
l i è r eme n t perçu par les A r mé n i e n s et les
sommes en provenant ne sont employées
que pour les écoles turques. On ne permet
même pas aux A rmé n i e n s d'ouvrir des
écoles à leurs frais.
De r n i è r eme n t le gouvernement pensant
que s'il arrivait à fermer les écoles se trou–
vant sous la protection é t r a n g è r e , i l l u i
serait très facile de fermer les autres, avait'
trouvé le moyen suivant : i l avait envoyé
dans les villages a r mé n i e n s d'Akhlat, quel–
ques fonctionnaires qui parcouraient les
villages et demandaient s'il y avait là des
écoles protestantes : s'ils recevaient une ré–
ponse affirmative, ils s'efforçaient à exciter
les A rmé n i e n s g r é g o r i e n s pour qu'ils fassent
fermer ces écoles en p r é s e n t a n t des r e q u ê t e s
au gouvernement. Ils agissaient ainsi, car
les écoles protestantes sont sous le protecto–
rat des missionnaires amé r i c a i n s . U n autre
motif de cette conduite du gouvernement
d'agir de la sorte est le suivant : U n jour, à
Bitlis, les Turcs murmurent les uns aux au–
tres que l'ordre est p r omu l g u é pour massa–
crer les A rmé n i e n s sont mis au courant à
temps, et ils ferment les boutiques et se
réfugient chez eux. Le consul anglais de
Bitlis télégraphie le fait à son ambassadeur
à Constantinople. Sur cela, le gouvernement
devient furieux et pense que si les écoles
protestantes n'existent plus, les missionnai–
res amé r i c a i n s s'éloignent aussi, et i l ne
reste plus bien au consul anglais de résider
à Bitlis et, par c o n s é q u e n t , personne ne se
trouvera ainsi pour enregistrer les événe–
ments.
Les chefs des villages de la plaine de
Moush, voyant l'état lamentable de leurs
villages se sont rendus à Moush et ont p r é –
senté une r e q u ê t e au mutéssariff qui, au lieu
de r emé d i e r à leurs maux, les envoya tous à
Bitlis comme prisonniers. Le pacha-gouver–
neur me n a ç a d'abord de les exiler, mais en–
suite i l leur pardonna en leur recommandant
de ne plus p r é s e n t e r des r e q u ê t e s de ce
genre.
Qu'en pensez-vous de tout cela, ô philar-
mè n e s d'Europe. Vous qui voulez sincère–
ment nous prêter main-forte pour notre
liberté, vous qui êtes les nobles défenseurs
d'une juste cause, vous qui avez élevé la voix
de la vérité, de la juste protestation dans
l'univers entier, pour d émo n t r e r l'injustice
commise à notre é g a r d , vous qui écrivez et
parlez au nom d'une nation si éprouvée,
vous autres, dis-je, continuerez-vous donc,
d'après votre ancienne mé t h o d e , à crier aux
oreilles de l'Europe sourde.
Si vous continuez à vous contenter de
vos d éma r c h e s faites à l'Europe officielle,
qu'il me soit permis de vous dire que vos
efforts sont vains ; nous avons déjà fait la
preuve de notre e x p é r i e n c e ; sous le voile de
la civilisation nous avons trouvé une bande
d'égoïstes, cruels, indifférents à toutes les
misères. Vous autres aussi vous serez per–
s u a d é s comme nous-par l'expérience, si déjà
ne vous suffit pas l'expérience amè r ë de tant
d'années.
1
S'il y a des gens qui compatissent à notre
malheur, des gens qui veulent mettre un
terme à notre situation, ceux-là doivent re–
noncer aux d éma r c h e s faites à l'Europe et
mettre l'épée à nu. Nous avons entendu sou–
vent, et je sais qu'on le r é p é t e r a encore, que
si les p h i l a r mè n e s d'Europe font un pas
dans la voie de la Révolution «
les Arméniens
seront massacrés ».
A h ! folle objection ! Vous autres, lequel
préféreriez-vous ? Avoir un Erzakh, colonel
h am i d i é , qui exige de coucher l u i -même avec
la nouvelle ma r i é e la nuit des noces, ou bien
être ma s s a c r é et ne point souffrir un tel dés–
honneur; lequel vous paraît-il plus grave,
ou lequel vous paraît-il plus insupportable ?
mourir ou bien, comme Er o , fils du prêtre
du village de Souloukh, être pendu par les
pieds pendant trois jours et livré ensuite aux
soldats pour être violé, car i l s'était trouvé
une simple lettre chez eux.
Oh ! nous vous en prions, ne nous montrez
plus le danger des massacres ; faites ce qui
est en votre pouvoir; nous pouvons être
ma s s a c r é s ; nous ne nous repentirons jamais
d'avoir été massacrés, car, ainsi, au moins
10 0/0
d'entre nous é c h a p p e n t aux souffrances
auxquelles nous sommes soumis.
LES CAHIERS D E LA QUINZAINE
8,
îrne de la Sorbonne
Ont publié
Mémoires et Documents pour
la De'fense des Arméniens.
Par P I E R R E Q U I L L A R D
(
Un volume de 160 pages).
Le Secrétaire-Gérant
:
J E AN LONGUET.
Fonds A.R.A.M