provinces. L'événement le prouve. Le pré–
sident Roosevelt reprochait naguère, ajuste
titre, leur indifférence coupable aux puis–
sances signataires du traité de Berlin qui
ont laissé s'accomplir les massacres d'Ar–
ménie. Il pourrait donner au vieux monde
quelque exemple d'énergie bien employée.
Il paraît en effet prouvé que la cause immé–
diate de l'attentat dirigé contre le vice-
consul Magelsen était précisément l'ardeur
qu'il apportait à défendre contre les vexa–
tions hamidiennes les Arméniens devenus
citoyens américains qui sont rentrés en
Turquie et notamment à Beyrouth même.
L I R E
AMTOL IO LATLTO
GLI A RME N I E ZE I TOUN
F l o r e n c e
R. Bamporad et Figlio
Cessionari délia Libreria éditrice Felice Paggi
7,
via del Proconsolo, 7
1897
T3e
"
ux volumes :
l O
francs.
Lettres d'Erzinghian et d'Àkhlat
L E T T R E
D ' E R Z I N G H I A N
8
Juillet.
On est naturellement peiné de c ommu n i q u e r
une triste nouvelle, mais la réalité, froide et
insensible, est là et reste telle qu'elle est; elle
ne change point et n'est nullement influencée,
et nous sommes obligé de suivre cette même
réalité.
Un fonctionnaire d u gouvernement fait fouler
aux pieds de son cheval une femme armé–
nienne avec s on enfant de quatre à cinq ans;
il ne cache nullement d'ailleurs de l'avoir fait
exprès. L a femme est morte le jour même ; le
fonctionnaire est en p r i s o n ; i l est soumis à l'in–
terrogatoire; mais il sera acquitté naturellement
sous p e u ; nous n'avons aucune raison pour
confirmer le contraire.
Quelques soldats, dans le cimetière arménien
situé tout près de la ville, violent une femme
arménienne qu'ils avaient enlevée dans un
champ voisin. L a femme mo u r u t cinq o u six
jours après; les soldats disparurent.
Le 29 j u i n , dans la matinée d u l u n d i , la ville
d'Erzinghian a été soumise à une sévère sur–
veillance militaire. T o u t Arménien était dans
une vive anxiété. Déjà depuis u n o u deux jours
on parlait de l'exécution de la peine de mo r t à
laquelle était c o n d amn é le héros Roupen ; et
en effet, ce jour-là, très tôt dans l a matinée,
Roupen avait été pendu ; le héros arménien était
sur la potence. Le gouvernement turc, q u i ne
représente que l a tyrannie, l'immortalité et la
filouterie,
a p u n i par la peine de mort le héros
<tui, sous l'influence d'une faiblesse mome n –
tanée, de son propre gré, s'était rendu. Le T u r c
naturellement veut signifier par là qu'il n'épar–
gne même pas celui q u i se rend, q u ' o n se
trompe en se fiant à la clémence d u gouverne–
ment turc et que ceux q u i ont arboré le dra–
peau de la lutte doivent s'y maintenir.
Inutile de vous décrire l'impression ressentie
dans ces jours par nous autres Arméniens,
surtout q u a n d , deux o u trois jours après, une
procession se forme en ville pour promener le
fameux chef de brigands Kurdes Bako ainsi
que ses complices graciés par iradé impérial.
C'est cemême brigand dont les méfaits sont
sans nombre et sans borne; c'est ce même bri–
gand q u i , encore l'année dernière, a pillé le
consul anglais et ne subit a u c u n châtiment et
aujourd'hui i l mérite l'amnistie, l'honneur et l a
gloire; contradiction frappante! D ' u n côté,
mort aux Arméniens, et de l'autre, amnistie,
encouragements aux Ku r d e s . Mais i l ne faut
point s'en étonner; telle est la politique inté–
rieure de tout le gouvernement turc.
C o n t i n u o n s . . . Ces jours derniers, quelques
bûcherons turcs arrêtent en c h em i n l'Armé–
nien, T o r o s s i a n S o u r e n , d u village de Gh a r -
mir,
q u i revenait de la forêt chargé de b o i s ;
après l u i avoir fait subir toutes sortes de tor–
tures, ils l'étranglent avec sa propre ceinture et
se sauvent... Heureusement, quelques heures
après, l a victime c omme n c e peu à peuà re–
prendre ses sens et (si à la place de l a ceinture
on
s'était servi d'une corde, la mort aurait éti
certaine) elle arrive au village avec peine. Là,
tout le mo n d e est mis au courant d u fait; le
«
mu d i r » prévenu conduit la victime à la ville
avec quelques agents; les criminels, q u i se
trouvaient en ville pour y vendre du bois, ren–
contrent leur victime q u i les dénonce. Les
T u r c s sont interrogés, avouent leur crime et
sont emprisonnés pour être acquittés, naturel–
lement, deux jours après. L a victime crache
toujours du sang et sa vie est encore en
danger.
Les
couvents des environs sont tout à fait
déserts; les habitants du couvent A v a k ont tous
émigré pour la ville; dans d'autres couvents
furent envoyés des policiers q u i eux-mêmes
déjà sont u n fléau.
La misère des paysans est extrême..., p l u –
sieurs songent à la conversion, d'autres à l'émi–
gration.
No u s apprenons que les Kurdes toujours
armés et avec des bandes de 3o à 40 h omme s
pillent tel jour tel village, et u n autre jour ils
emportent le bétail de tel autre village. A i n s i ,
les Kurdes de Dérékeuy se sont emparés par
force des biens de Giragoss Bazardjian d u vil–
lage de Sirbihan a une distance d'une d em i -
heure à peine de la ville. Ailleurs, d'autres
Kurdes ont emporté le bétail du village E r g h a n .
La bande de brigands Kurdes, appelée « Pus-
kullus », a pillé des marchandises d'une valeur
de 100 livres appartenant à des commerçants,
sur la route de Tiébizonde, e t c . .
Peut-on imaginer une situation plus désor–
donnée et u n régime de terreur plus épouvan–
table.
11
v a à peine deux jours que toute l a
population turque et arménienne de l a ville fut
saisie d'épouvante et de terreur. Vers trois o u
quatre heures de l a nuit, soudain, une surveil–
lance militaire sévère est organisée. L a ville est
cernée par des cavaliers et des tantassins; nous
apprîmes que le gouvernement, prévenu d u
passage d'une partie des Kurdes par le fleuve, '
et craignant que l a ville ne fût attaquée par ces
derniers, avait ainsi pris ses mesures.
L E T T R E
D ' A K H L A T
23
juin-6 juillet
igo3.
Il n'y a peut être pas une autre province, en
T u r q u i e , où l'élément
mu l s um a n , Kurdes,
T u r c s ou Circasssiens, ait une si violente anti–
pathie p o u r les Arméniens.
Dans cette province, outre que l'Arménien
est privé d u droit de porter quelque vêtement
ou de vivre u n peu bien, il considère de plus sa
vie en danger s'il est doué dequelque beauté.
Dernièrement un jeune h omme n ommé K r i –
kor, d u village de T c h i r h o r , s'en va à Bitlis
pour une affaire. K r i k o r a une belle figure et
porte de belles et fortes moustaches. E n traver–
sant le marché, i l est l'objet de jalousie et de
colère des ooutiquiers turcs q u i l'appellent :
«
Où vas-tu, père d'irzakh ? » c omme si Irzakh
seul, c omma n d a n t hamidié de Hasananli, ou
bien son père, ont le droit de porter des mous–
taches que la nature l u i a données.
Un K u r d e arrête le susdit K r i k o r et l u i de–
mande : «De quel pays es-tu ? » Il ne reçoit
pas de réponse à cette question. « Es-tu, donc,
Arménien ? » demande le Ku r d e , « si je t'avais
rencontré en dehors de la ville, je t'aurais tué
pour tes moustaches; ce n'est pas à u n ghiaour
de porter de telles moustaches. » E t , en effet,
pourquoi n'aurait-il pas tué, qui- l'en aurait
empêché ? est-ce le gouvernement ? mais n'est-
ce pas que les fonctionnaires du gouvernement
sont animés des mêmes sentiments ?
Le Circassien A l i bey, q u i , il y a quelques
ans s o um i t la population arménienne d ' Ak h l a t
à des tortures inouïes, rencontre près K h a K h r a ,
le susdit K r i k o r q u i revenait de Bitlis. Il a p p e l é
ce dernier près de lui et c omma n d e : « T u t'en
iras te faire raser tes moustaches, si je te vois
une autre fois avec de telles moustaches, gare à
toi. » Quel mauvais esprit de jalousie ! les
Mu s u l m a n s voudraient combattre même la
nature pour priver l'Arménien de ses dons. T e l
est le pays q u i s'appelle T u r q u i e . . .
Le 3 courant, dans les confins des villages de
Gh i t z o u a g h , T é g h v o u d et T z i g h a g h , fut trouvé,
un peu au loin de la route, le cadavre d'un
soldat. L e gouvernement arrêta aussitôt u n
jeune h omme arménien de Gh i t z o u a g h , q u i , la
cognée à l a ma i n , s'en allait à la montagne
pour se procurer du bois à brûler. « T u avais
apporté cette cognée p o u r enterrer le cadavre »,
lui dit-on; depuis le jeune h omme est en p r i –
son.
Le Gouvernement, lui aussi, sait très bien que
ce n'est pas là le crime d ' u n Arménien, étant
donné que le soldat est toujours armé, tandis
que l'Arménien ne peut même pas porter u n
couteau ; mais en admettant mèms le contraire,
c omme n t peut-on supposer que l'on soit si fou
pour oser aller, en plein jour, enterrer le cada–
vre,
près d'une route q u i est fréquentée à tout
moment, car i l faut prendre cette route p o u r
aller de B o u l a n i k h , Artzjèche, A k h l a t à Bitlis.
Le Gouvernement ne s'arrêta point là, et i l
arrêta de plus les chefs des trois susdits villages;
«
Le crime a été c omm i s dans les confins de vos
villages, et je réclame de vous le criminel, »
leur dit le Gouvernement.
Quelle justice! Des Arméniens sont tués tous
les jours par dizaines, les assassins sont dési-
Fonds A.R.A.M