ront a ppo r t é surabondamment la preuve
qu'elles s'entendent surtout pour ne
rien faire. L ' i nsur r ec t i on et les massa–
cres recommenceront en Ma c édo i ne et
très probablement en A rmé n i e , les
A r mé n i e n s paraissant décidés à ne pas
«
vivre plus longtemps dans le perpé–
tuel cauchemar d'une h é c a t omb e . »
Al o r s i l faudra bien aboutir à une
action plus sérieuse : déjà M . Balfour
et L o r d Lansdowne ont déclaré qu'ils
tenaient le programme austro-russe
pour un m i n i mum i r r é d u c t i b l e ; au–
j ou r d ' hu i , i l ne subsiste plus de ce
programme qu ' un vain f a n t ôme . On
conçoit donc mal que l'Europe puisse se
soustraire plus longtemps à un devoir
dont l'accomplissement n'a été que trop
différé.
Déjà, en Hongr i e , dans un pays qu i
est par tradition historique et par affi–
nité de race fidèlement ami de là T u r –
quie, des avertissements graves se sont
fait entendre. P r é v o y a n t une résistance
du Sultan, le
Pester Lloyd
établissait
admirablement la doctrine du droit à
l'intervention.
Il rappelait que ce droit repose sur
le traité de Paris et le traité de Berlin
qui s a uv è r e n t l'empire turc en l u i i m –
posant des r é f o rme s jamais exécutées ;
il faisait observer que la Sublime-Porte
avait mauvaise grâce à p r é t e n d r e que
l'insurrection ma c é d o n i e n n e seule les
avait retardées : « ce n'est point
r é p o n d r e à la question : pourquoi le
gouvernement ottoman a-t-il laissé
passer un demi-siècle sans avoir fait
quoi que ce soit pour amé l i o r e r l'admi–
nistration, la justice, les conditions
é c o n om i q u e s de ses provinces euro–
p é e n n e s ? »
On ne saurait mieux d i r e ; la ques–
tion est ainsi nettement posée, et ce
qu i est vraPde la Ma c édo i ne ap r è s un
demi-siècle l'est é g a l eme n t de l ' Armé –
nie ap r è s un quart de siècle.
Là situation est devenue telle que
l'intégrité de l'empire ne peut être sau–
vée que par une d imi nu t i on de l'indé–
pendance du pouvoir central. Il n'y a
plus deux avis là-dessus pa rmi les
hommes de raison et de bon sens; et
cela est si vrai que devant un auditoire
presque uniquement c omp o s é d ' He l –
lènes, en ce moment assez peu éloignés
d'une entente avec la Tu r q u i e , M . Jo–
seph Re i nach a pu p r é c on i s e r cette solu–
tion nécessaire :
Puisque ce principe de non intervention qui
domine la politique internationale, ce qui est
peut-être trop absolu, ne comporte qu'une
exception, qui -n'est que trop légitime, c'est
lorsqu'il s'agit de l'Empire ottoman, il faut que
l'Europe impose à la Porte, fût-ce par les
moyens qui n'ont été employés que pour le
recouvrement de-certaines créances, les réfor–
mes nécessaires, indispensables. Le régime
hamidien a tué jusque dans l'âme des diplo–
mates la confiance dans les promesses et dans
les réformes sur le papier. En Arménie et en
Macédoine, en dehors d'un gouverneur respon–
sable et du contrôle effectif des puissances, tout
ce qu'on tentera sera vain ; ce sera demain de
nouveaux soulèvements, après-demain de nou–
veaux massacres. Grecs, Serbes, Bulgares,
Arméniens, Juifs, Turcs, je ne les connais que
sous un seul nom qui appartient à toutes les
races, à toutes les religions, à tous les peuples :
les opprimés, les persécutés, ceux qui crient
vers la justice et vers la liberté, et qui y ont
droit.
A i n s i s'expriment les véritables amis
des Tu r c s , dont l'intérêt réel n'est
point opposé à celui des autres nations
o p p r imé e s de l ' Emp i r e : ils ont été
jusqu'ici les
maîtres,
i l leur faut, selon
la formule d'un homme d'Etat mu s u l –
man et non des moindres, être désor–
mais des
égaux,
s'ils ne veulent devenir
des
sujets.
Ils doivent tenir non pour
des adversaires, mais pour des libéra–
trices les puissances qu i imposeront le
con t r ô l e eu r opé en ; ils ne peuvent être
autrement sauvés des s u p r ême s catas–
trophes où les e n t r a î n e n t le r é g ime
hami d i en et la politique des deux
empires directement intéressés au dé –
membrement de la Tu r q u i e .
Pierre
Q U I L L A R D .
+
;
A L A FRONTIERE TURQUE
La rédaction du
Drosçhak
a reçu la
d é p ê c h e suivante, v i a Ta u r i s :
Une bande d'environ
100
Fédaïs,
appartenant à la Fédération
Révolu–
tionnaire Arménienne,
divisée en plu–
sieurs parties, a franchi, le
I
er
octobre,
la frontière
russo-turque. Le lende–
main, à
8
-10
lieues de la
frontière,
la bande fut aperçue par des bergers
kurdes et cernée bientôt par les troupes,
la populace turque et les
achirètes
kurdes. Un combat terrible
s'engagea
qui dura trois jours. Des troupes furent
mandées d'Erzeroum, de Dalibaba et
de Karakilis. Du côté de l'ennemi, il y
a des centaines de tués, parmi lesquels
un colonel, un kaïmakam,
trois offi–
ciers, cinq
chefs kurdes,
ainsi
que le
fils aîné du fameux Rechid pacha. La
bande elle-même a subi des pertes sé–
rieuses dans la lutte inégale. Une
partie des fédaïs a pu regagner la
jrontière.
LETTRE D'AKHLAT
1903.
Un Kurde qui dit la vérité.
J'avais parlé
dans ma p r é c é d e n t e lettre de l a persécution
et de l'arrestation des h ami d i é s de Hussnan,
par le gouvernement; entre autres fut arrêté
aussi le colonel h ami d i é F a d é . Pendant l'in–
terrogatoire, le juge l u i demande d'expli–
quer pourquoi i l avait fait piller et opprimer
la population par ses hommes. «Effendi, r é –
pond F a d é , i l est vrai que c'est bien par mon
ordre que mes hommes ont commis les pil–
lages en question, mais je ne suis point l'ins–
tigateur et l'auteur de ces méfaits ; toute
la faute incombe à vos valis ; si, eux, ils
n'avaient pas consenti à ce qui a été fait, ni
moi, ni mes hommes, nous n'oserions agir;
les coupables sont ceux qu i ont consenti à
nous laisser d'agir à notre gré ».
Le juge, un peu i n d i g n é , l u i dit : « Par
quoi pouvez-vous me prouver la véracité de
vos paroles ? » « Effendi », fut la réponse de
F a d é . Vous, comment avez-vous su que ce
sont les h ami d i é s de Hussnan qui font subir
tous ces maux au peuple? vous qui êtes seu–
lement arrivé ici d'hier, vous vous êtes mis
bien vite au courant de savoir qui étaient les
criminels; or, tous ces valis qui vivent avec
nous pendant des a n n é e s , ne savaient-ils
donc pas l a vérité, et s'ils l a connaissaient,
pourquoi ne les a-t-on pas arrêtés et punis?
N'est-ce point là une preuve que, eux aussi,
il étaient complices avec nous et les véri–
tables auteurs des maux ».
Ge n'est point un révolutionnaire armé–
nien qui parle ainsi, c'est un colonel hami–
dié, un grand fonctionnaire du gouverne
ment, le fils, fidèle du Sultan. Peut-on alors
mettre en doute ce que nous r é p é t o n s tou–
jours, à savoir que toutes les atrocités, tous
les crimes, tous les assassinats, tous les bri–
gandages qu i se commettent en Arménie,
ont lieu par le consentement, avec la connais–
sance et par la participation du gouverne–
ment; ce ne sont pas les témoins qui man–
quent pour le confirmer ; un examen impar–
tial suffit pour mettre en évidence que non
seulement, obéissant à l'ordre supérieur, les
fonctionnaires du gouvernement permettent
tous les crimes qui se commettent dans notre
pays, mais encore ils y p r ê t e n t main forte
é t a n t d o n n é qu'ils ont leurs intérêts.
Les fonctionnaires c h a r g é s de l a justice,
les juges, les avocats, tous, forment des as–
sociations avec les voleurs et les brigands
qui partagent le butin avec eux, à condition
d'être p r o t é g é s contre la l o i lors de leur ar–
restation ; n'est-ce pas, en effet, que dans
ce pays la l o i n'est qu'un jouet dans les mains
des fonctionnaires qui sont chargés de ren–
dre la justice et que tout s'arrange d'après
leur bon plaisir?
Fonds A.R.A.M