zereh, furent t r a n s p o r t é s à Di a r b é k i r ,
dans des chariots. Le s A rmé n i e n s ,
bien que leurs amis leur eussent ame n é
des chevaux, durent faire le trajet par
marches forcées, c h a r g é s de lourdes
c h a î n e s et r o u é s de coups. Seul, Ar t i n
Semerdjan fut p o r t é en litière, i l avait
les deux jambes c a s s é e s : i l avait é t é ,
en effet, j e t é par la fenêtre de la p r i –
son, du t r o i s i ème é t a g e , à quarante-
cinq pieds de hauteur. Dans la nuit où
i l fut ainsi défenestré, des Turcs en–
tendant ses cris de douleur, c r i è r e n t
aux gardiens : « S i vous voulez le tuer,
au moins tuez-le tout de suite ! »
A Mezereh, trente-deux c o n d amn é s
furent c o n d amn é s à cent un ans de
prison et deux à mort. Ils firent appel.
L e p r o c è s eut lieu devant une nom–
breuse assistance; des r e p r é s e n t a n t s
Ang l a i s et Amé r i c a i n s y assistaient à
titre p r i v é . Le s charges é t a i en t dé r i –
soires : deux ou trois des i n c u l p é s re–
connaissaient avoir aidé des A rmé n i e n s
à émi g r e r , deux ou trois autres avoir
d o n n é ou reçu de l'argent à cet effet.
Il n'y avait contre eux aucune charge
de me n é e s r é v o l u t i o n n a i r e s .
L e rapport officiel dit :
Sur les trente-cinq prisonniers, vingt-et-un
ont été battus et t o r t u r é s de la façon la plus
barbare. On leur avait tenaillé ou brûlé la
peau et brisé les articulations des doigts; ils
avaient été privés de sommeil pendant des
laps de temps de trois à dix jours. Bien que
les tortures datassent de deux mois, les cica–
trices étaient visibles sur huit d'entre eux.
L'un d'eux est un marchand d'Arabkir qui
fabrique du guingan et qui allait s'approvi–
sionner de matières tinctoriales. On trouva
sur lui des recettes de teinture en allemand
et en français; les mé d e c i n s militaires firent
un rapport déclarant que ces produits chi–
miques, à deux exceptions près, n'étaient
pas usités en médecine mais servaient aux
révolutionnaires pour fabriquer des encres
invisibles.
Beaucoup de d é p o s i t i o n s n ' é t a i e n t
pas s i gn é e s des a c c u s é s , mais des
fonctionnaires qui les avaient t o r t u r é s .
L ' une de ces p i è c e s était s i gné e d 'Anna
Semerdjan, femme d ' Ar t i n .
L e rapport ajoute :
Cette femme, contrairement à la l o i qui
veut que les femmes prisonnières soient lo–
gées chez le
mufti,
fut g a r d é e deux jours et
deux nuits au poste de police où elle fut
horriblement battue et violée parle commis–
saire et ses s u b o r d o n n é s . C'est dans ces cir–
constances qu'elle l'ut obligée de signer.
Dans la r ég i on d ' Er ze r oum (lettre du
11
d é c emb r e ) et surtout dans le caza
de Knous s , les exigences ordinaires du
fisc se sont encore a g g r a v é e s : on p r é –
tend faire payer aux paysans des som–
mes bien s u p é r i e u r e s à la valeur du
village entier. Faute d'argent, on se
rejette sur le bétail, les terres, le vote-
mentale tout vendu bien au-dessous du
prix réel, afin de favoriser les acheteurs
hamidiens : et ces s c è n e s de spoliation
sont toujours a c c omp a g n é e s de me–
naces et de violences . contre les
ghiaours. Cela va parfois plus loin :
le 21 novembre par exemple, les chefs
Mo r o et Sa ï d , de la tribu Z i r i k l i vin–
rent avec trente hommes s'installer à
Kh o z l o u ; ils avaient leurs chevaux et
leur suite. Ce furent quinze jours de
rapines et de mangeaille; plusieurs
femmes furent v i o l é e s . Pu i s comme
les Kurdes avaient fait provision de sel,
dans les salines voisines, ils ob l i gè r en t
les Armé n i e n s à transporter le sel jus–
que dans leur village, sous menaces de
mort et ne q u i t t è r e n t Kh o z l o u q u ' a p r è s
avoir razzié tout le blé et tout le foin,
b l e s s é une dizaine d'hommes et tué
une fillette.
Dans le district de Mo u s h (lettre
du 7 d é c emb r e ) , m ê m e d é t r e s s e et
grandes craintes d ' é v é n eme n t s pires en–
core. Quatre-vingt-dix pour cent des
A rmé n i e n s sont p r i vé s de v ê t eme n t s et
de nourriture; l'autre dixième vit mi s é –
rablement à la merci du fisc, des f e r –
miers des dîmes., des emp l o y é s civils
et. militaires et des chefs kurdes. On
leur r é c l ame de tels a r r i é r é s d ' imp ô t s ,
que « même s'ils vendaient a p r è s
leurs maisons et leurs terres leurs
femmes et leurs enfants », ils n'en
pourraient acquitter le quart : les,auto–
rités exigent, en effet, outre les i mp ô t s
des émi g r é s et des absents, les i mp ô t s
des personnes mortes depuis trente
ans. L e s terres saisies pour non-paie–
ment sont vendues à v i l prix à des
tribus tcherkesses et turcomanes ve–
nues de Russie. Le s A rmé n i e n s c h a s s é s
de leurs maisons et de leurs terres,
dépou i l l é s de leurs d e r n i è r e s hardes,
errent en mendiant aux portes de leurs
spoliateurs, quand ils ne travaillent pas
comme serfs sur les terres dont ils
furent d é p o s s é d é s .
Sous p r é t ex t e de rechercher les r é –
volutionnaires, non seulement les Turcs
ma l mè n e n t les habitants, mais ils ar–
r ê t e n t quiconque parvient — on sait
avec quelles difficultés -— à passer
d'un district à l'autre. Ils inventent
m ê m e de sinistres c omé d i e s comme
celles qui p r é c é d è r e n t les premiers mas–
sacres de Sassoun : c'est ainsi que
tout d e r n i è r eme n t Sa l i h Ag h a , mudir
de Chatak et Djafer Ag h a , officier de
gendarmerie, a r r i v è r e n t tout d'un coup
à Mou s h , feignant de fuir devant les
A rmé n i e n s .
Heureusement, le vali de Bitlis se
trouvait à Mo u s h et sut emp ê c h e r la
panique. Ma i s a u s s i t ô t a p r è s son d é –
part, les inventeurs de cette mise en
S c è n e t é l é g r a p h i è r e n t au Pa l a i s « qu'ils
ne se sentaient pas en s û r e t é devant
l'attitude des A rmé n i e n s » et le vali
dut revenir sur ses pas par ordre su–
p é r i e u r . L a population musulmane de–
mandait ou l ' a n é a n t i s s eme n t des Sas- '
sonniotes ou l'armement g é n é r a l des
Musu lmans .
Une semblable c omé d i e a été j o u é e à
Kha r pou t et à Di a r b é k i r ; i l est à crain–
dre que cette excitation, dont l'origine
doit sans doute ê t r e c h e r c h é e à Cons –
tantinople m ê m e , n ' amè n e prochaine-
rîient des d é s o r d r e s sanglants. Déjà,
les prisons de Mo u s h contiennent plus
de deux cents A rmé n i e n s innocents et
l'affaire de Gheghervank semble 'un
premier essai de tuerie importante.
Le s Ku r de s Baganli ont a t t a qu é à
deux reprises le village Gheghervank
(
district'de Khoulp) ; ils ont pillé toutes
les maisons et tité plusieurs personnes,
notamment Mardo Kha t choyan e l Mille
Pa l oyan , les femmes No u n é Ka s pa -
rian, Kh a t é Pas sour i an et les enfants
de Mi g r o Démi r d j a n .
Le s Ku r de s p r é t e n d a i e n t qu'une pe–
tite fille Ku r d e avait disparu et que les
A r mé n i e n s l'avaient t u é e . Le s a u t o r i t é s
de Kh o u l p , sur cette assertion sans
preuve ont a r r ê t é le p r ê t r e Bè d r o s et
les notables A r t i n , K i r k o , Ag o p , Gu i -
ragos, Ka t cho , Sahag, Ka t ch i k , Mi g r o
et Ha r ou t h . Ma i s aucun des Ku r de s ,
auteurs certains du massacre de Ghe-
ghevank, n'a é t é a r r ê t é ni m ê m e i n –
q u i é t é .
Ma i s si les Kurdes sont impun i s , la
plus sauvage c r u a u t é est toujours em–
p l oy é e contre les prisonniers a rmé –
niens. Une d é p ê c h e de Tau ris nous
avait a n n o n c é une tentative d'empoi–
sonnement contre les d é t e n u s politi–
ques de Va n : on en voulait surtout à
la vie du chef Va d k è s , a r r ê t é dans les
circonstances que l'on sait, sur la dé –
nonciation d'un mouchard, le 12 j an -
Fonds A.R.A.M