LA QUINZAINE
Légitime défense.
A u Co n g r è s de la P a i x q u i vient de
se tenir à Ro u e n , une grave discussion
fut engagée, touchant le droit de légi–
time défense pour les peuples. A mo i n s
d'admettre le principe tolstoïen de la non
résistance au m a l , les homme s à qu i ré–
pugne le plus l'emploi de la violence se
voient forcés d'admettre que la servitude et
l'oppression sont des ma u x pires encore
que la guerre, et que la résistance à la
tyrannie est légitime.
N u l peuple, plus que le peuple a r m é n i e n ,
écrasé par la tyrannie hami d i enne et par la
tyrannie tzarienne n'a le droit de se d é –
fendre contre ses oppresseurs.
E n Tu r q u i e , autant q u ' i l est permis d'en
juger par les correspondances r e ç u e s (car
les rapports envoyés des provinces, soit aux
ambassadeurs e u r o p é e n s , soit au patriar–
chat de K o u m - K a p o u , sont f r é q u e mm e n t
interceptés), le sultan n'a pas r e n o n c é à d é –
truire les Sassouniotes.
D ' a p r è s u n rapport du
18
a oû t , expédié
de Bitlis, des gendarmes et
2
compagnies
de soldats, avec mun i t i on s et vivres ont été
envoyés au Sassoun pour poursuivre « les
bandes r é v o l u t i o n n a i r e s ». Dans la ville
m ê m e , la panique r è g n e ; les boutiques du
bazar sont constamment fermées et selon
la formule : « on s'attend d ' un mome n t à
l'autre à l'explosion de
l'événement. » L'évé–
nement,
cela veut dire la catastrophe der–
nière, regorgement final mé d i t é dès long–
temps par le Ma î t r e .
E n m ê m e temps que les mouvements
militaires donnent des a p p r é h e n s i o n s très
naturelles à ceux qu i connaissent les inten–
tions hamidiennes, la tradition des grands
procès est reprise. Av a n t les tueries de
1894-
1896,
H a m i d fit établir par ses magistrats,
selon les mé t h o d e s ordinaires en ses pri–
sons et tribunaux, que les A r m é n i e n s cons-.
piraient contre la sécurité de l ' Emp i r e et,
sur de faux t émo i g n a g e s , de nomb r e ux
accusés furent jugés et c o n d a m n é s à An g o r a
et à Yozgat.
Maintenant, c'est à Kha r pou t que travail–
lent les juges. Nous avons dit commen t
quelques A r m é n i e n s suspects d ' ém i g r a t i o n
clandestine avaient été t r a n s f o rmé s par le
K a i m a k a m , le h a k im (juge religieux), le
commissaire de police et le chef comptable
de la ville, en dangereux conspirateurs,
ma l g r é l'opposition du vali Réouf-bey, fonc–
tionnaire h o n n ê t e et courageux qu i fut ré–
v o q u é . L a d é c o u v e r t e de quatre v i eux fusils
permit d'arrêter outre H . Semerdjian et
T é n é k e d j i a n , une soixantaine d ' A r m é n i e n s .
Trente-six ont été g a r d é s à la disposition de
la justice. Les seules preuves q u ' i l y ait
contre eux sont des aveux a r r a c h é s à torce
de tortures : les i n c u l p é s ont d e m a n d é à
faire constater par des médecins, les traces
des tortures subies; la"visite mé d i c a l e ne
leur a été accordée queeinquante jours plus
tard, qu a nd lès cicatrices avaient disparu.
L ' é n o r m e dossier du procès a été e x a m i n é
én trois heures par le substitut; les débats
ne seront pas plus longs et selon toute
apparence les trente-six accusés p a rmi les–
quels se trouvent des enfants de seize à dix-
huit ans seront c o n d a m n é s à mort. Les
consuls d'Angleterre et d ' Am é r i q u e ont
constaté les irrégularités commises : le seul
espoir de salut pour les accusés réside dans
une intervention é t r a n g è r e analogue à celle
qui sauva autrefois le P
r
T h o u m a y a n .
E n Russie, la spoliation des biens de la
nation a r m é n i e n n e se poursuit impitoya–
blement; mais partout aussi la résistance
s'organise, inégale et désastreuse pour les
plus faibles; et lorsque certains des prota–
gonistes de la russification, c omme l'archi-
prêtre Vassilieff, le vice-gouverneur d ' E l i -
zabetpol ou le prince Galitzine l u i - m ê m e
sont, par représailles, frappés ou me n a c é s ,
d ' i n f âme s journaux, tels que le
Novoyé-
Vremia,
osent parler de la « Maffia » a r m é –
nienne et glorifient les meurtres accomplis
par mesure administrative, la ruée des co–
saques à travers les foules d é s a r mé e s , la
fusillade couchant sur le pavé des rues
sanglantes les femmes et les enfants. Les
maîtres seuls ont toute licence de tuer et
c'est u n crime, prétendent-ils, que de se d é –
fendre contre regorgement.
Cependant, i l paraît bien q u ' a p r è s p l u –
sieurs a n n é e s de r é s i g n a t i o n et de stupeur,
l e s , A r mé n i e n s sont las de vivre « d a n s le
perpétuel cauchemar d'une h é c a t omb e . »
Na g u è r e , M . Delcassé, de q u i nous rappe–
lons les propres paroles, comprenait qu'ils
voulussent é c h a p p e r coûte que coûte à cette
tragique obcession. Mo u r i r pour mou r i r , i l
est naturel qu'ils préfèrent n'être pas égor–
gés c omme des moutons,et qu'ils imitent
l'exemple des Ma c é d o n i e n s , d û t l'hypocri–
sie des diplomates e u r o p é e n s , incapables de
faire exécuter le traité de Berlin., b l âme r
leur juste révolte.
Déjà l'affaire d ' A r t w i n a permis aux
j ou r naux à la solde de H a m i d de s'inquiéter
de l'agitation a r m é n i e n n e , Un e bande de
quarante-deux personnes c o mm a n d é e par
l ' é t u d i a n t Ab r am i a n , ancien élève d u
Po–
lytechnicien
de Stuttgart,- aurait été arrêtée
entre Ba t oum et la frontière turque par le
gouverneur d u district d ' E r w i n : le drapeau
portant l'inscription : « L a liberté ou la
mort » aurait été pris par l u i ainsi que
3
o
fusils,
6.000
cartouches,
8
bombes et
i5 livres de dynamite.
L a nouvelle a été p r o p a g é e surtout par la
presse hostile aux A r m é n i e n s , mais elle est
grandement vraisemblable et si elle est
exacte, si des faits pareils se reprodui–
sent, si en Asie ou en Europe les A r m é –
niens rappellent leurs droits a ux puissances
signataires du traité de Berlin autrement
que par d'humbles requêtes et par des s o l l i –
citations inutiles, ceux q u i s p é c u l è r e n t sur
leur patience illimitée ne pourront nier
qu'ils scient dans u n cas de légitime défense
et ne devront pas s ' é t o n n e r q u ' a b a n d o n n é s
par leurs protecteurs désignés, s o mm é s en
vain d'intervenir, ils se d é c i d e n t désespéré–
ment à se faire justice e u x - même s .
Pierre Q U I L L A R D .
L A R U S S I F I C A T I O N
A i l
C A U C A S E
L a situation s'aggrave de jour en jour,
au Caucase : dans toutes les villes où
l ' é l émen t a r mé n i e n est nombreux, la
spoliation administrative des biens ap–
partenant à l'ensemble de la nation
a r mé n i e n n e , donne lieu à des rencon–
tres sanglantes entre les A r mé n i e n s ,
l ' a rmé e et la police russe; les cosaques
font merveille l à , ainsi qu'ailleurs
contre les Géo r g i en s , les F i n l anda i s et
les Juifs. Nous donnons, d ' ap r è s les
d é p ê c h e s des agences, un a p e r ç u som–
maire des derniers é v é n eme n t s ainsi
que des 'correspondances détaillées sur
les premiers troubles et l a traduction
i n t ég r a l e de l a protestation des évêque s
a r mé n i e n s de Tu r q u i e , dont l a partie
juridique a été rédigée par un légiste de
premier ordre.
Nous donnons é g a l eme n t le texte des
r é s o l u t i on s prises par les A r mé n i e n s
d'Alexandrie.
j É L Ï Z A V E T O P O L
D'après une information d u
Kavkas,
de T i –
flis,
environ u n millier d'Arméniens se sont
réunis le 3 i août, n o n loin de Jélizavetopol,
près de l'église arménienne, pour protester
contre la remise à l'administration de l'État des
biens des Églises arméno-grégoriennes, or–
donnée par u n oukase d u 25 ma i et pour préco–
niser u n mo u v eme n t de résistance ouverte contre
l'exécution de cette l o i .
L a police invita les manifestants à se disper–
ser. Ses avis avant été vains et la foule ayant
jeté des pierres contre les agents, ceux-ci se
replièrent sur le centre de la ville, et" la troupe
fut appelée.
A
leur tour", les officiers prièrent la
foule de se disperser. Celle-ci leur répondit par
une grêle de pierres et des coups de revolver.
Quelques agents de police et u n soldat furent
blessés. L a troupe fit alors usage de ses armes.
Il y eut malheureusement 27 tués et u n grand
nombre de blessés.
D ' a p r è s nos informations particulières-
le nombre des morts est de
4 0 .
Fonds A.R.A.M