QUATRIÈME A N N É E . —
N° 75.
Le Numéro :
30
centimes.
15
DÉCEMBRE 1903
Pro Armenia
R é d a c t e u r en Chef :
Pierre QU I LLARD
Adresser tout
ce qui concerna
la
D.rection
à M. Pierre
Q U I L L A R D
IO, E u e Nollet. Haris
A B ONN EME N T S !
France
S •.
É t i a n g e r
I O
Paraissant le i
er
et le i5 de chaque mois
COMITÉ DE RÉDACT I ON :
G. Clemenceau, Anatole France, Jean Jaurès
Francis de Pressensé, E. deRoberty
S e c r é t a i r e de la R é d a c t i o n :
Jean L O N G U E T
ADMINISTRATION :
Avenue de l'Observatoire, 3
P A E I S
ABONNEMENTS :
France
S »
El ranger
I O »
SOMMAIRE :
La Quinzaine : L e s A r m é n i e n s et l a Turquie
(
P I E R R E
(
V
)
I
ii.i.ARiO.
Informations : E n Russie; à Alexan-
clrelie ; en Macédoine. —A Bitlis et au Sassoun :
Rapport des chefs révolutionnaires a r m é n i e n s au
consul anglais; R e q u ê t e des habitants du Sassoun
au consul anglais. — Les Hellènes et la Turquie : Un
article de V I C T O R
B É R A R D ; L a réunion du 26 novem–
bre. — Appel aux pbilarmènes d'Europe.
LA QUINZAINE
Les Arméniens et le Régime harnidien
Un singulier j ourna l de langue tur–
que,
Le Tare,
p a r a î t depuis deux mois
au Caire. I l semblait d'abord devoir
défendre des idées peu conformes au
programme harnidien. Dans son nu –
mé r o du 12 novembre, i l cherchait à
expliquer la g e n è s e de la question ar–
mé n i e nn e : i l la voya i t surtout dans
l'oppression s é cu l a i r e par les Ku r de s
et par le gouvernement incapable de
défendre les A rmé n i e n s contre les
Aghas locaux, dans la d é c a d e n c e é c o –
nomique de l ' As i e -Mi n e u r e , dans la
culture e u r o p é e n n e de la jeunesse ar–
mé n i e nn e qu i s'est l a i s s é e emporter à
l'agitation r é vo l u t i onn a i r e au lieu de
collaborer avec les Turcs à l ' amé l i o –
ration du sort commun : i l s'en est
suivi une r é p r e s s i o n sanglante et toute
la honte en a é t é rejetée sur les
Turcs :
Nous avons été d é s h o n o r é s dans le monde
entier, mais qu'on nous permette de le dire :
qui d'entre nous, A rmé n i e n s , Grecs ou au–
tres, peut avoir ce penchant de verser le
sang innocent; en Orient, le peuple ne peut
pas être responsable des actes de l a con–
duite du gouvernement, car ces actes, cette
conduite sont souvent mis en œuv r e contre
ce môme peuple.
On eû l c r u , q u ' a p r è s de telles p r é –
misses le j ourna l turc allait conclure
qu'il fallait empocher le gouvernement
harnidien de continuer son œu v r e de
massacres. Po i n t : i l confond, selon
une erreur trop commune pour n ' ê t r e
pas volontaire, le peuple et le gouver–
nement turc et c on s i d è r e comme d i r i –
g é e s contre le peuple turc des r é u n i o n s
telles que celles du Ch â t e a u - d ' E a u et du
Th é â t r e Sarah-Rernhardt, alors que
tous les orateurs se sont a t t a c h é s à
demander
l'exécution du t r a i t é de
Berlin et du m é mo r a n d um de mai 1895,
comme pouvant seule emp ê c h e r un
nouveau d émemb r eme n t de l'empire
turc.
Le Turc
conclut ainsi :
Notre plus grand devoir est de montrer
aux A rmé n i e n s qu'il n'y a pas au monde urte
nation plus juste, plus tolérante, que les
Turcs ; Turcs, Arméniens, Grecs, tout le
monde, peut vivre en frères, et nous pouvons
défendre ainsi nos droits et notre individua–
lité contre l'Europe.
Dans le n umé r o du 26 novembre, le
journal .soi-disant ami des A rmé n i e n s
et des populations o p p r i mé e s , raconte
à sa ma n i è r e l a r é un i on du Th é â t r e
Sarah Bernhardt, et cette ma n i è r e res-
semble é t r a n g eme n t à celle des j ou r –
naux hamidiens ; les faits et les paroles
y sont d é n a t u r é s à peu p r è s comme
dans
l'Orient
deM . Ni c o l a ï d è s ou dans
les interviews d'anciens diplomates
pub l i é e s par les feuilles e u r o p é e n n e s
à la dévo t i on d ' Y l d i z .
A supposer d'ailleurs que le j ou r na l
du Caire soit de bonne foi, la t hè s e
trop connue qu'il défend est contradic–
toire : depuis cinquante ans et plus, le
gouvernement turc a fait la preuve
qu ' i l était incapable de se r é f o rme r ; le
r é g ime harnidien a a g g r a v é encore le
r é g i me a n t é r i e u r , et aucune amé l i o r a –
tion n'a pu être obtenue sans interven–
tion e u r o p é e n n e .
Ap r è s sept ans d'oppression s y s t é –
matique, de tueries sournoises, de
massacres partiels, la situation des A r –
mé n i e n s est aujourd'hui aussi critique
qu'en 1896, parce que l ' Eu r ope n'a pas
voulu exiger et c o n t r ô l e r les r é f o rme s
qu'elle demandait en des notes et des
m é mo r a n d um s a u s s i t ô t oub l i é s que s i –
g n é e s . C'est ainsi que les nouvelles
ci-dessous, d a t é e s de Bitlis, 30 no–
vembre 1903, ressemblent mot pour
mot et trait, pour trait, dans leur na–
vrante et monotone horreur, à telles
correspondances de 1893, 94, 9ô ou 96,
pub l i é e s dans les
Livres Bleus :
Une veuve nommée A ghout, ses trois
fils et un certain Vartan, son parenl,
vivant avec elle, dans le quartier Aver-
meydan de la ville, onl été trouvés
massacrés tous dans leurs lits à coups
de poignard et de sabre ; les auteurs
sont des Kurdes. L'autorité
feint de les
rechercher.
Apraham
Nazarian,
notable de
Koultig, et membre du consul
diocé–
sain, a été trouvé horriblement
mutilé
dans sa chambre à coucher.
Toujours
les criminels restent introuvables. Sar-
kis Pozoyan,
maire de Hordzag,
dis–
trict de Motiki, a été également
assas–
siné dans sa maison, il y a quelques
jours. Sept Kurdes ont été reconnus
comme étant entrés dans la maison;
mais les autorités
font la sourde
oreille aux plaintes des parents. .
Migjiirditch
Ghazarian,
maire de
Ourdap, district de Bahva, a été as–
sassiné en route pendant qu'il venait en
ville pour des affaires de son village.
L'autorité
exerce la même
nonchalance.
Hirko
Sirkoyan,
notable du village
Metzon, district de Motiki a été assas–
siné par les Kurdes dans son champ.
Fonds A.R.A.M