d'une voix pleine de sanglots, nous crions à l'Europe : « Pitié ! Pitié pour 1
les opprimés!! » Car l'Europe seule peut entraver l'œuvre de destruction
qui s'accomplit sous nos yeux. Elle peut mettre un frein à la fureur san–
guinaire des Turcs, elle seule peut faire régner la justice et la paix, là où
sévit la plus horrible anarchie.
C'est à cette Europe, tutrice naturelle des opprimés de la Turquie, à
cette Europe forte, humaine, généreuse, compatissante que nous adres–
sons cet appel avec nos plus ferventes prières pour qu'elle sauve de la
mort un peuple dont le seul crime est d'être chrétien et d'aspirer à la
civilisation.
A cet appel des femmes bulgares, les femmes de Lyon ont décidé de
répondre en créant un Comité des Femmes françaises, pour venir au
secours de tous les peuples de Macédoine.
La situation de cette province est intolérable. Il faudrait que, sans
distinction de races, sans distinction de religions, aux Bulgares comme
aux Grecs, aux musulmans comme aux chrétiens, aux Albanais eux-
mêmes, la France envoyât de prompts secours. Vous devez prendre
votre part dans ce concert de charité qui s'organise à Londres, à
Bruxelles, en Italie, un peu partout. L'Angleterre vient d'envoyer une
mission en Macédoine, pour porter les secours les plus urgents aux plus
nécessiteux. Nous, Français, nous n'avons pas besoin d'une mission
pareille; nous avons, en Macédoine, des distributeurs tout trouvés.
Donnez-nous l'argent, je vous assure qu'il ira à destination; nous avons
des consuls. Vous vous souvenez qu'au moment des affaires armé–
niennes, nos consulats d'Asie-Mineureavaient été transformés en bureaux
de bienfaisance. Il en sera de même en Macédoine, et vous aurez rempli
non-seulement votre devoir d'électeurs en venant à cette conférence,
mais votre devoir d'hommes en donnant à tous ceux qui meurent de
faim là-bas!
(
Applaudissements).
M. EVANS
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MESDAMES, MESSIEURS,
Je vous prie de m'excuser, car je n'ai pas l'habitude de faire des
discours en public, surtout en langue française. Si donc je me risque à
dire quelques mots dans cette grande réunion, c'est que j'ai peut-être
connu les pays balkaniques d'une manière plus particulière. Comme l'a
dit M . de Pressensé, j'ai beaucoup voyagé en Macédoine, j'ai connu
personnellement toutes les infamies de l'administration turque. Mais je
ne veux pas parler longuement sur ce sujet qui a été traité par un des
derniers orateurs.
Je veux insister seulement sur ce point, c'est que si vous voulez agir
d'une façon efficace en Macédoine ou en Arménie, il faut commencer
par agir à Constantinople, et qu'on ne peut rien faire à Constantinople
sans une vraie intimidation.
(
Approbation.)
Ce que nous voulons inaugurer, ce que désire, comme l'a dit
M . de Pressensé, le gouvernement anglais, c'est une vraie politique. II y
a à peu près trente années qu'une grande agitation a traversé l'Angle–
terre, au moment des premiers massacres de Bulgares en Roumélic.
Nous avions alors un grand homme d'Etat, M . Gladstone. L'action de
M . Gladstone a tout à fait transformé la politique anglaise. Un des plus
puissants hommes d'Etat que nous avons eu jusqu'alors, Beaconsfield,
a été frappé quasi mortellement dans sa politique philoturque. L'al–
liance avec le Sultan était rendue désormais impossible. Mais alors
c'était une question de partis. A présent tout a changé; en Angleterre,
nous n'avons plus la grande voix de Gladstone; le feu de ses plai–
doyers immortels est éteint,, mais nous avons ce que nous avions il y a
trente ans : nous avons une nation tout à fait unie sur la question
d'Orient.
Nous avons eu beaucoup de réunions dans les grandes cités d'An–
gleterre — peut-être
200
jusqu'à présent où ont été repeésentés tous
les partis, toutes les croyances. Ce n'est pas seulement comme il y a
trente ans, les libéraux et une petite fraction du parti conservateur qui
ont contribué à ces réunions: c'est, aujourd'hui, la nation tout entière,
les conservateurs comme les libéraux; le gouvernement anglais
actuel ne demande pas mieux que'd'être appuyé par l'opinion publique
dans ses démarches.
Mais ce qui est important, et c'est ce que nous cherchons dans cette
réunion, c'est d'avoir l'appui de l'opinion publique en France; nous
voulons l'appui de l'opinion de la France humanitaire!
(
Applaudisse–
ments.)
M.
LE
COURMONT
MESDAMES, CITOYENS,
J'ai le très grand honneur d'être délégué à la réunion d'aujourd'hui
par le Comité lyonnais et du Sud-Est de protestation, contre les mas–
sacres d'Orient. Cependant je ne savais pas que je prendrais la parole
aujourd'hui devant vous. Je serai très bref; j'ai cédé aux instances de
notre président, qui veut qu'en quelques mots je vous indique quel est
l'état d'âme de la province, et spécialement du Sud-Est.
Je ne saurais mieux faire que de vous résumer la très importante
réunion que nous avons eue hier soir à Lyon, aux Folies-Bergère.
Plus de 3,ooo citoyens se sont réunis, convoqués par toutes les asso–
ciations démocratiques de Lyon et du Sud-Est. Et, signe des temps,
cette réunion était présidée par le maire de Lyon, M . Augagneur, dont
le monde connaît le courage et la bravoure.
(
Applaudissements.)
A cette conférence, nous avons entendu deux orateurs; tout d'abord
M . le docteur Lortet, doyen de la Faculté de Médecine de Lyon. C'est
là encore un signe des temps; en effet, M . le docteur Lortet a passé
plus de
16
hivers en Orient; il connaît bien la région; il a vu les mas–
sacres; il y a assisté. Or, il y a quelques années, lorsque, à son retour,
à Lyon, il voulut faire une conférence sur les massacres d'Arménie, il en
fut empêché par le ministre des affaires étrangères d'alors, M . Gabriel
Hanotaux, qui, après en avoir référé au Conseil des ministres lui interdit
de parler de ces massacres.
(
Huées et sifflets.)
Ce qu'il n'a pu faire jadis
il l'a fait hier, aux applaudissements de tous; et il a révélé des faits telle–
ment monstrueux que le P' Bérard lui-même ne les connaissait pas.
Il a vu dans des petits villages de Syrie, des assassinats et des mas–
sacres, comme peut être jamais on n'en a vu à aucun moment ailleurs.
Ce récit a éveillé parmi les 3,
000
auditeurs un sentiment de profonde
pitié qui se répercutera au dehors.
Après cette conférence, M . Victor Bérard a pris' la parole, — n'ayant
pas craint de passer toute une nuit en chemin de fer, entre ces deux
conférences pour venir apporter à Lyon la bonne parole, — et à la suite
de la réunion, à l'unanimité des 3,
000
électeurs présents, il a voté un
ordre du jour demandant la création d'un contrôle en Macédoine. Cet
ordre du jour a été dès hier soir télégraphié au ministre des affaires
étrangères, et le Comité lyonnais m'a prié de vous en donner commu–
nication.
Je viens donc vous dire : à côté du peuple parisien il y a le peuple
français de province, dont l'âme vibre avec vous. Tous les cœurs libé–
raux et démocrates, je m'en porte garant, sauront imposer à leurs repré–
sentants, aux pouvoirs publics, leur volonté et sauront leur rappeler
qu'ils ont des devoirs envers l'humanité et envers la justice interna–
tionale !
(
Applaudissements.)
M. MAC COL L
(
Traduction de M. Jean Longuet)
MESSIEURS,
M . Mac Coll s'est surtout fondé dans son argumentation sur cette
idée que la Turquie est un régime théocratique, qu'il n'y avait pas en
Turquie un régime politique analogue à celui des autres nations euro–
péennes, mais un gouvernement dans lequel certaines lois religieuses
sont plus fortes que la volonté des gouvernants eux-mêmes et prévalent
contre tous les efforts des puissances qui, jusqu'ici n'ont pas voulu agir
par le seul moyen effectif.
Les chrétiens, notamment, sont absolument dépourvus de droits;
ce sont des esclaves dont le témoignage ne peut être reçu en justice
contre celui des musulmans ; ils n'ont pas le droit d'avoir des armes;
ce ne sont pas par conséquent des citoyens, ce ne sont pas même des
sujets comme on l'entend dans les monarchies européennes.
Mais cette loi de la constitution ottomane doit s'incliner devant une
autre loi plus forte; car lorsque le Sultan est en présence d'une force
contre laquelle il ne peut résister, il est dans l'obligation de s'incliner.
Nous en avons un exemple tout à fait remarquable dans l'affaire
Tubini-Lorando ; à ce moment, le Sultan qui n'a pas de flotte, qui n'a
pas un seul navire tenant la mer, a été obligé de s'incliner immédiate–
ment. Soyons persuadés, quand il s'agit de l'existence de ces nationa–
lités chrétiennes, quand il s'agit de la propriété et de la vie de milliers
de malheureux, que nous pourrions obtenir ce qui a été obtenu déjà
pour quelques financiers.
On peut citer un autre exemple de la facilité avec laquelle le gouver-
Fonds A.R.A.M