verrons tout les petits peuples balkaniques s'asseoir au bord de leurs
frontières et se mettre à pleurer, en disant : « Voilà la bonne action qui
part ».
(
Applaudissements et rires).
La bonne action qui a établi et maintenu le régime milaniste en
Serbie. La bonne action qui a laissé faire la guerre turco-grecque ! La
bonne action qui a débuté, en
1896,
par les massacres arméniens, quia
continué par les massacres crétois, et qui finit,- aujourd'hui,_par les mas–
sacres de Macédoine ! Si c'est une bonne action, tant mieux; mais il
nous en faut une autre.
(
Approbation).
On nous promet pourtant que cette action austro-russe va passer à
l'acte. On nous dit, après les dernières entrevues impériales, qu'on va
nous donner, en Macédoine, ce que nous réclamons, et nous voyons
aussitôt tous les Brid'oison de la diplomatie, reprendre le refrain d'au–
trefois : les réfo-ormes, monsieur, les réfo-o-ormes !
Nous la connaissons la réforme. Depuis
1821,
le sultan Mammoud
l'a proclamée : En
1854,
Abdul Aziz la mit en actes. En
1870,
un autre
Sultan en fit un iradé. En
1876,
Mourad en a fait une constitution. En
1878,
l'Europe en a fait un traité. En
1890,
le sultan Abd-ul-Hamid l'a
promise. En
1895,
les ambassadeurs en on fait un mémorandum. Et
depuis
1896
jusqu'en iqo3, pour la seule province de Macédoine, le
sultan Abdul-Hamid a signé six à sept décrets de réformes.
Et c'est là ce qu'on nous offre aujourd'hui ! Il est vrai que, tout
récemment, pour corser un peu la réforme, on nous promit autre chose
encore, et l'on nous parla du contrôle. Le contrôle, à coup sûr, est une
excellente chose. Nous allons donc avoir la réforme et nous allons avoir
le contrôle. Acceptons encore ce bon billet; prenons-le au pied de la
lettre et faisons toujours crédit à l'action austro-russe de toute la bonne
foi possible. Mais, messieurs, après l'exposé que je vous ai fait, ne
voyez-vous pas que réforme et contrôle sont de sinistres plaisanteries,
mais de simples plaisanteries?
Car enfin, cette réforme et ce contrôle, sur quoi vont-ils porter ? Ils
vont porter sur le régime turc. On nous promet ou'au lendemain de la
réforme, les fonctionnaires turcs respecteront les biens des habitants,
leurs propriétés ; on n'assistera plus au pillage des impôts,à la mangerie
des routes ; on verra les armées soldées, une gendarmerie organisée.
Bref, le régime turc disparaîtra.
Et le régime hamidien ? Par la réforme et le contrôle vous pro–
mettez à la population de Macédoine le pain quotidien ; vous devriez
commencer tout de même par leur donner la vie quotidienne. Vous
voulez leur donner le moyen de vivre ; donnez-leur d'abord le droit de
vivre!
(
Approbation).
Vous parlez de contrôler le régime turc; c'est
meure la charrue devant les bœufs. Le problème ottoman, si je vous l'ai
bien exposé, se compose de deux parties : il faut d'abord supprimer le
régime hamidien, parce qu'il faut d'abord que la population puisse
vivre ; il faut ensuite contrôler le régime turc, parce qu'il faut ensuite
que la population puisse manger. Mais il est inutile de faire manger la
population si vous devez la massacrer demain.
Il est donc inutile de nous leurrer de mots. La réforme et le contrôle,
tout seuls, ne sont rien. Il nous faut autre chose et cet autre chose nous
pouvons le définir très exactement, parce que nous avons devant nous
des exemples historiques et que nous savons, par ces exemples très
précis, comment on s'y prend quand, dans une province turque, on veut
assurer aux peuples, non pas seulement la nourriture, mais la vie quo–
tidienne.
Il y eut jadis des massacres dans les îles ; il y eut jadis des massacres
au Liban et en Crète. Le jour où l'on voulut assurer la vie de ces
peuples, on ne se contenta pas du contrôle et des réformes. On reconnut
que le massacre va toujours avec le régime sultanesque :• pour suppri–
mer le massacre, il faut que l'autorité directe du sultan soit supprimée ;
qu'à la tête des provinces on installe des gouverneurs responsables ; que
ces gouverneurs, tout en restant dépendants de la Porte, tout en conser–
vant le drapeau turc, échappent aux perfidies, aux intrigues ou aux
séductions du Sultan régnant. C'est par ce système très simple que,
depuis soixante-dix ans, les massacres ont été supprimés à Samos, que,
depuis
1860,
on ne massacre plus en Syrie, et que; depuis
1898,
la Crète
est tranquille.
Quand donc, aujourd'hui la diplomatie anglaise vient nous dire que
le minimum de nos revendications doit être l'installation de ces gouver–
neurs responsables, j'estime que la diplomatie anglaise rend au monde
occidental et a la Turquie tout ensemble le plus grand' service que
depuis trente ans on lui ait rendu. Pour la première fois depuis trente
ans, on présente une solution logique et basée sur l'expérience, une
solution qui respecte tous les droits — sauf le droit du sultan, je veux
dire : le droit de meurtre — et l'on arrive à un système complet qui
ferait qu'un gouverneur responsable, désigné par les puissances, installé
en Macédoine, ayant autour de lui un contrôle consulaire, disposant de
toutes les forces et disposant de tout le budget, rendrait à ce pays, avant
quelques années, cette même prospérité, cette même sécurité que le
même régime a données à Samos et au Liban. Car enfin, après le
tableau que je vous ai fait tout à l'heure, de la Turquie tout entière
tournée vers la révolution et la révolte, il faut bien que vous sachiez
que, dans cette même Turquie il est deux ou trois points où la sécurité
et le bonheur existent. Quand, en quittant la côte de Syrie, quand, en
quittant la ville de Beyrouth, où la misère et la dépravation turques
s'étalent à tous les coins de rue, vous avez franchi le petit ruisseau qui
fait la frontière de la province du Liban, vous entrez dans un coin
d'Europe pacifié, prospère, marchant vers la civilisation et la liberté.
Il faut que ces exemples ne soient pas perdus. Il faut donc aujour–
d'hui que vous vous demandiez bien ce que vous voulez faire en Tur–
quie, ce que vous voulez, vous électeurs français, que l'on y fasse.
Pressensé vous le disait tout à l'heure avec raison : c'est de vous, élec–
teurs français, que dépend en ce moment la solution du problème
levantin. Croyez-vous vraiment que le salut de la Turquie ne peut être
obtenu que si, en même temps, vous assignez aux peuples chrétiens un
régime coupable avec leurs intérêts, avec leurs premiers droits, avec le
droit de vivre ? Croyez-vous qu'en maintenant l'état de choses actuel
vous allez tout droit à la révolution, puis à la guerre ?
Si vous admettez ces trois points qui, pour moi sont indiscutables,
vous n'avez pas le droit un seul instant de laisser l'action austro-russe
poursuivre ses effets. On vous mène tout droit à la guerre. Nous voyons
recommencer aujourd'hui ce qui se fit de
1821
à
1826.
A ce moment
déjà, on avait une action austro-russe. A ce moment déjà, jouant au
plus fin, l'Autriche se vantait de rouler la Russie et la Russie se flattait
de mener l'Autriche et, de
1821
à
1826,
on joua la même farce de l'heure
actuelle. Puis, un jour, il suffit d'un boulet de canon, parti d'un navire
d'une des Puissances, pour déchaîner cette bataille de Navarin, dans
laquelle la puissance navale de la Turquie est restée à jamais. Voulez-
vous qu'un autre Navarin fasse disparaître la puissance des Turcs?
Voulez-vous que cette intégrité de l'empire ottoman ne soit dans quel–
ques mois ou dans quelques années qu'une vaine formule ? Continuez
la politique actuelle, mais dites-vous bien que le partage de la Turquie
n'ira pas sans une guerre européenne. Si vous voulez au contraire que
le salut de la Turquie, la paix de l'Europe et les droits de l'humanité
soient sauvegardés, vous devez vous en tenir à cette demande minimum
du cabinet de Londres : demandez un gouverneur responsable devant
l'Europe et un contrôle effectif.
(
Applaudissements.)
Vous me permettrez d'ajouter quelques mots au sujet d'un appel des
Dames bulgares que je voudrais vous lire :
A P P E L
des
Dames présidentes
de toutes les Œuvres
de bienfaisance ou de
charité, de Sofia, aux
Représentants
des peuples
remis aux Agents diplo–
matiques, en Bulgarie, par Mme Karavelof, présidente de la Société de
Bienfaisance : « La Mère », fondée avant
1876,
veuve de l'ancien régent,
président du Conseil, ministre de la Justice, de l'Instruction publique,
des Finances, etc., etc. de Bulgarie.
MONSIEUR,
Touchées jusqu'au plus profond de notre être des souffrances inouïes
des pauvres Macédoniens, nous venons implorer la pitié de l'Europe en
faveur de ce malheureux peuple, voué à l'extermination. Vous connais–
sez les atrocités qui se commettent journellement au-delà de Rilo. La
fureur des Turcs s'est déchaînée sans pitié. Soldats et bachibouzouks y
rivalisent, assouvissant leur rage en des raffinements de cruauté.
De nombreux villages sont incendiés, des milliers d'êtres humains
sont massacrés. Les forêts elles-mêmes, où l'instinct de conservation, fait
chercher un refuge à ces désespérés, sont livrées aux flammes dévasta–
trices. L'œuvre de destruction s'accomplit donc systématique et atroce.
Tel est l'état des choses dans un pays, situé aux portes de l'Europe
et qui expire, faisant un suprême appel à la chrétienté.
Nous, femmes bulgares, uniquement inspirées par des sentiments
d'humanité, quelques-unes cruellement frappées dans nos plus chères
affections, toutes unies par tant de liens aux victimes, prenons pour
tâche de faire passer dans l'âme de l'Europe le long frisson d'horreur et
de pitié dont nos propres âmes sont secouées, et d'une voix unanime,
Fonds A.R.A.M