au gouvernement plusieurs l'ois, mais en
vain ; pour échapper à ses tyrannies, ils se
jettent malgré eux dans les bras d'un plus fort
que lui, Ibrahime bey, le fameux tyran de
Djibran, qui est le kaïmakam des cavaliers
hamidiés. Ils lui transmettent leurs terres, et
le rendent ainsi propriétaire. Maintenant,
lui-même, s'étant établi à Razon, a étendu
son influence partout, et i l déclare aux pay–
sans qu'ils n'aillent plus protester au gouver–
nement, mais d'aller à lui. Le gouvernement
garde le silence et continue toujours à en–
voyer des troupes de soldats dans les cam–
pagnes arméniennes.
Cette année, la perception des impôts était
si sévère que le vali lui-même et le chef de vil–
lage percevaient l'impôt avec quinze ou vingt
agents ; le peu de blé qui restait aux pauvres
paysans fut aussi entevé. Cet été, comme
j'avais dit dans ma lettre, un homme fut as–
sassiné par les ïchahehan ; les gardiens de
la campagne en avertirent le gouvernement
qui, au lieu de lever des soldats contre les
assassins, envoya à Boulanik environ deux
cents soldats sous prétexte qu'il y avait là des
Arméniens révolutionnaires ; on pilla les
meubles des paysans et après avoir battu
plusieurs personnes, on les laissa presque
mortes.
III
Mouch,
8
janvier
1901.
J'avais écrit dans ma précédente lettre à
propos des violences pour la perception de
l'impôt; je vous écris par la présente celles
qui viennent d'être commises. Un agent qui
était parti avec un percepteur, natif Erze–
roum, pour percevoir l'impôt, racontait ce
qui suit à son retour : « Nous sommes allés,
il y a quelques jours, à la campagne de Ghe-
ronk pour percevoir l'impôt ; nous avons
laissé les Arméniens de cette campagne pres–
que tués à coups de bâton, et nous avons ra–
massé
40
livres turques,dans moins de vingt-
quatre heures;àlafin,nousleur avons demandé
sur quel registre de leurs dettes i l fallait pas–
ser les sommes reçues ; on nous a répondu
qu'on avait payé à temps les anciennes et les
nouvelles dettes et qu'on ne devait pas même
une piastre au gouvernement.
Dans la ville et la plaine de Mouch les
mouchards pullulent : ils pillent à leur gré
tout Arménien qui paraît avoir de la fortune,
en lui mettant par force une lettre dange–
reuse dans la poche, et s'il ne peuvent rien
obtenir, ils le soumettent à de grands châti–
ments et à des condamnations ; le gouverne–
ment lui-même n'ignore pas que ce sont là de
fausses accusations, mais i l ne veut pas
mettre la justice en lumière, car son intérêt
le demande ainsi.
Le
19
décembre, dans la campagne de
Tchirik, un jeune homme est décédé ; les
paysans, comme c'est l'habitude, allaient et
venaient pour consoler la famille du décédé,
c'était pendant la Ramazan des Turcs. —
Un certain nommé Valo étant sorti pendant
la nuit, aperçoit trois de ceux qui allaient
pour consoler la famille du décédé, et i l les
prend pour des révolutionnaires. Tous les
Turcs de la campagne, environ trente mai–
sons, se mettent d'accord pour envoyer quel–
qu'un à Mouch, le plus vite possible, pour en
avertir le gouvernement ; une foule de soldats
envahissent aussitôt la campagne ; ils lais–
sent quelques personnes demi-mortes, en les
frappant avec la crosse de leurs fusils ; ils
font des perquisitions minutieuses qui ne
donnent aucun résultat. Au lieu de châtier le
Turc menteur, ils rendent les Arméniens ma–
lades à force de les battre.
A la fin de décembre, des Hamidiés Kurdes
de Djibran et de Hassman ; chaque chef de
tribu ayant
i5oo
à
2000
soldats, campèrent à
Manazgerte et à Boulanik sous prétexte de
combattre ; leur véritable but était de dé–
truire les villages arméniens, comme ils l'ont
fait. Ils restèrent campés pendant quinze
jours, et sans qu'aucun combat eût lieu, ils
retournèrent chez eux ; le gouvernement gar–
dait le silence et était indifférent envers eux ;
il permet les invasions et les destructions des
Hamidiés Kurdes, qui occasionnent une perte
de plusieurs milliers de livres au Trésor, et
il tombe seulement sur les jeunes gens armé–
niens qui se défendent.
LETTRE DE TRÉBIZONDE
T r é b i z o n d e ,
23
j a n v i e r
1901.
Il est publié dans les journaux turcs de
Constantinople, datés du
I
e r
décembre, que
des émigrés appartenant aux tribus Tchat-
chan et Lézki sont arrivés à Mouch, où un
comité spécial les établira dans les campa–
gnes environnantes.
Les paysans de la plaine de Paperte ont
immigré, non seulement à Trébizonde, comme
j'avais écrit dans ma précédente, mais aussi
à Erzinghan, à Gumuchghané, à Sivas, et
partout où i l était possible d'aller. Le gou–
vernement a perçu, du seul village Kissouta,
une somme de
45
o
livres turques dans l'espace
de deux mois, somme qui représente tous les
impôts amassés depuis les massacres. Outre
celte somme, car le gouvernement en faillite
subit à chaque moment la famine d'argent,
on perçoit l'impôt militaire qui représente
une somme de
60
livres, de tous ceux qui, par
suite de la négligence des moukhtars, n'étaient
pas inscrits à leur naissance sur les regis–
tres du gouvernement. Voilà des gens de
campagne, qui, en deux mois, après avoir
vendu le produit des champs et tout ce qui
se trouvait chez eux, payent un impôt de
010
livres ; comment l'existence peut-elle être
possible sur une terre pareille. Toutes les
campagnes de la plaine de Paperte se trou–
vent dans le même cas.
Quant au mode de perception qui avait
lieu auparavant au moyen de percepteurs et
de zaptiés, le gouvernement aujourd'hui a
changé de système. Un reçu est donné à l'au–
torité militaire (laquelle est rendue créan–
cière de la caisse du gouvernement), au nom
de chaque village qui doit payer une somme
fixée ; aussitôt
20
à
'3
o
soldats sont envoyés
au village ; comme des loups affamés, ifs
tombent sur tes paysans. Ifs y restent, man–
gent et se couchent, et commettent toutes
sortes d'atrocités, jusqu'à ta perception de la
somme demandée...
LA RÉUNION DU 2 MARS
Nous tiendrions pour inconvenant
de publier ici les nombreux témoigna–
ges d'encouragement qui nous sont en–
voyés d'Europe, d'Amérique, d'Egypte,
par des groupes a rmén i ens ; ce journal
a une besogne plus haute à accomplir
que de célébrer son propre éloge. Nous
ne pouvons cependant passer sous s i –
lence la réunion a rmén i enne , organi–
sée le 2 mars, au café Voltaire, sous la
présidence de notre hono r é confrère,
M . Minas Tché r as , directeur de
l'Ar–
ménie.
M . Mikhaïl Joannissian a pro–
noncé un éloquent discours et l'as–
semblée a approuvé et signé une
adresse à la rédaction de
Pro Armenia.
Nous en extrayons un passage qui in–
dique très exactement ce que nous
voulons faire :
Si nos compatriotes de tous les coins
du monde ont salué avec enthousiasme
l'apparition de votre vaillant organe, c'est
parce qu'il constitue un ph é nomè n e nou–
veau dans l'histoire tragique de notre
peuple... Jusqu'ici isolé, ce mouvement
va prendre maintenant un caractère uni–
versel. I l va intéresser l'opinion publique
de tous les pays.
I l serait, en effet, inexact de dire que
les malheurs de l'Arménie soient connus
de tout le monde, et que la cause armé–
nienne ait conquis toutes les sympathies
qu'elle est en droit d'attendre de l'huma–
nité civilisée. J u s qu ' à ces derniers temps,
i l y avait en Europe des publicistes bien
intentionnés, mais ma l renseignés, qui
tenaient pour exagérées les nouvelles des
atrocités a rmé n i e nn e s et qui allaient jus–
qu'à rendre les Armé n i e n s eux-mêmes
responsables de leurs malheurs. E t la
grande presse n'avait-elle pas organisé
une véritable conspiration du silence au–
tour des massacres?
Nous continuerons à plaider avec
plus d'énergie encore la cause de
ce peuple « qui a longtemps souffert et
qui ne veut plus de la servitude ». Il
nous est particulièrement doux de lire
au bas de l'adresse les signatures
d'hommes qui représentent toutes les
fractions de la nation et de l'opinion
a rmén i enne .
Nos amis a rmén i ens ont bien com–
pris que notre premier devoir était de
renseigner ceux qui veulent bien en-
Fonds A.R.A.M