Le deuxième courant est, comme je le disais tout à l'heure, le cou–
rant diplomatique : il est évident qu'au fond, dans la diplomatie
italienne, il y a un désintéressement pour la question de Macédoine et
d'Arménie, mais je crois que ce n'est pas un sentiment pareil à celui du
courant populaire, c'est un sentiment tout autre : il suffit de dire que
c'est un désintéressement diplomatique. Le gouvernement italien regarde
la question macédonienne peut-être de la même façon que la Russie et
l'Autriche; il est certain que la diplomatie italienne ne voudrait pas
prendre une bouchée de la Macédoine, mais peut-être regarde-t-elle
d'un œil très concupiscent l'Albanie. Voilà, je crois, la vérité.
Je ne sais pas ce qu'il y a de vrai dans ce que disait l'orateur qui
m'a précédé, à savoir que l'Angleterre pense obtenir l'adhésion de
l'Italie à l'occasion d'un mouvement sur lequel notre ami de Pressenssé
vient de parler, mais il est évident qu'il faut tenir compte de ce que la
diplomatie, comme je le disais, a un but : c'est celui concernant
l'Albanie. Il y a les gros propriétaires, les gros commerçants, les gros
industriels qui verraient avec un grand plaisir dans l'Albanie un
débouché très important, et je crois que c'est à cette occasion plutôt
qu'à toute autre qu'ils s'intéressent à la question d'Orient.
C'est pourquoi je pense qu'il faut avant tout se tenir du côté du
courant populaire, c'est celui-là qu'il faut soutenir et dont il faut se
servir, parce que nous avons vu ce -qui s'est produit dans plusieurs
circonstances, et encore tout récemment à propos du rapprochement
franco-italien : il ne faut pas oublier que ce n'est pas à la diplomatie
que nous le devons; la diplomatie a toujours été oisive, contraire à une
politique francophile, c'est au contraire à la démocratie italienne que
nous le devons. C'est pour cela, comme je le disais, qu'il faut ne pas
perdre de vue et développer le mouvement populaire.
A cette occasion, vous me permettrez d'indiquer ici l'opinion d'un
homme qui a une grande popularité en Italie, soit par sa personnalité à
lui, soit par son origine, le fils de Ganbaldi : Ricciotti Garibaldi. 11 suit
avec beaucoup d'intérêt toute cette lutte de l'Arménie et de la Macédoine.
Dernièrement il avait l'occasion d'exprimer son avis sur la solution
selon lui la plus pratique dans l'affaire de Macédoine et je suis heureux
de voir qu'elle est absolument d'accord avec les idées que M . de Pres–
sensé vient d'exprimer ici... A cette occasion, j'avais précisément relevé
pour la lire, l'opinion de M . Ricciotti Garibaldi... Je préviens que je n'ai
aucun mandat à cette occasion.
M. Garibaldi voudrait qu'on suivit le programme suivant :
1"
Un
programme idéal et plus lointain qui comprend toutes les revendi–
cations de la constitution en unité nationale des fédérés des diverses
races balkaniques;
2
°
Un programme pratique et du moment, compor–
tant l'intégrité territoriale de la Turquie, mais en même temps des
réformes non suggérées, comme occasion de troubles, par l'intervention
des Russes et des Autrichiens, mais des réformes imposées par la coali–
tion des nations civilisées.
Garibaldi est même allé jusqu'à déclarer que si la diplomatie italienne
continuait à garder son attitude passive, il serait décidé à aller de ville
en ville, de pays en pays, en Italie, et même le cas échéant, à réunir une
vingtaine de mille hommes pour porter secours à la population de la
Macédoine.
(
Applaudissements.)
M . DE BRANCOVAN, député roumain. — Je n'avais pas l'honneur de
faire partie de votre intéressante association et je tiens à remercier
M. le Président d'avoir bien voulu me permettre de venir aujourd'hui
assister à cette conférence et, si je le jugeais utile, de prendre la
parole.
J'en suis d'autant plus heureux que vous avez pu considérer jusqu'à
présent que le pays que je représente s'était très peu intéressé, et même
avait eu une attitude hostile, au mouvement de libération qui était né
en Macédoine. Je dois avouer qu'en effet, le gouvernement de notre
pays, sans avoir véritablement été contraire à ce mouvement, n'a pas pu
s'associer aux manifestations qui ont pu avoir lieu dans d'autres pays.
H y a à cela des raisons politiques profondes : la Roumanie est un pays
latin entouré de pays slaves.
Ce pays, qui autrefois, et encore à l'heure actuelle, avait au fond de
très grandes sympathies pour toutes les puissances occidentales qui ont
joué un rôle dans sa libération, s'est trouvé amené, par suite de la crainte
qu'il avait de l'expansion de la Russie, à marcher de plus en plus dans
l'orbite de l'Allemagne. Aujourd'hui, la Roumanie, et la Grèce égale–
ment, peuvent avoir la crainte de voir l'intégrité de l'empire ottoman
disparaître.
On a pu croire également en Roumanie que le mouvement qui était
né en Angleterre et en France en faveur de la Macédoine était surtout
favorable aux Bulgares ; ce que la Roumanie craindrait avant tout, et ce
qu'elle craindrait surtout, c'est que ce mouvement bulgare tendît à
aboutir à une désagrégation de l'empire ottoman, la création d'une auto–
nomie macédonienne en faveur de cet élément bulgare. Ceci, ni les
Roumains, ni les Grecs ne peuvent le désirer et le permettre.,C'cst donc
la crainte de voir l'Angleterre et la France soutenir ce mouvement qui a
écarté la Roumanie et la Grèce de plus en plus du mouvement d'huma–
nité qui s'est créé à ce moment et les a forcées à marcher dans l'orbite
de l'Allemagne et de l'Autriche, qui sont les deux puissances qui
peuvent le plus les protéger contre le péril slave.
Je dois indiquer cependant, qu'à beaucoup de points de vue, cette
politique allemande me parait ne pas devoir suffire toujours et se conci–
lier avec les intérêts de la Roumanie et de la Grèce. Je suis né en France,
j'y ai fait mon .éducation et j'ai la plus grande sympathie pour ce pays,
et rien ne me serait plus agréable que de voir les puissances méditerra–
néennes et libérales, la France et l'Italie, revenant à l'attitude tradition–
nelle d'autrefois, s'intéresser de nouveau aux questions d'Orient, ce qui
permettra aux puissances qui, comme la Roumanie et la Grèce, ont
intérêt à maintenir l'intégrité de l'empire ottoman et à empêcher qu'un
déséquilibre ne se crée, de songer à nouveau à la possibilité d'une poli–
tique se conciliant plus qu'actuellement avec la politique française.
Je considère, messieurs, qu'il est avant tout intéressant pour les
grands pays libéraux, comme la France, l'Angleterre et l'Italie, qui ont
pris en main la cause des opprimés de Macédoine, de soutenir un pro–
gramme de réformes, comme le demandait M . de Pressensé, en
s'appuyant sur l'article
23
du traité de Berlin et de le soutenir sans
manifester de sympathie plus grande pour telle ou telle population, dans
l'intérêt de tous les sujets opprimés du Sultan, car les populations
chrétiennes ne sont pas seulement intéressés à ces réformes, les musul–
mans eux-mêmes, encore aveuglés par le fanatisme, souffrent également
de l'administration actuelle du Sultan.
Je m'associe aux paroles exprimées par M . de Pressensé. Je consi–
dère que les puissances méditerranéennes, celles qui n'ont pas d'ambi–
tion d'annexions, comme on peut en soupçonner la Russie e; l'Alle–
magne, doivent tâcher de jouer le premier rôle en Orient en obtenant,
au nom de tous les sujets opprimés du Sultan de la Turquie d'Europe,
l'application de l'article
23
du traité de Berlin, dont on s'est inspiré pour
formuler un programme de réformes à Constantinople en
1880,
en
conformité de cet article et qui représente des réformes très pratiques.
Je crois qu'il serait actuellement très suffisant pour assurer une admi–
nistration honnête et une police sûre, en même temps qu'une justice
égale. De plus, ces réformes pourraient être également étendues à l'Asie
Mineure. Dans ces conditions, je suis tout prêt à faire tous mes efforts
pour créer dans ce sens un mouvement dans mon pays et je crois que
j'y réussirai.
(
Applaudissements).
M . BUXTON.
—
M . Evans a parlé du Comité organisé pour les
secours; j'ajouterai seulement que ce Comité a pu réunir, à l'heure
actuelle, une somme de
100,000
francs. On a envoyé déjà quatre per–
sonnes à Monastir pour organiser des secours.
Je ne suis pas habitué à parler la langue française, ce qui fait que je
me limiterai à quelques mots d'explications touchant le mouvement
macédonien et les travaux du Comité qui s'est formé en Angleterre. Ce
Comité s'est formé avant le commencement de l'insurrection ; il s'occupe
seulement de la Turquie d'Europe.
Dans le Comité se trouvent des personnalités appartenant à tous les
partis politiques : il y a plusieurs évêques bien connus, et quelques-uns
ont voyagé en Turquie. La plupart des organes de la presse anglaise,
même les organes ministériels, le
Times
et le
Spectator
sont sympa–
thiques à la cause des réformes macédoniennes. Les vœux que l'on
forme à chaque meeting tendent à la cessation de l'administration
directe du Sultan et à l'établissement du contrôle officiel européen. Le
Comité, pour l'organisation de conférences publiques, fait appel aux
orateurs qui connaissent bien la question.
Dans plusieurs grandes villes comme Birmingham, Manchester,
Liverpool, il y a tant d'agitation que le maire est obligé de faire le meeting
à l'hôtel de ville. Depuis le mois d'août dernier, on a organisé plus de
deux cents de ces conférences.
Dans les notices que nous distribuons, nous indiquons que l'Angle–
terre, en proposant un programme de réformes, unirait à elle des nations
comme la France et l'Italie. Ainsi donc, l'Angleterre tente un effort,
nous attendons la coopération de la France.
(
Applaudissements).
Fonds A.R.A.M