TIFLIS
Tiflis,
16
septembre.
L a remise des biens de l'Église arménienne à
la couronne a commencé hier.
On rapporte les détails complémentaires sui–
vants sur les troubles arméniens qui se sont
produits le
12
septembre :
«
Ces troubles commencèrent après que les
prêtres arméniens eurent célébré dans la cathé–
drale, devant une assistance d'environ
2.000
per–
sonnes, une messe funéraire pour les six Armé–
niens tués au cours des troubles de Jélissavetpol.
Le prêtre Der Aratof prononça l'anathème en
raison de la confiscation des biens de l'Église,
puis distribua des proclamations révolution–
naires.
«
La foule là-dessus fit du tumulte; plus de
400
coups de revolver furent tirés de ses rangs.
La police tira en l'air. Malgré cela, quelques
personnes furent "blessées, un ouvrier reçut
même une blessure mortelle.
«
La police a arrêté quatre des instigateurs
du mouvement, parmi lesquels le prêtre çi-des-
sus mentionné. »
BAKOU
Rerlin,
16
septembre.
On mande de Bakou, i5 septembre ;
«
Des troubles ont eu lieu à Bakou, au sujet
de la remise à l'État des biens de l'Eglise armé–
nienne. La troupe a été requise pour réprimer
ces troubles. Elle a tiré sur les Arméniens, qui,
armés de revolvers et de pierres, s'étaient assem–
blés dans le cimetière, situé près de la cathé–
drale arménienne, et dans les rues avoisinantes.
Vingt des manifestants ont été blessés. Trois
•
d'entre eux sont morts. Un matelot a été tué. »
KARS
Saint-Pétersbourg,
22
septembre.
D'après les derniers détails la prise de posses–
sion par l'administration gouvernementale des
biens des églises arméniennes de Sourp-Nichan
et de la Sainte-Vierge, à Kars, a donné lieu à
des scènes très tumultueuses de la part de la
population arménienne, qui s'était rassemblée
en masse autour de ces deux églises, ainsi que
sur les toits et dans l'intérieur des maisons voi–
sines, d'où l'on tirait des coups de revolver et
lançait des pierres contre les agents de la police
et les cosaques, accourus sur les lieux au nom–
bre de deux sotnias.
La police y a d'abord répondu" par des coups
de feu isolés, puis a fait évacuer, avec l'aide des
cosaques, la place et les maisons d'alentour;
mais l'ordre n'a été définitivement rétabli que
par l'arrivée d'un détachement d'infanterie, en–
voyé de la forteresse.
Il y a eu dans la bagarre un blessé et plu–
sieurs contusionnés du côté de la police, un tué
et deux blessés du côté des Arméniens, dont
soixante-dix-sept ont été arrêtés et parmi eux
deux prêtres, après quoi seulement il est devenu
possible de procéder au séquestre des avoirs
des deux églises précitées.
CHOUCHA
Tiflis,
28
septembre.
Le journal
Caucase
publie la dépèche sui–
vante, datée de Choucha,
25
septembre :
«
A l'occasion de la remise à la Couronne
des biens de l'Eglise arménienne, une foule
composée d'Arméniens, a essayé d'interrompre
l'opération.
«
Lorsque la remise eut été effectuée, la foule,
très surexcitée, se porta devant la maison du
gouverneur.
«
La police et les cosaques s'efforcèrent de
contenir la foule. Mais ils furent accueillis par
une grêle de pierres, et des coups de revolver
partirent, tant du milieu de la foule que des
toits et des balcons des maisons avoisinantes.
«
Les cosaques ont fait feu, et la foule s'est
alors dispersée.
«
Deux cosaques sont blessés et un manifes–
tant a été tué.
«
On n'a pu établir le nombre des Arméniens
blessés, la nuit étant survenue.
LETTRE S
D'ERIVAN & D ' ALEXANDROPOL .
•
L A M A N I F E S T A T I O N D U 3 A O U T A E R I V A N
3
septembre igo3.
L'ordre impérial pour la confiscation des
biens de l'église arménienne ainsi que le projet
et les bravades de Galitzine ont rencontré une
vive résistance. L'Arménien russe n'était pas
mort moralement et spirituellement au point
de tolérer, silencieux et indifférent, toutes
sortes de blessures nationales. Les persécutions
entreprises par Galitzine depuis des années
contre l'élément arménien ont tellement rempli
le calice d'amertume, que cette dernière tenta–
tive effrontée d'empiétement de cet homme
insensé et imprévoyant a secoué la population
arménienne, l'obligeant à la résistance, à décla–
rer la lutte et à la fin à recourir aux armes pour
défendre les droits violés. C'est dans ce sens
qu'une manifestation fut organisée à Erivan, le
3
août, dans cet Erivan, qui était considéré
comme mort, et le fait d'en attendre quelque
chose n'excitait que le rire. Pourtant cette ville
s'agita et fortement.
Ce jour-là dans l'église Sourpe Loussavoritch,
nouvellement construite au centre de la ville,
avait lieu le
requiem
à cause de la mort de
l'évêque Melkissédek-Mouradian ; l'aratchnorte
archevêque Sonkiass devait y assister. Après un
court chuchotement, une foule immense rem–
plissait l'église. Une fois la cérémonie achevée,
quand l'aratchnorte sorti de la porte du Nord
voulait s'éloigner, la foule l'arrêta, exigeant de
lui d'aljer immédiatement à Etchmiadzin pour
y porter la protestation vive du peuple au catho–
licos et à la congrégation. L'aratchnorte s'y
refusa en argumentant qu'il a déjà été une fois
à Etchmiadzin. Les cris de la foule : « Allez-y
de nouveau, nous l'exigeons, » remplissaient
l'air. L'obstination de l'aratchnorte donna lieu
à des protestations et celui-ci se vit obligé de se
retirer à l'église jusqu'à ce que la police en fut
prévenue.
En ce moment s'ouvrit la porte défendue par
un groupe d'hommes et l'aratchnorte, au milieu
des cris et de l'émotion générale, s'approchant
de la voiture où il était invité, v monta, et sur
un signal, un groupe d'hommes passa devant et
tenant par les brides des chevaux commença à
se diriger lentement vers la principale rue
Assdafian, ne prenant point en considération
les paroles de l'adjoint du gouverneur en chef
qui demandait de laisser la voiture passer libre–
ment. Une foule d'environ 3.ooo personnes |
remplissait la rue, criant sans cesse : « Tout le
monde, tout le monde à Etchmiadzin ! »
La foule, après avoir traversé la rue Assda–
fian, se dirigea vers la place de Politzia, et
ensuite toujours avec les mêrnes cris et mani–
festations marcha vers la rue où se trouve la
maison du gouverneur en chef. A u début, la
police stupéfaite parut fort embarrassée. Le
même jour, le gouverneur en chef était rentré
de villégiature et se trouvait chez lui avec le
chef de la police. Celui-ci, tout pâle, sortit
aussitôt et tenta d'arrêter le courant de la foule ;
il échangea quelques paroles avec l'aratchnorte
qui était assis dans la voiture autour de laquelle
la foule se pressait ; on ne lui laissa pas le
temps d'achever sa conversation ; les efforts du
chef de police furent vains ; toute la foule se
défendit avec impétuosité, des cannes volèrent
et l'une vint toucher le bras du chef de la
police ; la foule se remit en marche, entraînant
avec elle la voiture de l'aratchnorte.
Après avoir passé en triomphe devant la mai–
son du gouverneur en chef et devant la clôture
de l'église russe nouvellement construite, et
après avoir traversé le passage qui se trouve au
milieu de la grande vigne, ainsi que la grande
place de la ville, l'a foule se dirigea vers « l'arat-
chnortaran »; mais avant d'arriver à « l'aratch-
nortaran », le csurant prit la direction du pont
de Hirazdon avec les mêmes cris et les mêmes
manifestation. Les agents de police qui sui–
vaient, déjà épouvantés, semblaient avoir oublié
qu'ils étaient des agents de police.
La foule, composée de milliers de personnes,
arriva au pont et prit le chemin situé parmi les
vignes et qui conduit à Etchmiadzin. Le chef
de la police retourna en ville, en prévint le gou–
verneur en chef qui, à son tour, courut en per–
sonne au bureau des télégraphes et donna des
instructions à la police d'Etchmiazin. Le chef
de police envoya en hâte un groupe de gardiens
à Etchmiadzin, et, après eux, furent envoyés
également deux batai'lons de soldats. Bien que
quelques personnes se fussent séparées en ville
de la foule qui allait vers Etchmiadzin, elle se
trouva, néanmoins, grossie en chemin par toutes
les personnes rencontrées. Le chef de la police
arrivant avec des agents fit des efforts inutiles
pour arrêter les manifestants; des pierres furent
lancées de tous côtés.
La foule, qui était partie d'Erivan à midi,
arriva au village de Parakar à
2
heures. Environ
i5
voitures suivaient la foule; les agents de po–
lice marchaient comme des manifestants. Ainsi
la procession s'approchait des environs d'Etch-
miadzin, quand le chemin se trouva barré par
un bataillon de soldats et
5
o
à
60
agents. Le
nombre des soldats arrivés de Vagharshabad
réunis à ceux d'Erivan montait au chiffre de
25
o;
la défense était sérieuse et la résistance forte; la
procession s'agita, la foule se lança avec impé–
tuosité, les épées brillèrent, les soldats tirèrent
en l'air, des coups de revolver furent tirés par la
foule, des pierres volèrent de toutes parts, la
procession se sépara en deux et plusieurs sol–
dats et manifestants furent blessés à la tête.
Plusieurs tentatives furent faites pour s'unir,
mais en vain; pendant plus de cinq heures, la
foule composée de milliers de personnes, tou–
jours avec les mêmes cris et protestations entra
à Vagharshabad, saluée chaleureusement par
le peuple. L a foule remplit la cour du couvent;
Fonds A.R.A.M