patriarche Orman i an a a ppo r t é ses
félicitations au pied du t r ô n e où siège,
souillée de sang, l'ombre de Di eu .
Il entendit d'abord le Patriarche
œ c u m é n i q u e t émo i g n e r son horreur
envers les i n s u r g é s ma c é d o n i e n s . Pu i s
l'Assassin osa parler à son tour. Les
agences e u r o p é e n n e s ont pris grand
soin de propager son édifiant discours;
S. M . I. déclara qu'elle voulait le bien
de tous ses sujets sans distinction de
race n i de religion et qu'elle était con–
vaincue que les faits regrettables aux–
quels le patriarche œ c u m é n i q u e avait
fait allusion étaient d û s à l'excitation
é t r a ng è r e et elle prit Dieu à t émo i n
qu'elle disait v r a i . E l l e regretta m ê m e ,
s'adressant au patriarche grec que quel–
ques soldats eussent commi s des v i o –
lences contrairement à ses désirs et à
ses ordres et elle daigna faire c o n n a î t r e
au patriarche Orma n i a n que ses paro–
les s'appliquaient aussi à la nation
a r mé n i e n n e .
Les A r mé n i e n s ont acquis au prix
du sang de trois cent mi l l e des leurs
l'expérience de ce que valent les pa–
roles et les promesses de la Bête. Ils
furent au temps de ses p r édé c e s s eu r s
«
la nation f i d è l e » ; mais ils sont dès
longtemps déliés de leur serment.
Au j ou r d ' hu i , de g r é ou de force,
ap r è s que beaucoup de sang aura été
versé inutilement, les Puissances euro–
p é e nn e s devront intervenir pour met–
tre un terme aux massacres s y s t éma t i –
ques : leurs nationaux m ê m e s ne sont
plus en sûreté. Reprenant son vieux
rêve de panislamisme, Ham i d excite
en Perse les p r ê t r e s de l'hérésie chyite
à s'unir avec l u i , chef des sunnis con –
tre les é t r a ng e r s et les infidèles et, à
Beyrouth, des bagarres sanglantes écla–
tent entre musu lmans et c h r é t i e n s ,
ainsi qu'en
1861
.
Les A r mé n i e n s , q u ' i l
essaie ainsi de faire tuer m ê m e hors de
son empire, ne tiendront aucun compte
de ses discours contredits par des actes
i mmé d i a t eme n t contemporains.
S'il leur est possible de collaborer
dans l'avenir à la p r o s pé r i t é d'une T u r –
quie fédéraliste, délivrée du tyran actuel
et du r é g ime qu ' i l a a g g r a v é , ils ne
peuvent rien attendre du Sultan rouge
et ils ne l u i accorderont jamais l ' am–
nistie q u ' i l leur a trop de fois promise
et refusée.
Ce n'est pas avec l u i d é s o rma i s qu'ils
auront à traiter mais avec les Pu i s –
sances signataires de l'acte de Berlin en
1878.
Dans tous les pays, en France,
en Angleterre, en Italie, en Allemagne
m ê m e , on commence à comprendre
q u ' i l n'est pas de solution, pour la
Ma c édo i ne , en dehors de l'application
de l'article X X I I I ; i l n'en est pas pour
l ' Armé n i e en dehors de l'application
de l'article L X I et ce serait un triste et
stupide calcul de la part des Puissances
que de ne pas régler du m ê m e coup
deux questions connexes et de s'ima–
giner que la nation a r mé n i e n n e , m ê m e
ap r è s l'effroyable saignée de
1894-1896,
n'est pas capable de quelque s u p r ême
et terrible sursaut de désespoir.
Pierre
Q U I L L A R D .
L a Russification au Caucase
Par un retard de transmission télé–
graphique, nous avons reçu ap r è s le
tirage du dernier n um é r o , la dépê che
suivante adressée de Genève à
Pro
Armenia
par la r éda c t i on de
Droschak
et qu i a été pub l i é e par les grands
journaux d'Europe du
2
et 3 septembre
auxquels nous l'avions c o mm u n i q u é e .
L a r éda c t i on de
Droschak
vient de
recevoir de Tau r i s la nouvelle que
l'ukase du gouvernement russe concer–
nant les biens et les capitaux de l'Eglise
a r mé n i e n n e du Caucase a irrité au plus
haut deg r é la population a r m é n i e u n e .
Un e grande manifestation a eu lieu à
Al exand r opo l . C i n q mi l l e hommes ont
parcouru la ville en protestant et en
frappant les agents de police. Une
manifestation analogue s'est produite
à E r i v a n , le
16
a oû t . T r o i s mi l l e
hommes, ap r è s la messe, se sont d i r i –
gés vers E t c hmi a d z i n e , distant de
20 -
k i l omè t r e s d ' E r i v a n , ayant mi s par
force à leur tête l ' a r c h e v ê qu e Pa r z i an ,
pour prier le catholicos de ne pas céder
au gouvernement russe. A E t c hmi a d –
zine, la foule s'est t r ouv é e en face de
la police et d'un d é t a c h eme n t d'infan–
terie. L a troupe fit feu ; mais la foule
rompit les cordons de soldats assaillis
à coups de pierres et de revolvers et
arriva à l ' i n t é r i eu r du * couvent. Le
clergé et les hauts fonctionnaires ecclé-
siastiqtes s ymp a t h i s è r e n t avec le peu–
ple. Le catholicos a décidé de faire
tout son possible contre l'injustice
i nou ï e des mesures prises par le gou–
vernement russe. On p r é p a r e des ma –
nifestations dans d'autres villes.
Nous publierons dans notre prochain
n um é r o des lettres d ' Er i van e t d ' Al exan -
dropol montrant le c a r a c t è r e populaire
et s p o n t a n é de ce mouvement. Nous
empruntons aujourd'hui à
l'Européen,
si bien i n f o rmé toujours des choses de
Russie, les correspondances ci-dessous :
Tiflis,
27
août.
Le Conseil des ministres s'est réuni à Saint-
Pétersbourg pour examiner la question de la
main-morte arménienne. Le prince Galitzine,
gouverneur général du Caucase, ennemi juré
des Arméniens, proposait la confiscation des
biens des églises de l'Arménie russe, en décla–
rant qu'il était décidé à donner sa démission si
la question n'était pas résolue dans le sens
qu'il indiquait. M . Pobiedonostzeff, procura–
teur du Saint-Synode, et M . de Plehwe, minis–
tre de l'intérieur, ont été les seuls à soutenir ce
projet; les autres s'y sont opposés. M . de Witte
a fait tout son possible pour que ce projet soit
repoussé; mais le tzar a approuvé le projet qui
a été adopté malgré l'opposition de la majorité,
avec cette différence (qui est due à l'interven–
tion de M . de Witte), qu'au lieu de confisquer
les biens, l'ukase ordonne, tout en reconnais–
sant toujours le droit de propriété du clergé
arménien (jusqu'à nouvel ordre, bien entendu),,
que désormais c'est le gouvernement russe qui
administrera ces biens.
L'effervescence est grande parmi les Armé–
niens du Caucase. Toutes les classes de la po–
pulation sont vivement émues. Tous sont d'ac–
cord qu'il ne faut pas accepter le nouvel ordre
de choses que crée l'ukase. De toutes parts,
des délégations et des lettres portant, des cen–
taines de signatures arrivent à Etchmiadzin,
pour prier le catholicos de refuser son consen–
tement.
Mgr Ormanian, patriarche des Arméniens de
Constantinople, et le Conseil religieux, de
même que S. B. Mgr Khabayan, catholicos de
Sis, ont écrit à S. S. Mgr Khrimian, catholicos
de tous les Arméniens, pour protester contre
cette atteinte portée aux droits de tout le peu–
ple arménien et pour le prier de refuser son
consentement, étant donné que les biens des
églises et couvents de l'Arménie russe n'appar–
tiennent pas seulement aux Arméniens russes,
mais à l'Église arménienne, c'est-à-dire à tous
les Arméniens de Turquie, de Perse, de Russie,
du monde entier. Ces biens, dont on évalue la
valeur à
e roubles, sont dus aux
offrandes des pèlerins venus depuis des siècles
à Etchmiadzin, de tous les coins du monde,
aux donations des notables, des princes, ainsi
que des anciens rois d'Arménie, et même des
monarques persans (aux temps où l'Arménie
se trouvait sous la domination de la Perse).
Les despotes tartares, persans et turkmènes,,
qui ont étendu leur domination sur l'Arménie
avant l'arrivée des Russes, n'avaient pas jus–
qu'ici touché à ces biens appartenant à l'Eglise
arménienne.
Le catholicos se trouvait à Alexandropol au
moment où l'ukase est arrivé à Etchmiadzin.
En apprenant la triste nouvelle, les Arméniens
d'Alexandropol ont organisé des réunions très
tumultueuses de protestation; une délégation
Fonds A.R.A.M