mais de la France et de l'Italie, pour essayer de reconstituer ce petit syn–
dicat de puissances qui, déjà dans l'affaire de Crète a obtenu des résultats
si excellents.
Nous avons vu dans l'affaire de l'Arménie qu'il ne fallait pas faire
marcher le concert européen tout entier, que lorsqu'il en était ainsi, les
choses ne marchaient pas et que nous n'obtenions aucun résultat, mais,
qu'au contraire, quand nous limitions nos ambitions, quand nous per–
mettions — suivant le mot du comte Bullow — aux violons allemands
de se retirer de l'orchestre, et que nous voulions jouer avec un orchestre
plus réduit, nous obtenions des résultats comme ceux que nous avons
obtenus en Crète.
(
Applaudissements.)
Quant à moi, je suis convaincu que nous ne pouvons pas compter
sur ce qui se prépare du côté russe et du côté autrichien, je suis convaincu
que ce qui s'est passé à Murtzeg n'a pas d'importance pratique;
nous avons vu que des délais nouveaux sont intervenus avant même
que l'on ne soit allé parler au Sultan des très médiocres modifications
apportées au programme de février.
Par conséquent, tant que nous laisserons l'Autriche et la Russie
s'envisager comme le concert unique de l'Europe dans cette question,
nous n'obtiendrons rien. On a bien dit que nous sommes à la veille de
l'hiver, que nous allons avoir une pacification momentanée en Macé–
doine. Pour ma part, je n'en suis pas aussi convaincu que cela. Déjà,
l'an
dernier, nous avons vu que des bandes résolues pouvaient
tenir campagne, même en hiver. D'autre part, nous avons constaté que
c'était précisément au moment où l'insurrection se relâchait dans ses
efforts, que les attentats les plus graves se produisaient, c'est-à-dire cette
prétendue recherche des armes, ces fouilles dans les maisons, toute
cette inquisition qui a fait couler tant de sang pendant les mois de
l'hiver dernier.
.
L'Europe ne peut pas assister une fois de plus sans rien dire et rien
faire à ce spectacle, d'autant plus que nous ne pouvons pas nous dissi–
muler que si la situation persiste, dure, elle s'aggrave et elle empire
chaque jour. Il ne s'agit plus seulement de l'insurrection macédonienne,
nous avons l'éventualité d'un conflit direct de la Turquie et de la Bul–
garie, et c'est au nom de l'intérêt de la paix du Continent et de la paix
du monde que nous avons le droit de demander aux gouvernements
d'intervenir.
(
Vive approbation.)
A l'heure actuelle, nous assistons à deux phénomènes qu'il est bon
de constater : l'un, c'est ce rapprochement, cette détente heureuse qui a
commencé à se faire entre ce qu'on peut appeler les puissances libérales
de l'Occident, et l'autre, l'influence directe que des manifestations d'opi–
nion, comme la campagne de meetings en Angleterre, peuvent exercer
et ont déjà exercée sur l'action gouvernementale.
C'est à ces deux points que nous rattachons la conférence actuelle.
Nous voulons demander à nos amis étrangers, en les questionnant sur
des points pratiques et spécifiques, s'ils pensent qu'il est utile de cons–
tituer une action commune, un Comité central qui préparerait et organi–
serait des manifestations dans les trois pays, s'ils estiment qu'à l'heure
actuelle il y a lieu de s'occuper directement, efficacement, non seule–
ment de la question politique, mais encore de la question purement
humanitaire. Vous savez qu'il y a lieu de venir aux secours des victimes
de ces événements de Macédoine ; vous savez quelle est la misère qui
existe dans les vilayets de Kossovo, d'Andrinople et même de Salonique;
il y a lieu de s'occuper de cette question et de savoir si nous voulons
d'ores et déjà, avec le caractère politique qu'elle comporte, un caractère
pratique, efficace, de charité et de soulagement et, enfin, il est bon que
nous nous entendions pour proclamer devant le continent et devant le
monde et la diplomatie que ce que nous demandons, c'est au fond très
peu de chose, que nous nous contentons, je dirai, à très bon marché.
Nous ne demandons pas un programme de réformes bien étendu ; nous
nous bornons purement et simplement à deux points sur lesquels nous
ne pouvons pas transiger : nomination d'un gouverneur autonome,
garanti par l'Europe, avec contrôle efficace et spécial, non pas seulement
des deux puissances mandataires, mais de toutes les puissances euro–
péennes. C'est sur ce terrain que nous nous plaçons. Nous avons le droit
de dire que nous sommes des conservateurs au premier chef, puisque
nous nous plaçons sur le terrain de l'intégrité de l'Empire ottoman. On
a prétendu que nous voulions favoriser je ne sais quelle politique bulga-
rophile, que notre effort tendrait à tirer la prépondérance d'une natio–
nalité sur l'autre. Ce n'est pas exact. Nous pensons que l'élément
bulgare est en majorité en Macédoine, mais en même temps nous
sommes résolus, non pas à lui assurer la suprématie, mais à lui donner
des garanties élémentaires de vie, comme au reste de la population.
C'est sur ce terrain, je le répète, que nous nous plaçons, que nous
voulons poser des questions aux représentants de l'Angleterre et d'autres
pays. Nous essaierons de nous mettre d'accord sur ces divers points
avant de faire la manifestation de cet après-midi, qui aura une impor–
tance morale considérable. Déjà, au mois de février dernier, nous avons
commencé la campagne qui s'est poursuivie au Parlement, par cette
réunion du Château-d'Eau, à laquelle on faisait allusion ; elle a eu un
effet considérable parce qu'elle avait réuni des représentants des divers
partis, même les plus opposés, et aujourd'hui c'est quelque chose de
plus encore, puisque ce sera une réunion internationale. J'espère qu'enfin
il en sortira des résultats pratiques.
(
Vifs
applaudissements.)
M . E V A N S .
Il y a en ce moment en Angleterre une agitation qui se
produit avec un double but : il n'y a pas seulement la question politique
en jeu, il y a aussi la question humanitaire, c'est-à-dire qu'on veut
sauver la vie des Bulgares de Macédoine, assurer un bon gouvernement
de la province pour l'avenir.
Nous avons eu, comme le disait mon collègue tout à l'heure, un
grand nombre de réunions sous les auspices du Comité central balkani–
que; on a organisé plus de
200
meetings, où il a été pris des résolutions
en faveur de la question politique et aussj en fa'veur du Comité de
secours. Car il y a aussi un Comité central de secours qui a recueilli des
sommes assez considérables pour les réfugiés, les, villageois qui se trou–
vent dans4es montagnes de la Macédoine.
11
me semble que c'est peut-être la question principale que de sauver
la vie d'environ
60.000
personnes qui se sont réfugiées dans les monta–
gnes, et qui habitaient des villages qui ont été incendiés par les Turcs.
Eh bien, nous demandons en premier lieu, pour moment de la part
de notre gouvernement la protection efficace des missions de secours
qu'on a déjà envoyées d'Angleterre.
Vous savez qu'il y a deux calculs de la part du Sultan : le premier
calcul est de massacrer dans une certaine mesure les habitants de Macé–
doine, le second calcul, c'est qu'en brûlant les villages, en ravageant les
plaines et en obligeant les villageois à rester dans les montagnes pen–
dant l'hiver, on détruirait beaucoup plus de milliers de personnes qu'en
massacrant directement les hommes. Eh bien, nous n'avons pas seule–
ment un but de haute politique, nous avons aussi un but immédiat de
porter secours à ces personnes.
Au sujet de l'autre but — le but politique —- M . de Pressensé en a
déjà
parlé
:
nous prétendons que ce n'est pas peut-être une question de
forme spéciale de gouvernement de Macédoine; on peut avoir un gou–
verneur turc, avec des assesseurs, je ne sais pas au juste, mais ce qu'il
faut assurer, c'est que les fils entre la Macédoine et le palais de Constan-
tinoples soient coupés : c'est une politique de fils coupés qu'il faut
organiser...
(
Rires.)
C'est ce que nous désirons, et j'ai des raisons de croire que le gou–
vernement anglais est parfaitement de cet avis; seulement, il cherche
appui; je ne sais pas, peut-être a-t-il appui jusqu'à un certain point du
côté de l'Italie, mais j'ai des raisons de croire que l'action du gouverne–
ment anglais, quoique efficace dans une certaine mesure, n'a pas été
appuyée d'une manière très prononcée du côté de la France.
(
Rires et
applaudissements.)
M . MAZZINI.
J'habite Paris depuis de longues années, je ne suis au
courant de ce qui se passe en Italie que par les journaux. Cependant,
j'essaierai de vous dire quelques mots sur les idées de la démocratie
italienne, qui est celle qui s'occupe plus que tout autre parti de
l'affranchissement de l'Arménie et de la Macédoine.
Il y a en Italie aussi deux courants : le courant que j'appellerai popu–
laire et le courant que j'appellerai diplomatique. Le courant populaire
a, si je puis dire, une origine de générosité atavique; l'Italie est issue
d'une révolution, elle a du, elle aussi, abattre des tyrannies pour
devenir une et libre, le peuple italien se souvient de ce qu'il a subi et il
souffre des souffrances des peuples qui sont sous des tyrannies, ainsi
que l'Arménie et la Macédoine.
Notre ami Quillard a pu se rendre compte de cette vérité, lorsqu'il a
été en Italie et qu'il a vu comment le peuple de Milan et le peuple de
Rome se sont associés à la propagande et sont venus assister aux
meetings organisés, notamment par Théodore Moneta, que nous
regrettons de ne pas voir ici; il serait parmi nous si un deuil récent ne
l'en avait pas empêché.
Fonds A.R.A.M