raient plus ; mais i l tant qu'on sache que les
A rmé n i e n s préféreraient d'être ma s s a c r é s et
anéantis tous ensemble, que de rester sou–
mis au r é g ime de la vexation, de l'oppres–
sion, de la privation, du pillage et de la bar–
barie, sous lequel ils vivent aujourd'hui.
Au mois de d é c emb r e passé, j ' a i parcouru
pendant 37 jours toute la plaine de Mo u s h ;
j'ai recueilli une longue série de vexations
qui se sont créées et ne visent que l'anéan–
tissement des A rmé n i e n s ; je ne vous en cite
ici que quelques-unes, pour convaincre nos
honorables amis que, si, sous peu des.
moyens é n e r g i q u e s ne sont pas entrepris,
l'Arménien sera a n é a n t i inévitablement.
On peut classer ces vexations de la ma –
nière suivante :
1
° Perception
d'impôts;
2
° Vente et perception de la dîme;
3»
Atrocités
kurdes;
4«
Actes de corruption gouvernementale ;
5
° Les.soldais turcs dans les villages armé–
niens;
6
° Les émigrés
musulmans.
1
° P E R C E P T I O N D'IMPÔT.
—
M O D E DE PER–
CEPTION.
—
Le gouvernement confie la po–
lice à des gens qui n'ont aucune position
honorable, qui ne savent ni lire ni écrire, et
qui sont h a b i t u é s à vivre en pillant les habi–
tants ; ils se contentent d'une solde qui
n'existe que de-nom (et n'est jamais^payée) ;
ils vivent en opprimant le paysan a r m é –
nien.
Cette armée d'agents de police, aux mœu r s
sauvages et barbares, se disperse dans les
villages pour percevoir les i mp ô t s gouverne–
mentaux.
Le premier soin est de semer la terreur et
l'épouvante parmi les paysans a rmé n i e n s
pour pouvoir les piller à leur aise. Les
moyens créés pour é p o u v a n t e r les paysans
a rmé n i e n s inspirent même la terreur aux
diables. Pas une des descriptions faites au
sujet des tortures de l'Enfer depuis le com–
mencement du monde, ne peut égaler ce
que peut inventer l'imagination turque et à
quoi sont soumis les A rmé n i e n s .
Des agents de police, au nombre de 8 à 10
arrivent dans un village. Ils commencent a
percevoir des imp ô t s par des injures et des
coups et toutes sortes de sauvageries inouïes ;
ils fouettent hommes, femmes, jeunes filles
et g a r ç o n s ; et cela sans donner aucune ex–
plication. Ils couchent les femmes par terre,
leur remplissent la bouche de fange, leur
barbouillent la figure de boue, les t r a î n e n t
dans les rues par les cheveux, les enferment
ensuite dans une étable, et ils crient: « Don–
nez-nous de l'argent. ».
Souvent ils mettent à nu hommes et
femmes et les arrosent d'eau glacée. Que les
faits parlent d ' e u x -même s ; et je vous cite
ici les noms des villages où des faits de ce
genre ont été commis.
fo A Tzafna, le caporal Ha k -Ve r d i réunit
tous les paysans dans une étable, i l les met
tous à nu, i l les roue de coups après avoir
arrosé d'eau chacun s é p a r éme n t ; i l les cou–
che ensuite et leur remplit la bouche avec de
la bouse ;
2»
Dans le village de Havron, Pazat effendi
et Faïm tchaouch, a p r è s avoir mis à nu les
femmes, les arrosent d'eau et les'rouent de
coups ;
3
° Dans le même village, fin novembre, le
caporal Hak-Verdi imite les méfaits du sus–
dit Pazat effendi, et d é s h o n o r e les femmes
par dessus le ma r c h é ;
4
° A Koms, Arab-Avdlan bat une femme
qui tombe malade et meurt ;
5
° A Abilbounar, ou tire deux coups de
fusil sur le n omm é Oskian; les coups, heu–
reusement, ne l'ont pas atteint;
6»
A Hatzik, on brise la tète à un n ommé
S.érof ;
7»
A A l i k i l p o n , le n omm é S é r o p est telle–
ment battu qu'il en a les yeux malades et,
aujourd'hui, i l est devenu aveugle; la victime
avait pu é c h a p p e r à un moment d o n n é aux
coups des policiers, qui, par vengeance,
vont incendier sa maison, etc.
2»
Comment les percepteurs se font graisser
la palle.
—
Le chef des percepteurs, sans
montrer les titres de créance dans lesquels
est désignée la somme r e p r é s e n t a n t les i m –
pôts réclamés, donne quelques coups au
chef du village et lui ordonne de ramasser
dans l'espace de 5 à 6 heures tou-t l'impôt
annuel du village. Le chef du village, é p o u –
vanté, promet au percepteur en chef un
bakchiche
de 25, 50 ou 100 francs, s'il veut
bien diminuer sa réclamation. Le Turc sau–
vage devant la promesse d'argent devient
tout à fait doux.
Ils touchent le double de ce qu'on leur
avait promis; ils quittent le village sans
donner aucun reçu des sommes touchées. A
peine cette bande d'agents percepteurs est-
elle partie, qu'une autre bande arrive pour
la remplacer; c'est le même spectacle qui se
répète ; et ainsi jusqu'à la fin de l'année, et
alors les paysans s'aperçoivent avec é t o n n e -
ment, que ces sangsues qui sont les percep–
teurs, ont aussi emp o c h é une grande partie
des sommes qui devraient être remises au
gouvernement, et que par c o n s é q u e n t la
plus grande partie de leurs imp ô t s sont res–
tés impayés. Voici d'ailleurs une liste des
villes qui ont eu à payer des
backchiches
aux
percepteurs :
Noms des villages. Sommes données. Laps de temps.
Ghouravon
2.000
piastres
9
mois
Tzikavon
4.000 —
Tzironk
5.000 —
Khoronk
1.500
—
»
Àlitchan
1.000
—
Aghtchan
1.000 —
Dans l'année 1902, les paysans du village
de Tzafna, après avoir payé tous les imp ô t s ,
ont d o n n é aux percepteurs comme
backchi-
c
/
ie
-,-2.000
piastres, et payé pour la nourriture
de leurs chevaux, 7.000 piastres, c'est-à-dire
en tout 9.000 piastres comme
backchiche ;
ils ont payé, en outre, tous leurs imp ô t s ;
lors de mon séjour l à - b a s , i l y était envoyé
un inspecteur qui réclamait du village
33.000
piastres, comme a r r i é r é s des i mp ô t s
des quinze dernières a n n é e s .
3»
Les inspecteurs sont nourris gratuitement.
— «
Celui qui n'a pas de pain à manger chez
lui, me disait un paysan, devient agent per–
cepteur pour se noTirrir de vos poulets ». J'ai
trouvé très juste la plainte de ce paysan ; ceux
des Turcs, à Moush, qui ont faim, acceptent
la.fonction d'agent percepteur pour se faire
nourrir gratuitement par le paysan a rmé n i e n .
Oh ! tous les plats ne plaisent pas à cet agent;
celui-ci refuse les mets ordinaires, i l l u i
faut
du poulet ou un mouton entier pour le rôtir
et le manger.
Voulez-vous des preuves? Vo i c i une petite
liste :
Noms
des villages.
Tzirouk . . .
Orghnotz . .
Havratz . . .
Khoronk . .
Ar i n t ç h v a n k .
Alitchan. . .
Ghouravon. .
Tzikhavon. .
Aghtchan . .
Nombre de
poules égorgées.
500
ponte et 50 moulons.
200 —
1000 — 50 -
103 —
500 —
101 —
500 —
508 —
203 —
Laps de
temps.
9
mois.
Et ce n'est pas encore tout ; ils ont eu aussi
à taire d'autres d é p e n s e s pour leur nourri–
ture; les paysans ont été obligés de nourrir
aussi les chevaux des percepteurs. Voici la
liste des villages qui ont eu à fournir l'avoine
nécessaire aux chevaux :
Noms
des villages
Havran'
Tzironk
Tzikhavon
Khoronk
Aghtchan
Avoine
fournie.
200
400
500
265
100
kilos
En kilos
français.
25.600
kilos
51.200 —
64.000 —
33.920 —
12.800 —
Tout cela, pour vous donner une très fai–
ble idée de ce que les paysans ont à fournir
gratuitement; je ne vous parle pas des four–
rages, etc., qui sont fournis sans calcul.
L'agent qui es,t c h a r g é par le gouverne–
ment de percevoir les i mp ô t s , doit légale–
ment l u i -même subvenir à ses besoins et
nourrir son cheval; mais dans notre pays on
ne c o n n a î t pas la l o i . Il suffit que quelqu'un
professe la religion musulmane, son bon
plaisir fait l o i pour l e s ' c h r é t i e n s .
2"
P E R C E P T I ON DE L A D Î M E .
—
V E N T E DE LA
D Î M E .
—
En Turquie, i l y a différentes sortes
d'impôts ; depuis une dizaine d'années, l'im–
pôt de la d îme est vendu aux e n c h è r e s ; d'a–
près la l o i , ce sont les paysans qui ont le
droit de l'acheter de préférence ; mais sous
les menaces des aghas turcs barbares, le
paysan arménien n'ose pas acheter sa dîme ;
c'est le Turc usurier, assassin et sauvage
qui, presque toujours, achète la d îme . S'il
arrive, par hasard, que les paysans a r m é –
niens a c h è t e n t leur village, et si un agha turc
pense qu'il peut trouver avantage à acheter
l u i -même cette d îme — par exemple si le
prix du blé est en hausse, si les céréales aug–
mentent de prix '— aussitôt i l s'adresse aux
paysans et sous les menaces de brûler les
meules, d'incendier les maisons et les fenils,
et de tuer les hommes, i l leur prend la dîme.
(
A suivre.)
Le Secrétaire-Gérant
:
J E AN LONGUET
L'Ëmancipatrice
(
Imprimerie), Rue de Pondichéry, 3, Paris.
Ed. G A U T H I E R ,
Administrateur-délégué.
Fonds A.R.A.M