Quand le télégraphe nous annonce des
fêles et des réjouissances nuptiales, d'au–
tres (ils nous porteront des nouvelles de
villages incendiés, de femmes soumises
aux derniers oulrages, des violences tur–
ques — et alors nous dirons : « Voici
un temps mauvais ; i l y a un lemps pour
pleurer et un temps pour rire — voici le
temps des pleurs qui arrive ! » Et alors
nous déplorerons que ceux que nous révé–
rons comme les représentants des nations
et pour lesquels nous prions le Très;Haut
dans les communau t é s chrétiennes — que,
unis à leurs hommes d'Etal el à leurs peu–
ples, ils n'aient ni le pouvoir ni la volonté
d'écarter la honte cuisante de l'Europe.
H . MART ENSKN - LAR S EN .
«
Kirken og Hjérnmet » (L'Eglise
et la
Famille),
Copenhague octobre 1903.
-*
EN RUSSIE
L a spoliation des biens nationaux de
l'Eglise a r m é n i e n n e ne s'accomplit pas
sans r é s i s t a n c e de la part des A r m é n i e n s .
Ce u x - c i , afin d'exposer à leurs cosujets de
Russie l a situation réelle, ont fait imp r i –
mer, c i r c u l e r el distribuer dans toute la
Russie une protestation qu i explique le
véritable c a r a c l è r e de l ' Uk a s e i mp é r i a l et
de leur r é s i s t a n c e o b s t i n é e . L a c i r cu l a i r e
a été remise par l a poste aux plus hauts
r e p r é s e n t a n t s de l a s o c i é t é et de « l'intel–
ligence » russe. E n voici l'analyse :
C'est à tort que l'ukase a é l é d o n n é
comme une s é c u l a r i s a t i o n des biens
d'église.
Si c'était vraiment une sécularisation opé–
rée par un peuple se gouvernant lui-même,
si l'administration passait des mains du
clergé à celles d'un corps élu, soumis au
contrôle de tous, alors on la pourrait accep–
ter. En fait i l en est tout autrement : les
biens passent d'un peuple qu i sur ce point
s'administre lui-même, d'autorités ecclésias–
tiques élues par ce peuple aux mains d'un
pouvoir autocratique qu i n'est élu par per–
sonne.
E n effet, tous les fonctionnaires de
l'Eglise a r m é n i e n n e , du plus humb l e jus–
qu'au catholicos, sont é l u s par libre é l e c –
tion et des l a ï q u e s m ê m e peuvent ê t r e
appelés brusquement aux plus hauts
postes e c c l é s i a s t i q u e s . E n outre, des
é p h o r i e s purement l a ï q u e s surveillent les
d é p e n s e s des é g l i s e s , des s ém i n a i r e s et
m ê m e de certains couvents. A i n s i , c'est le
peuple m ê m e q u i est s p o l i é du droit d'ad–
ministrer ses biens.
Ce droit, malgré leur férocité et leur bar–
barie, ni Tchinkis K h a n , n i Tamerlan, ni
Shah Abbas, n i les Arabes, ni les Mogols, ni
le Sultan turc, ni les féroces Osmanlis ne
l'avaient s u p p r i mé .
Il est maintenant t r a n s f é r é à l'autocra–
tique bureaucratie russe.
Ce n'est pas à nous, concitoyens russes,
de vous apprendre l'innombrable série des
crimes, vols, abus et meurtres que tous les
ans et tous les jours commet cette bureau–
cratie autocratique démoralisée et dépour–
vue de tout crédit aux yeux du peuple russe
l u i -même . Journellement elle pèse sur vos
épaules, sur votre vie, sur vos frères, sur vos
enfants.
Les A rmé n i e n s de toute classes sont pro–
f o n d éme n t i n d i g n é s par un arbitraire aussi
grossier, par' cette piraterie ouverte exercée
par le gouvernement autocratique de toutes
les Russies. Ils sont p r ê t s à résister jusqu'à
l'extrême limite du possible, par tous les
moyens, contre une telle violence. Nous ne
doutons pas que la meilleure, partie du peu–
ple russe, à l'exception de la bureaucratie
autocratique démoralisée, se joigne à notre
protestation, contre le nouvel acte de vio–
lence de l'autocratie, contre laquelle déjà le
peuple russe mè n e le s u p r ême combat, le
combat pour la mort, et pour ta vie. A bas
l'autocratie ! « Vive la liberté du peuple et le
selfgovernment ! »
Cet appel du Com i t é a r m é n i e n de T i l l i s
a é t é entendu : No r Na k h i t c h e v a n , p r è s
de Rostov su r le D o n , dans la foule fie
quatre mille personnes qu i s'opposa à la
remise des biens, i l n'y avait que trois cents
A r m é n i e n s ; les autres é t a i e n t des Russes.
A E r i v a n , les Tu r c s f e r mè r e n t leurs bou–
tiques comme les A r m é n i e n s ; à Ka n l z a g h ,
un professeur au gymnase, turc de l'Azer-
b é i d j a n , fut requis d'inscrire les biens de
l ' Eg l i s e a r m é n i e n n e su r les registres
d ' E t a t ; i l refusa de « se d é s h o n o r e r ».
Partout, à l a suite des tueries de K a n l –
zagh q u i sont r e l a t é e s ci-dessous d ' a p r è s
des correspondances d é t a i l l é e s , les messes
de
requiem
ont d o n n é lieu à des manifes–
tation graves; d'abord à Tiflis puis dans
tout le pays. Des foules é n o r m e s s'assem–
blaient dans les é g l i s e s , entendaient de
violents discours, chantaient des chants
r é v o l u t i o n n a i r e s . A D j a l a l o g h l o u , l a po l i c e
v o u l u a r r ê t e r un orateur, la foule 1 ; l u i
enleva. A Ak h a l k a l a k i , des d é l é g u é s des
villages voisins, au nombre de 20 à 30 v i l –
lages, se r é u n i r e n t et f o r mè r e n t une formi–
dable foule. Ils portaient les p é t i t i o n s de
leurs villages, r e v ê t u e s de d i x mille s i gna –
tures. A mi nu i t , une messe fut d i l e ; des
milliers d ' A r m é n i e n s environnaient l'église.
Un e jeune fille p r o n o n ç a une harangue
v é h é m e n t e : le peuple a r m é n i e n p r é f é r e –
rait l a mort à l a violation de ses droits.
A Martz, quelques centaines d ' A r mé –
niens avaient o c c u p é les points s t r a t é g i –
ques et, é t a i e n t d é c i d é s à interdire aux
fonctionnaires russes l'accès d u village.
Les fonctionnaires p r é f é r è r e n t attendre
que des troupes suffisantes fussent venues
de Tiflis et d ' Al e x a nd r opo l . A Ga t n a r l ou ,
p r è s d ' E r i v a n , le commissaire de police
I convoqua les paysans et les invita à remet–
tre les biens sans r é s i s t a n c e ; pour les i n –
timider i l frappa le maire au v i s age ;
celui-ci d ' un coup de p o i n g renversa le
commissaire, puis le p i é t i n a . Il faudra
envoyer des renforts dans le district pour
a r r i v e r a inscrire les biens. A B a k o u , de
forts groupes d ' A r mé n i e n s e n t r è r e n t en
lutte avec les troupes ; il y a eu onze morts
du c ô t é a r mé n i e n el. cinq b l e s s é s . A B a -
t oum, 5.000 A r m é n i e n s a s s i s t è r e n t au
Re–
quiem
en chantant des chants r é v o l u t i o n –
naires.
A Ka r s , le commissaire qu i venait ins–
crire les biens fut accueilli à coups de
pierres; les troupes vinrent à la rescousse,
quatre A r m é n i e n s fiirenl t u é s , beaucoup
de. b l e s s é s parmi les agents. A Ka r s , toutes
les boutiques a r m é n i e n n e s furent f e r mé e s
et des bandes nombreuses parcoururent la
ville en criant : « A lias l'autocratie. »
V o i c i maintenant, d ' a p r è s des correspon–
dances a d r e s s é e s au
Droschak
des détails
sur les é v é n eme n t s de Ka n t z a gh et de Tiflis.
KANTZAGH
Le 11 septembre, eulre 10 et 11 heures
du ma l i n , la population a r m é n i e n n e ' d e
K a n l z a g h se dirige vers 1 aratchnorlaran
pour d é c l a r e r à f aralclinorlc P é n i g h V a r –
tabed de ne point coder au gouvernement
les biens de l'Eglise a r m é n i e n n e . L a foule
est d i s p e r s é e par lé chef de la police au –
qu e l le peuple riposte par une g r ê l e de
pierres. Le vice-gouverneur, un j u i f q u i
s'est converti en orthodoxie, intervient
pour lenler de disperser l a foule par les
soldats; la foule r é p o n d i t encore par une
g r ê l e de pierres et des coups de r evo l ve r .
U n jeune homme, un artisan, s o r t i l p a rmi
la foule, s'adresse au vice-gouverneur et
lui crie : « No u s autres nous ne vou l on s
pas vous remettre nos biens nationaux et
nous ne voulons pas comme vous changer
notre r e l i g i o n , salop! L e vice-gouverneur
tire a u s s i t ô l son revolver et tue net le
jeune homme . Ensuite ordre fut d o n n é de
faire feu sur l a foule; un soldat et q u e l –
ques policiers furent b l e s s é s ; d i x A r m é –
niens sont morts sur-le-champ ; i l y eut
70
b l e s s é s , dont 20 moururent a u s s i t ô t ;
p a rm i les victimes se trouve une jeune
fille de treize ans qu i a eu le c r â n e fra–
c a s s é ; un jeune enfant mou r u t de m ê m e ,
f r a p p é par une foule et expira d'une mort
atroce, foulé aux pieds.
TIFLIS
Le dimanche 13 septembre, dans l'église
c a t h é d r a l e , i l y eut une messe de
Requiem
pour les victimes a r m é n i e n n e s à Ka n t z a g h .
Une foule immense remplissait l ' é g l i s e .
Des soldats et des cavaliers attendaient à
l'entrée de l'église. A la fin des c é r é mo n i e s ,
le P è r e De r -Ar a r a d i a n p r o n o n ç a , dit-on,
l ' a n a t h è m e à l'adresse d u gouvernement ;
Fonds A.R.A.M