Les auteurs de ces crimes, pensant qu'une
enquête pourrait dénoncer et publier leurs
crimes terribles, prennent des mesures
pour cacher la réalité, j u s qu ' à ce qu'ils
aient fabriqué à leur gré une histoire
et la divulguent comme vraie. Par con–
séquent :
i° Les militaires établissent un cordon
de blocus et le va et vient est p r oh i bé des
deux côtés.
2
°
Le Kurde Kh a l i l et l'agent de police
Hussni, par l'ordre d ' A l i pacha, sont en–
voyés à Spaghank avec une troupe de sol–
dats ; ils déterrent les cadavres de la fosse,
et allumant un bûcher ils les réduisent
en cendres. Les témoins oculaires racon–
tent que les cadavres des enfants sont com–
plètement réduits en cendres, mais on
voit dans les cendres des cadavres des
adultes des lambeaux de chair. On laisse
seulement quelques cadavres sans les
brûler, pour qu'on puisse dire pour ces
derniers que ce sont les cadavres des révo–
lutionnaires tués.
3
° Ils font signer par force un rapport au
p r ê t r e , Rédrosse, abbé du couvent de Ma -
dine Arakiale dans la campagne de Kome,
p r è s de Sassoun, ainsi qu ' à quelques cen–
taines d ' Armén i en s de l à même campagne,
lesquels se trouvent sous l'influence du
Kurde Kh a l i l . Ce rapport déclarait que
six ou sept révolutionnaires s'étaient
t r ouvé s à Spaghank, lesquels, après avoir
combattu contre les soldats, avaient été
tués, et qu'il n'y avait aucune autre perte
de personnes. On opprime l'évêque de
Bitlis pour l u i faire confirmer cet écrit et,
sous le coup des menaces, ils réussissent
à faire légaliser sinon le contenu du moins
les signatures.
Alors que toute l a réalité est qu'il ne s'est
trouvé aucun révolutionnaire à Spaghank,
pour justifier le crime on dit que les révo–
lutionnaires y avaient pénétré ; alors que
la campagne de Spaghank renfermait
3
o à35maisons, avec
1
5
o à
200
habitants, on
dit quelle renfermait quatre maisons avec
27
habitants ; alors que, en dehors des
10
à i 5 personnes, tous les habitants sont
tués, .on dit que seize révolutionnaires ont
été seulement tués et qu'avec eux trois
innocents ont été victimes ; alors que,
toute la campagne est incendiée et ruinée,
on dit qu'une étable seule était brûlée.
DE MOUCH ET DE TRÉBIZONDE
L E T T R E S D E M O U C H
Mouch,
34
décembre
1900.
Depuis plusieurs années, les yeux du gou–
vernement sont iixés sur les montagnes inac–
cessibles de Sassoun; son but est d'en éloi–
gner les Arméniens, et pour cela i l emploie
toutes les machinations. Les habitants de ces
montagnes, même ceux qui ont été tués, lui
paraissent vivants et révolutionnaires; aussi
a-t-il voulu leur faire quitter les montagnes
pour les plaines. Pour cela il imagina un expé–
dient qui les obligerait de quitter de leur pro–
pre gré les lieux qu'ils habitent depuis des an–
nées; les champs, la terre et l'eau, qui depuis
des siècles étaient la propriété des Armé–
niens, comme cela est prouvé, même par les
cadastres, le gouvernement les enleva aux
Arméniens pour les mettre au nom des Kur–
des; ce moyen ne réussit pas à éloigner les
Arméniens des montagnes qui leur tiennent
lieu de père et de mère, non plus des terres
et de l'eau qui leur donnent la nourriture et
la vie; affamés et ayant soif, ifs embrassèrent
avec les deux mains les pierres rocailleuses ;
ils se réfugièrent dans les forêts de chênes
qui nourrissent leurs animaux et ne s'éloi–
gnèrent pas de leurs cabanes. C'est alors
que le gouvernement songea à verser du
sang. L'année passée, i l excita les Kurdes
qui ont soif de sang, contre les paysans de
Nitinke, dont il fit tuer cinq hommes célèbres;
il lit mettre en fuite les autres et incendia
toute la campagne. Cette année-ci, i l tourna
sa colère cette fois contre la campagne de
Spaghank, dont i l massacra les habitants,
incendia tout avec du pétrole, pour envoyer
les cendres au golfe Persique comme cadeau
par l'affluent du Tigre. Oh ! quelle atrocité
terrible ! tous ceux qui s'étaient réfugiés dans
la maison de Dieu, dans l'église sacrée au
nom de l'anachorète Saint Marapé, furent
étouffés et brûlés par les tas de blé, d'orge et
d'herbe, amassés autour de l'église. D'après
ce que racontent les témoins oculaires, les cris
et les gémissements des bébés innocents s'éle–
vaient jusqu'au ciel; cette campagne était
devenue un second Bethléem; pourtant le
ciel avait fermé les yeux et les oreilles en–
vers ce massacre baigné de sang et terrible,
comme le font les puissances chrétiennes du
monde. Le gouvernement anéantit les monta–
gnards, i l espère faire de même aux habi–
tants de la plaine, dont tous les jours i l fait
assassiner une ou deux personnes ; puis i l ac–
cuse faussement les Arméniens eux-mêmes
d'assassinat. Quatre ou cinq personnes ont été
tuées en outre dans les prisons; les assassi–
nats et les enlèvements sont continuels. Les
villages de Tchighoura, de Gharsse et d'Ar-
tonk faisaient encore entendre leur voix
pour l'assassinat de leurs deux hommes;
deux pauvres Arméniens de Ghizlaghatch
furent tués par les soldats et les Kurdes, alors
qu'ils fuyaient les atrocités du tyran Djézaïr,
connu de tout le monde. Furent tués égale–
ment par les Kurdes :
Djazan, natif d'Alidjan;
Haroutioun, chef du village de Gourave ;
David, natif d'Arindji et son fils ;
Le chef du village de Kasskeuy, par les
Kurdes de Balak;
Gialcho, natif du village de Hounan, par les
mêmes.
Oumré de Solengh, Sérape et quelques
autres personnes furent tués par les soldats.
Il faut relater encore l'assassinat du diacre
Morses, l'attaque du couvent de Sourpe Ga–
rabed par Mahmoud-Ali dont les crimes res–
tèrent impunis. Le gouvernement a les yeux
vifs seulement pour observer la trace des
Arméniens; pourtout où i l y a un Arménien,
les soldats y courent pour piller, violer et dé–
truire. Les hommes de Bechar et de Halil de
Sassoun, envahirent en automne plusieurs
fois la campagne de Chouchnamergh et ils
l'ont détruite; je sais d'une façon certaine,
que Chouchnamergh est aujourd'hui en rui–
nes et les habitants affamés errent dans les
campagnes voisines; les Kurdes n'attirent
nullement l'attention du gouvernement; des
troupes de soldats sont toujours envoyées
aux campagnes arméniennes pour faire des
perquisitions; i l se propose de rendre déserts
Sassoun et la plaine de Mouch.
En été, un Kurde fut trouvé noyé dans le
fleuve de Mourat; huit hommes et une femme
de la campagne de Knousse furent injuste–
ment condamnés à quinze ans d'emprisonne–
ment. C'est par de telles atrocités qu'il veut
nous anéantir. Le temps ne manque pas
pour écrire, je me contente pour le moment
avec cela.
II
Mouch,
1"
janvier
1901.
Le tyran nommé Hadji Féro, qui habite
Hasskeuy et fait de grands maux aux Armé–
niens fut nommé « mudir » par le vali de Bit–
lis qui l'envoya parmi les Arméniens de
Tchikour. La plus grande partie des assas–
sinats mentionnés dans ma précédente lettre
furent provoqués par ce tyran.
Les crimes des Multéziens sont déjà connus
surtout cette année, ils ont pillé sans rien
laisser aux paysans, car cette année i l y
avait une augmentation de 6 p.
100
sur les
dîmes, ainsi que d'ailleurs sur tous les im–
pôts.
Mahmoud Emine, domestique de Hadji A l i ,
fermier à la campagne de Gourse, pendant
l'absence du chef de village, tente de violer
sa femme ; heureusement celle-ci parvient à
se sauver et à en avertir les voisins. Quelques
jours après le même Mahmoud Emine entre
dans la maison du chef de village et viole sa
belle-fille. Le chef de village fut obligé de
quitter sa maison de campagne et protesta
énergiquement au gouvernement ; le résultat
de cette protestation fut que le chef de village
fut condamné à quinze ans d'emprisonne–
ment!
Le percepteur de dîmes, Kérime Agha,
natif de Mouch, perçoit les dîmes à son gré ;
au lieu de
200
kilés de blé qui devaient être
perçus légalement, i l perçoit
400
kilés et plus.
Toutes les terres des campagnes sont deve–
nues la propriété des Turcs de Mouch, mais ce
sont encore les paysans arméniens qui payent
l'impôt ; i l y a très peu de campagnes où le
Turc n'ait pas mis pied.
Les Hamidiés Kurdes de Djibran, grâce à
l'influence du gouvernement, s'établirent dans
les campagnes arméniennes. Près du couvent
Saint-Garabed se trouve la campagne de
Razon, où Kurdes et Arméniens vivent mé–
langés. Les paysans,mécontents des attaques
et des tyrannies de Mehmet Ali, s'adressèrent
Fonds A.R.A.M