les soldats qui en gardaient l'entrée se retirèrent
en tremblant; une délégation composée de dix
personnes y compris l'aratchnorte, entrèrent au
couvent. L'entrevue avec le vénérable catholi–
cos fut impressionnante et calma les esprits. A
7
heures, les manifestants retournèrent avec le
même triomphe; l'impression était encoura–
geante.
Mais ni la force formidable de l'ennemi et ni
les coups de fusil ne peuvent épouvanter le
cœur blessé et les sentiments déshonorés de
l'Arménien ; et il résistera avec toute sa force.
Et vous, frères arméniens, unissez-vous tous,
et opposons une résistance énergique aux récla–
mations effrontées et injustes de l'ennemi.
Voici quelques autres incidents qui n'ont pas
été mentionnés, ci-dessus, mais qui ont été
confirmés maintenant :
Les paysans des villages d'Achdarag, Ocha-
ghan, Ikdir, etc., mis au courant de la mani–
festation d'Erivan, se portèrent en hâte au se–
cours, tous armés. Dans la lutte près de Va-
gharshabad, le gouverneur en chef a été blessé
sérieusement à la tète; l'adjoint du gouverneur
en chef a été roué de coups et blessé; on a été
obligé de le transporter chez lui en voiture. La
nouvelle est arrivée à Alexandropol que les co–
saques auraient cerné Etchmiadzin. Un groupe
important s'est formé parmi la population pour
se porter au secours du lieu sacré.
A la gare du chemin de fer, la police l'arrête
et l'empêche d'y entrer.
Alors les portières des wagons sont brisées
par le groupe qui prend la résolution d'aller à
Etchmiadzin, à pied, via Apodan.
La situation est très critique dans les pro–
vinces; le peuple cherche l'occasion pour Se
servir des armes; des rencontres sérieuses peu–
vent avoir lieu. Déjà à Massdara, 'l'adjoint du
gouverneur a été roué de coups avec ses huit
agents et a été chassé du village.
L E T T R E
D ' A L E X A N D R O P O L
Le
28
juillet, le catholicos, de retour de son
voyage à Sévan-Haghartzin, descendit la nuit à
«
l'aratchnortaran » pour s'y reposer, afin de
pouvoir continuer le lendemain matin son
chemin ve
r
s Etchmiadzin. Deux vartabeds
étaient venus à sa rencontre d'Etchmiadzin.
L'arrivée du catholicos à Alexandropol avait
jeté l'émoi parmi la communauté de la ville.
Le soir même un groupe important de jeunes
gens était parti à la gare à la rencontre du
catholicos.
La dernière décision du gouvernement russe,
au sujet de la confiscation des biens de l'Eglise
a causé une vive excitation dans toutes les
classes de la population arménienne. C'est ce qui
explique la manifestation violente et en même
temps ordonnée qui eut lieu le lendemain. Les
cloches de toutes les égiises de la ville commen–
cèrent à sonner. A
10
heures du matin, presque
toutes les boutiques étaient fermées. Environ
5.
ooo personnes, jeunes gens et femmes, réunis
devant la porte de l'aratchnortaran, attendaient
la sortie du catholicos pour pouvoir lui trans–
mettre leur juste protestation.
Une délégation fut chargée de communi–
quer cette protestation. Le catholicos, après
avoir entendu les délégués du peuple, promit
de ne signer aucun papier, de ne rien abandon–
ner et de protester contre l'arrangement du
gouvernement. Peu après, le catholicos envi–
ronné de sa suite, se dirigea vers la gare. A ce
moment, un émoi extraordinaire s'empara de
la population, tout le monde criait d'une voix
unanime : « Proteste, saint père, refuse les
biens, nous sommes avec toi. » Une foule
immense entourait la voiture du catholicos et
le suivit jusqu'à la gare tout en criant : « Pro–
teste, refuse ! » Ces cris faisaient une vive
impression. La police, silencieuse, suivait le
peuple. L'émotion allait en grandissant et s'é–
tendait partout ; des pierres furent lancées sur
les gendarmes. De petits incidents eurent lieu.
L'adjoint du gouverneur voulant.hâter la mar–
che de la voiture du catholicos, tenta d'entrer
dans la voiture, mais le peuple se jeta sur lui,
le sortit de la voiture en criant que « les sacri–
lèges comme lui ne peuvent pas prendre place
près du catholicos ».
LA PROTESTATION DES É V ÊQU E S
ARMÉNI ENS D E TURQU I E
Les journaux arrivés de l'étranger d"abord, et
ensuite les informations officielles reçues au
Patriarcat arménien ont fait connaître à Cons–
tantinople le contenu du nouveau règlement et
des dispositions ministérielles, sanctionnées par
le Gouvernement impérial de Russie pour retirer
des mains de Sa Sainteté le Catholicos et du
Saint Synode d'Etchmiadzine, ainsi que des
autorités ecclésiastiques arméniennes qui se
trouvent en Russie, le droit d'administrer les
biens immeubles de toutes espèces appartenant
au Siège catholicossal, aux églises, aux évèchés,
aux monastères, aux séminaires, aux écoles, en
un mot à toutes les fondations religieuses,
pieuses et scolaires de l'Eglise arménienne, dite
Grégorienne. Ces dispositions remettent entiè–
rement entre les mains de l'autorité gouverne–
mentale de Russie l'administration de toutes les
propriétés
ecclésiastiques
arméniennes, en
abandonnant au bon plaisir et au gré des minis–
tères de l'intérieur, de l'instruction et des do–
maines le soin d'en employer les revenus comme
ils l'entendent.
La nouvelle de ces mesures a répandu au
sein de la communauté arménienne de Cons–
tantinople un immense chagrin, qui augmente
toujours et s'étend à fur et à mesure que la
triste nouvelle arrive dans les provinces . et
devient ie sujet des lettres pleines de douleur,
qui arrivent des diocèses au Patriarcat arménien.
Et, en effet,"personne ne peut ignorer les
droits primordiaux de toutes les églises -en
général et de l'arménienne en particulier, de
posséder et d'administrer les terres, biens et
revenus qui lui appartiennent
ab antiquo
et
presque
ab immemorabili,
par suite des dona–
tions volontaires et d'offrandes pieuses; droits
exercés et conservés depuis les premiers temps
de l'Église jusqu'à nos jours, même sous le
régime arbitraire des persécutions ; droits con–
sistant dans le pouvoir d'administrer ces pro–
priétés suivant les intentions des donateurs ;
droits enfin consacrés par les canons de l'Eglise
et reconnus et confirmés en faveur de ladite
Église par les Empereurs de toutes les Russies
qui ont édicté et sanctionné sa constitution
légale, proclamé et protégé toutes ses préroga–
tives et admis sa faculté d'administration entière
et complète.
La loi fondamentale (Pologénia), octroyée en
l'an
1
836
par le grand empereur Nicolas I",
d'immortelle mémoire, établit clairement dans
son article IX que « les Églises des Arméniens
Grégoriens en Russie ont le droit de posséder
leurs biens immobiliers », et dans l'article X X X V
la même loi dispose que c'est au Synode armé–
nien grégorien qu'appartient « la suprême ad–
ministration des biens des Églises arméniennes
grégoriennes ».
Or, il est difficile de concevoir comment les
droits acquis de tout temps et consacrés si
solennellement par une loi fondamentale et une
reconnaissance formelle de l'Empire peuvent
être annulés d'une façon aussi imprévue et
sommaire. Le retrait à un corps constitué du
droit d'administrer ses biens équivaudrait ma–
nifestement à la négation du droit constitutif
de son existence, et l'Eglise arménienne cesse–
rait, dans ces conditions, d'être un corps légal,
ayant la jouissance des droits essentiellement
inhérents à tout corps régulièrement constitué
et solennellement reconnu.
On a bien noté dans le nouveau règlement le
paragraphe, où l'on indique incidemment en
faveur de l'Eglise arménienne le maintien du
droit de propriété. Mais une phrase pareille,
quand elle est accompagnée de la privation en–
tière et perpétuelle du droit de disposer de ses
biens, de la suppression intégrale et perpétuelle
du droit de les administrer, de son exclusion
sans condition de l'usage de ses revenus, et de
l'introduction définitive d'éléments étrangers à
cette même Église, soit pour administrer ses
biens sans son concours, soit pour disposer de
ses revenus sans son contrôle, on peut en dé–
duire logiquement que ladite phrase n'est qu'une
expression sans portée, n'ayant aucune signifi–
cation et aucun effet pratique; et que la' priva–
tion du droit d'administration emporte comme
conséquence fatale la quasi-cessation de la re–
connaissance officielle de l'Eglise arménienne
grégorienne en Russie, et c'est là ce qui rend
absolument perplexe les cœurs de tous les en–
fants et de tous les ministres de cette même
Église.
On'sait bien qu'en présence de certaines cir–
constances, l'autorité compétente se trouve en
droit de confier l'administration de quelques
propriétés à des personnes différentes de celles
au nom desquelles elles sont inscrites. Il s'agit
de cas de tutelles et d'institution de tuteurs.
Mais les tutelles sont essentiellement liées à des
circonstances passagères et ne sont jamais per–
pétuelles. Une tutelle perpétuelle ne serait que
la privation pure et simple du droit de posses–
sion et la suppression effective du droit de pro–
priété.Telles sontles considérations qui motivent
la peine profonde et l'émotion éprouvée . par
tous les Arméniens indistinctement. Car il ne
s'agit pas de quelques biens de propriété spé–
ciale et. locale appartenant exclusivement aux
Arméniens sujets de l'Empire russe et habitant
la Russie. Les propriétés du siège suprême et
catholicossal sont celles de toute l'Eglise et de
tous ses membres. C'est un fait connu et uni–
versellement reconnu que les biens d'Etchmiad–
zine et de ses dépendances proviennent, pour ia
plus grande partie, des temps reculés et ont été
affectés à l'Église par les autorités et les actes de
piété des siècles passés, et qu'une autre partie a
été léguée, offerte et donnée par les Arméniens
de Turquie, de Perse et des Indes. La chose se^
Fonds A.R.A.M